ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Geneviève GRÉGOIRE* Mathieu DELANNÉE** Marie-Paule LACOMBLET*** Patrick SHARROCK****
*Professeur des Universités, praticien hospitalier
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse 3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
**Assistant hospitalo-universitaire
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse 3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
***Technicienne
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse 3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
****CNRS UMR 5302, Université de Toulouse, École des Mines d’Albi
Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse 3, chemin des Maraîchers 31062 Toulouse cedex 4
Lorsque les pertes de substance coronaire des dents postérieures peuvent faire l’objet d’une restauration conservatrice, le praticien se retrouve devant un éventail de choix de matériaux et de techniques de restauration. Toutes ces solutions ne se valent pas du point de vue de la longévité clinique [1]. Les paramètres régissant la durée des restaurations postérieures sont fonction du cas clinique, du praticien, du biomatériau et de la technique utilisée. Ce dernier critère s’avérant déterminant, nous voulons faire ici le point sur l’indication du composite en méthode indirecte. Face à l’insertion directe du composite, la technique indirecte est considérée comme le gold standard, dans les cas notamment de pertes coronaires étendues ou de reconstitutions proximales [2, 3].
Diverses études ont montré l’influence négative du volume de la reconstitution sur la durée de vie de restaurations composites en méthode directe [4-7]. De plus, l’étude de Spreafico et al. [8] affirme la supériorité des composites indirects sur les composites directs en ce qui concerne l’adaptation marginale.
Si l’on veut résumer les nombreux avantages que confère le montage du composite en technique indirecte mais aussi semi-directe (fig. 1), on peut dire essentiellement ce qui suit :
• meilleurs rendus de la teinte, de l’état de surface, de la forme anatomique ;
• contacts proximaux et occlusaux améliorés, de même que l’adaptation marginale ;
• élimination des contraintes de polymérisation (le stress de polymérisation dans la technique directe étant un problème majeur) ;
• diminution des effets toxiques des monomères non polymérisés ;
• diminution du risque de sensibilité postopératoire, résultant principalement d’une meilleure adhésion et de contraintes amoindries au niveau des interfaces de collage ;
• accroissement du degré de conversion des monomères grâce à la postpolymérisation des pièces fabriquées par un vecteur de chaleur, de pression et/ou de lumière, résultant en une optimisation des propriétés mécaniques et de résistance à l’usure [9].
Les indications essentielles de la technique indirecte sont résumées dans la figure 2. Cependant, comme pour toute solution thérapeutique, il faut émettre des réserves, particulièrement dans les cas de bruxisme, d’hygiène insuffisante et de maladie carieuse sévère (fig. 3).
La conception de la cavité suit globalement les mêmes principes que ceux qui régissent celle d’une préparation classique de technique indirecte (dépouille, choix de l’axe d’insertion).
Toutefois, la différence de structure des biomatériaux utilisés pour l’élaboration entraîne des particularités ou des variantes de préparation.
En respectant les grands principes de conception, on aura avec l’inlay-onlay composite une solution thérapeutique qui, mécaniquement, sera plus tolérante que celle apportée par l’inlay-onlay céramique.
Cubas et al. [10] analysent cet aspect dans une étude visant à évaluer dans quelle mesure le type de préparation de la cavité affecte la résistance à la fracture des prémolaires maxillaires, et ce en fonction du matériau de restauration indirecte esthétique (composite ou céramique). Ils révèlent des différences significatives selon les biomatériaux de restauration utilisés lors de préparations similaires. Notamment lors de reconstitutions avec recouvrements cuspidiens partiels ou totaux sur prémolaires maxillaires, les restaurations en résine composite présentent des valeurs de résistance à la fracture plus performantes que les restaurations en céramique. Dans les limites de cette étude, les auteurs concluent que les restaurations indirectes en résine composite sont beaucoup plus « tolérantes » en ce qui concerne la conception de la cavité, cela étant dû, bien sûr, aux caractéristiques mécaniques du matériau.
Si on résume les grandes étapes de la conception des préparations, il faut au départ réaliser éventuellement une équilibration occlusale afin de répartir harmonieusement les contacts sur la face occlusale de la dent concernée.
La forme initiale de la cavité est guidée par l’atteinte carieuse ou l’ancienne obturation à déposer. L’éviction complète est réalisée, puis les pans d’émail non soutenus sont éliminés à l’aide d’instruments diamantés sur turbine. Il est nécessaire de situer les limites de la préparation à distance des contacts occlusaux. En effet, l’impact des cuspides antagonistes sur une épaisseur trop faible de composite risque d’entraîner des fêlures ou des fractures du matériau [11] (fig. 4).
Cette préparation se fait en respectant les principes d’économie tissulaire, un soin particulier devant être apporté à la conservation, autant que possible, des crêtes marginales et des ponts d’émail tout en mettant de dépouille (fig. 5 et 6).
Les angles de raccordement entre les différentes parois doivent être arrondis, ce qui permet une meilleure répartition des forces exercées sur la dent (la diminution de la concentration des forces est alors de 40 %). Cette préparation arrondie diminue le stress dentinaire lors de la fonction occlusale (fig. 7).
La largeur des isthmes doit être de 2 mm et leur profondeur de 1,5 mm au niveau du sillon médian (fig. 8 et 9).
L’extension de la cavité occlusale aux sillons palatins, linguaux ou vestibulaires se fait systématiquement lorsqu’il y a infiltration de ces sillons ou s’il demeure le moindre doute (fig. 10). La cavité préparée dans le sillon est alors parallèle à l’axe de dépouille de la dent.
On respecte un angle cavo-superficiel d’environ 90° et les limites proximales sont marquées sous la forme d’un chanfrein d’un angle inférieur à 120° [12].
Lorsque la dimension vestibulo-linguale de la cavité dépasse les deux tiers de la dent, la reconstitution indirecte doit englober le recouvrement de la cuspide fragilisée. Il est nécessaire de procéder à une réduction des cuspides concernées d’au moins 1,5 mm. Cette réduction tiendra compte, dans son modelage, de l’occlusion centrée et des mouvements de latéralité.
Il est préférable de ne pas araser la cuspide mais de garder le « substrat cuspidien » pour participer à la tenue de l’onlay en place.
Dans toutes les dimensions de la préparation, une épaisseur minimale de 1,5 mm doit être ménagée pour la restauration en composite [13, 14].
Les contre-dépouilles dont la suppression serait trop délabrante sont comblées par un biomatériau substitut dentinaire.
Nous utilisons pour la réalisation de ces inlays des composites de laboratoire.
Nous avons étudié un composite de laboratoire récent, photopolymérisable, contenant des microcharges opalescentes et indiqué pour les restaurations dentaires avec ou sans armature.
Dans la composition de ce matériau, le taux élevé de charges minérales opalescentes apporte des avantages en termes d’abrasion, de coloration et de brillant de surface (tableau 1).
Après coulage du modèle, montage des modèles positifs unitaires et détourage, les limites sont tracées à l’aide d’une mine en cire (fig. 11), puis un vernis isolant est appliqué.
La première étape de réalisation de l’inlay est l’application d’un liner « dentine » en fond de cavité (fig. 12) et d’un liner « émail » au niveau des bords de la préparation, et ce à l’aide d’un pinceau fin. Après chaque photopolymérisation des liners, une éponge permet d’éliminer les excès de la couche de surface inhibée par l’oxygène.
Les composites Nexco® Paste « dentine » puis « émail » sont modelés par strates de faible épaisseur (fig. 13). Chaque application du composite est suivie d’une photopolymérisation de 20 secondes. Puis les modèles sont enrobés d’un gel de glycérine pour une photopolymérisation finale de 11 minutes dans un photopolymérisateur de laboratoire (par exemple, (Lumamat 100 [Ivoclar Vivadent]).
La finition et le polissage sont réalisés à l’aide de fraises diamantées à granulométrie décroissante, de meulettes siliconées et de peau de chamois avec pâte abrasive (fig. 14 à 16).
Nous avons testé la microdureté de ce composite de laboratoire.
Après avoir élaboré des échantillons selon le protocole conseillé par le fabricant, nous les avons soumis à un test de microdureté Vickers (ZHV10 type 3212001 Zwick/Roell, Ulm, Allemagne) [15]. Le poids appliqué pour la contrainte est de 4 kg.
Cinquante mesures sont effectuées pour chacun des composites testés (le Nexco et un autre composite de laboratoire : l’Adoro [Ivoclar Vivadent]).
La mesure des diagonales des indentations est réalisée à l’aide d’un microscope stéréoscopique (MZ7.5, Leica, Herbrugg, Suisse) avec un grandissement de 10 à 50.
La dureté Vickers est déterminée par la formule suivante :
VHN = 1,8544 F/d2
où F est la masse appliquée en kg et d la moyenne des diagonales de l’indentation en millimètres.
Il est souvent difficile de comparer les résultats de microdureté avec ceux d’autres études, la valeur obtenue étant proportionnelle à la force appliquée. Nous nous rapprocherons donc, pour comparer nos résultats de ceux obtenus par Hahnel et al. [16] qui soumettent, dans une étude de microdureté, des matériaux composites de méthode directe à une charge équivalente à celle que nous avons employée.
Dans nos résultats, on note une valeur de microdureté moyenne de 167,7 HV. Cette valeur est nettement supérieure à celles obtenues sur les composites utilisés en méthode directe (tableau 2).
Nous avons comparé deux composites de laboratoire, le SR Adoro® et le SR Nexco® Paste (Ivoclar Vivadent) à un composite de méthode directe, le Tetric Evoceram® Bulk Fill (Ivoclar Vivadent).
Le test est réalisé après un vieillissement accéléré hydrothermique.
Les valeurs des résultats du test sont données en perte de masse par unité de surface (ìg/mm2) à la suite des tests d’abrasion (Taber 5700 Linear Abraser-Nyork, USA).
Après étude statistique et comparaison des groupes représentés par les trois composites, on note des valeurs de perte de masse bien inférieures en ce qui concerne les composites de laboratoire : la résistance à l’usure est donc supérieure. Le Tetric Evoceram® Bulk Fill (composite en méthode directe) présente dans ces résultats une différence significative avec les deux composites de laboratoire. En effet, quand on le compare avec ces deux composites par le test de Duncan, test a posteriori, ils sont dans des groupes statistiquement différents « a » et « b ».
En revanche, il n’y a pas de différence statistiquement significative entre les deux composites de laboratoire : tous les deux sont dans le même groupe « a ».
Ces valeurs optimisées sont bien évidemment liées en particulier à la qualité de la polymérisation obtenue avec les techniques de laboratoire (tableau 3).
Nous avons analysé la rugosité de surface des deux composites de laboratoire et toujours du même témoin, le composite de méthode directe Tetric Evoceram® Bulk Fill, et ce après finition sur matrice de polyester et après usure par fatigue. Celle-ci comprenait des contraintes hydrothermiques et mécaniques.
Cinq échantillons de chaque composite ont été préparés et étudiés avant et après vieillissement. Leur surface a été analysée par un profilomètre (SJ-201M, Mitutoyo, Japon).
Le profil est évalué pour chaque échantillon sur une longueur de 2,5 mm (angle de 90°). Le Ra est donné pour chaque échantillon (le Ra est l’écart moyen arithmétique du profil ; c’est la moyenne arithmétique des valeurs absolues des écarts par rapport à la ligne moyenne).
Les résultats obtenus après finition avec matrice de polyester et après usure par fatigue sont reportés dans le tableau 4.
Les valeurs obtenues justifient d’un état de surface optimal, et ce même après vieillissement accéléré par usure par fatigue.
Ces matériaux dont les charges ont une taille de 10 à 100 nm, ont des propriétés mécaniques très favorables [17-22] qui surpassent même celles des composites hybrides [23]. Ils ont également une haute qualité de surface, permettent une meilleure finition et l’obtention d’une surface brillante, avec un meilleur comportement dans la longévité clinique [21, 23, 24]. Cette propriété est évidemment capitale car l’état de surface a un impact majeur sur l’esthétique de la restauration mais aussi sur sa discoloration [25], la rétention de plaque, les caries secondaires, l’inflammation de la gencive marginale et l’intégrité des dents antagonistes comme des dents adjacentes [26, 27].
La Haute Autorité de santé, dans son rapport d’évaluation, recommande les inlays-onlays dans les restaurations des dents postérieures ayant des cavités de moyenne à grande étendue.
On concentre dans ces techniques indirectes avec composite de nombreux avantages :
• la polymérisation complète des composites par méthode indirecte dans des enceintes spéciales élimine le risque de reliquats de monomères libres ;
• avec l’emploi de la méthode indirecte, les conséquences de la contraction de polymérisation sont limitées à la faible épaisseur du matériau de collage ;
• le polissage de laboratoire de prothèses associé à la finition en bouche permet d’obtenir des surfaces parfaitement polies, notamment au niveau des faces proximales ;
• les limites précises de l’obturation épousent les bords de la cavité sans débordement.
Il résulte de ces différentes caractéristiques un joint marginal très satisfaisant améliorant l’étanchéité et assurant l’intégration biologique de ce type de restauration.