Chronique d’expert
Le Dr P., qui travaille seule et sans assistante, est poursuivie sur ordonnance de référé par M. B., titulaire de l’aide judiciaire. Ce patient affirme que « le Dr P. a refusé de lui prodiguer des soins au motif qu’il était titulaire de la couverture médicale universelle ». De même, M. B. poursuit le radiologue pour « erreur de diagnostic ».
Je suis nommé par un assureur pour assister le Dr P. lors de l’expertise judiciaire. Le patient, accompagné de son avocat et de son fils, est agressif et véhément dans ses revendications : il accuse le Dr P., qu’il n’a vue qu’une seule fois pour la prescription d’une radiographie panoramique, de ne pas avoir transmis de devis à sa mutuelle, d’avoir donc retardé le diagnostic et le traitement de ses « dents de devant cassées depuis 1 mois » et d’être responsable de la reconstitution globale de sa bouche. M. B. dit aussi que nous ne pouvons pas comprendre les personnes bénéficiaires de la CMU, nous qui sommes « des bourgeois ».
L’expert judiciaire recadre énergiquement le plaignant rétif en lui rappelant les règles d’un entretien contradictoire.
Malgré le contexte difficile, le Dr P. explique alors calmement qu’elle ne rédige jamais de devis sans avoir exposé le plan de traitement à son patient et qu’elle ne transmet jamais de devis à la mutuelle car cette démarche doit être effectuée par le patient.
Le Dr P. a aussi préparé sa contre-attaque en apportant ses relevés individuels d’activité et de prescription. Ceux-ci montrent de façon indiscutable que l’accusation de refus de soin aux titulaires de la CMU est infondée. En effet, la part moyenne de patients bénéficiaires de la CMU par praticien dans la région du Dr P. est de 8,04 %. Or, 8,24 % des patients du Dr P. sont bénéficiaires de la CMU.
Face à cet argument, l’avocat de M. B. reconnaît que l’accusation ne tient plus la route et que l’expertise judiciaire n’a plus de raison d’être.
L’histoire aurait pu s’arrêter là mais, à la sortie du cabinet de l’expert, M. B., qui a compris que son motif d’accusation avait été balayé, se montre arrogant et fait un geste menaçant à l’intention du Dr P. que nous raccompagnions. Notre consœur est alors prise de peur. « Je suis une femme seule, demain matin je serai seule dans mon cabinet, est-ce qu’il ne va pas m’arriver la même chose qu’à cette consœur de Marseille qui a été assassinée pour un litige portant sur une somme de 99 euros ? » s’interroge-t-elle. « J’ai droit à la tranquillité dans mon cabinet et je vais aller déposer une main courante à la gendarmerie du village. »
Devant la tournure des événements, nous prenons l’initiative, rare, de contacter par téléphone l’avocat de M. B. Pour lui demander de calmer son client. Celui-ci nous assure qu’il a déjà pris les devants et a demandé à son client de ne pas faire de bêtise.
Le Dr P. avait méticuleusement gardé tous ses relevés SNIR. Excellente initiative. Que serait-il en effet advenu si cela n’avait pas été le cas, si ce dossier explosif d’un point de vue médiatique était arrivé sur le devant de la scène ?
Plus nos fiches patients seront irréprochables, plus notre comportement sera exemplaire, plus nous respecterons les textes réglementaires, plus notre travail sera indiscutable techniquement, moins nous risquerons de nous trouver dans ce type de situation.