PROTHÈSE ESTHÉTIQUE
DCD
Chargé d’enseignement universitaire
Coordinateur du DU d’esthétique du sourire de Strasbourg
21 rue de Verdun 67000 Strasbourg
Le rôle du chirurgien-dentiste ne consiste plus uniquement en la prise en charge des urgences, des douleurs, des infections… On ne peut en effet méconnaître les progrès de la dentisterie actuelle, et en particulier de l’adhésion qui permet une préservation tissulaire maximale. Il faut aussi considérer le changement fondamental de la demande sociétale en matière de confort et d’esthétique.
Différentes études ont montré le taux de réussite élevé des facettes et une méta-analyse récente, reposant sur la dentisterie fondée sur la preuve (evidence-based dentistry), conclut à un taux d’échecs inférieur à 5 % à 5 ans et inférieur à 10 % à 10 ans [1].
Les facettes en céramique représentent certainement aujourd’hui l’utilisation la plus esthétique des matériaux céramique, dans le respect maximal des tissus et avec un taux de satisfaction des patients de 97,1 % [2].
En accord avec la classification proposée par Magne et Belser en 2003 [3] et avec le principe de préservation tissulaire schématisé par le gradient thérapeutique [4], trois grandes indications justifient l’utilisation des facettes en céramique collées sur l’émail :
• la correction de couleur, dès lors que les dents sont réfractaires à un éclaircissement (fig. 1) ;
• les restaurations de grande étendue en raison de fractures, d’érosions/usures ou de malformations généralisées (fig. 2) ;
• les modifications morphologiques majeures telles que les dents conoïdes (fig. 3), les diastèmes ou trous noirs et l’allongement des bords incisifs pour redonner aux incisives centrales leur prédominance dans le secteur esthétique.
Les avantages des facettes en céramique sont donc multiples : elles offrent un grand esthétisme, une parfaite biocompatibilité et possèdent une longévité importante, mais elles restent pourtant peu réalisées dans les cabinets car elles présentent quelques inconvénients aux yeux des praticiens :
• une certaine difficulté à visualiser précisément les limites et les épaisseurs de la préparation ;
• la crainte de la gestion des facettes provisoires ;
• la crainte d’un décollement ou d’une fracture ;
• le coût.
En ce qui concerne les deux premiers points (principes de préparation et facettes provisoires), les principes de préparation guidés par la technique des masques proposée par Gurel en 2003 [5] ont grandement permis de simplifier le protocole et, surtout, de le rendre reproductible dans la plupart des situations cliniques.
En ce qui concerne le troisième point (crainte d’une fracture ou d’un décollement), nous savons aujourd’hui que le collage augmente la résistance des restaurations indirectes en composite ou en céramique en créant « un corps unique » entre la restauration en céramique et la dent [8], à tel point que la force de cohésion de la céramique feldspathique mordancée et silanée puis collée est supérieure à celle de la jonction émail-dentine naturelle et même à la cohésion propre de la céramique [9].
Ce collage est maximum :
• si on conserve l’émail en quantité suffisante. Le collage sur la dentine est plus complexe et plus difficile ; pour le mener à bien, il est nécessaire d’utiliser une colle composite sans potentiel adhésif couplée à un adhésif avec mordançage et rinçage en 3 étapes (MR3) [10] : la dentine doit être mordancée à l’acide phosphorique pendant 15 secondes maximum avant d’être infiltrée par des monomères hydrophiles (primer) puis d’être recouverte de l’adhésif. Il est d’ailleurs préférable de polymériser ce dernier pour éviter que la rétraction de prise de la colle composite ne détruise la couche hybride nouvellement formée [11] ;
• si on utilise une céramique riche en verre, donc mordançable à l’acide fluorhydrique.
Les facettes peuvent aussi être réalisées en composite mais, outre une moins bonne durée de vie et leur aspect (texture superficielle moins esthétique, opacité plus importante), une étude récente a montré que leur force d’adhésion avec la dent serait deux fois moins importante que celle des céramiques feldspathiques ou à base de disilicate de lithium [12].
Ce confrère, chirurgien-dentiste, se plaint de l’usure de ses 2 incisives centrales qu’il souhaite plus prédominantes par rapport à ses latérales (fig. 4). Devant la nécessité de rallonger ces 2 dents, l’indication de 2 composites est éliminée au profit de 2 facettes en céramique collées.
Afin de minimiser la profondeur de la préparation et de conserver au maximum l’émail lors de la taille, il est convenu de positionner au préalable les incisives centrales en position légèrement plus palatine par le biais de gouttières Invisalign® (fig. 5 et 6).
Avant de débuter la taille des facettes, il est important de convenir du résultat esthétique avec le patient. Cette étape, fondamentale lors de tout traitement de restauration esthétique, permet de rassurer le patient sur le résultat final et donc de le mettre en confiance ; elle permet aussi au praticien de tester sa proposition esthétiquement et fonctionnellement et de transmettre un projet très précis au céramiste.
Dans ce cas clinique n’intéressant que le rallongement de 2 incisives, le projet esthétique est réalisé en composite à main levée dent par dent. Il devient alors aussi le masque (fig. 7 à 10).
Lorsque la complexité de la modification est trop importante, ce projet peut être réalisé à partir d’un wax-up dont on tire un modèle en plâtre ; une empreinte de ce modèle (ou une gouttière thermoformée) est ensuite remplie de résine provisoire bisacrylique en pistolet (par exemple Telio® C & B, Ivoclar Vivadent), résine ayant l’avantage d’être très rapide d’utilisation, avec très peu de déformation et une faible exothermie de prise. Cette résine constitue le masque dans lequel sera réalisée la taille des facettes.
L’objectif est de :
• valider en bouche l’esthétique, l’occlusion et la phonation ;
• montrer une ébauche du résultat au patient avant de toucher à ses dents, pour le rassurer ;
• donner des indications précises au céramiste sur les proportions souhaitées ;
• tailler directement dans ce masque pour conserver le maximum de surface d’émail tout en laissant l’épaisseur nécessaire à la céramique.
Après validation, une empreinte du masque est réalisée (fig. 11). Cette empreinte servira à la réalisation de 2 facettes provisoires en résine puis sera transmise, accompagnée de photos, au céramiste.
Une anesthésie locale est effectuée et un fil de soie est placé dans le sulcus pour le déporter apicalement. La limite cervicale est d’abord tracée sur 0,5 mm de profondeur avec une fraise boule diamantée 016 positionnée légèrement en supragingival et dans l’émail (fig. 12).
Deux rainures vestibulaires horizontales de 0,6 mm de profondeur (un peu moins de la moitié du diamètre de la fraise boule) sont ensuite réalisées au niveau du tiers médian et incisal. Enfin, 3 ou 4 rainures du bord incisif sont tracées à l’aide d’une fraise à congé diamantée 016 que l’on enfonce sur tout son diamètre (soit environ 1,5 mm de réduction incisale) (fig. 13). Le fond de ces sillons est alors marqué au crayon noir fin pour les mettre en évidence (fig. 14).
Les restes du masque sont déposés avec une curette et ces rainures de pénétration contrôlée sont lissées jusqu’à la disparition des traits de crayon avec la fraise diamantée à congé 016. Cette technique de préparation permet de conserver le maximum de surface d’émail (diminution des sensibilités postopératoires, préservation de la résistance mécanique de la dent, optimisation du collage) tout en assurant l’épaisseur nécessaire pour la facette en céramique à venir (fig. 15).
Un strip abrasif métallique est passé entre les points de contact pour permettre une lecture plus précise de l’empreinte dans cette zone (fig. 16).
La taille inclut les faces proximales jusqu’aux points de contact pour masquer le joint collé et le congé reste supragingival à environ 0,5 mm du rebord sulculaire (fig. 17). Cette taille, pelliculaire, est enfin polie avec une fraise diamantée à congé bague rouge 018 qui finit aussi de positionner précisément et délicatement les limites périphériques (fig. 18). Le modèle de travail issu de l’empreinte objective les limites et les congés (fig. 19).
Une résine bisacrylique en pistolet de la couleur choisie (par exemple Telio® C & B, Ivoclar Vivadent) est injectée dans l’empreinte du masque effectuée en début de séance (fig. 20). Cette empreinte est repositionnée en bouche pour obtenir, en 1 minute, 2 facettes provisoires solidarisées (fig. 21).
Les facettes sont délicatement déposées avec une curette puis minutieusement ébarbées et polies. Le scellement s’effectue de préférence avec une résine provisoire de scellement (par exemple Telio® Link, Ivoclar Vivadent) qui permet une excellente intégration esthétique. En cas de manque de rétention, il est possible de mordancer au préalable l’émail sur 2 mm de diamètre puis d’y appliquer de l’adhésif pour permettre un collage de la résine provisoire de scellement dans cette zone. Quoi qu’il en soit, cette phase de temporisation, toujours délicate pour le patient et le praticien, doit être la plus courte possible (fig. 22).
Les facettes en céramique vitreuses (e.max, Ivoclar Vivadent) sont essayées et validées (fig. 23).
Le champ opératoire est placé dent par dent car les facettes doivent être collées une par une. La limite supragingivale facilite d’ailleurs nettement l’insertion du crampon (fig. 24).
La restauration est réessayée pour s’assurer que la digue n’empêche pas sa parfaite mise en place. Le collage de la céramique vitreuse doit se faire idéalement avec une colle composite sans potentiel adhésif associée à un système adhésif en 3 étapes avec mordançage et rinçage préalable. La facette doit, elle, être mordancée à l’acide fluorhydrique puis silanisée (fig. 25).
La céramique est mordancée avec un gel d’acide fluorhydrique à 9 % (par exemple Ceramic Etching Gel®, Ivoclar Vivadent) pendant 20 secondes (fig. 26). Elle est ensuite rincée et frottée soigneusement pour éliminer toute trace résiduelle.
Une couche de silane (par exemple Monobond® S, Ivoclar Vivadent) est ensuite appliquée en 1 couche sur la surface et laissée pendant 1 minute avant d’être séchée (de préférence à l’air chaud). Ce protocole permet d’assurer une très forte adhésion à la colle et un renforcement mécanique de la céramique vitreuse (fig. 27).
L’émail est mordancé pendant 15 secondes puis rincé abondamment avant d’appliquer le système adhésif en 3 étapes (par exemple Syntac®, Ivoclar Vivadent) (fig. 28).
Le Syntac® primer est frotté pendant 15 secondes puis séché délicatement (fig. 29). Le Syntac® adhésif est ensuite appliqué et laissé en place pendant 10 secondes avant d’être légèrement séché (fig. 30).
La résine Bis-GMA Heliobond est enfin appliquée. Elle est étalée avec un jet d’air en une fine couche puis photopolymérisée pendant 10 secondes. La mise en place d’un strip transparent à ce stade permet d’éviter de coller les dents adjacentes (fig. 31).
L’Heliobond est aussi appliqué sur l’intrados de la facette sans être polymérisé. La facette est ensuite enduite de la colle composite sans potentiel adhésif (par exemple Variolink® II, Ivoclar Vivadent) de couleur transparente pour ne pas modifier la couleur de la facette qui a été validée à l’essayage (fig. 32). Tout en maintenant la facette sous pression digitale, le plus gros des excès est éliminé avec une microbrosse (fig. 33). La photopolymérisation est alors réalisée en pleine puissance pendant 40 secondes sur chaque face (fig. 34).
Les excès de colle sont éliminés à l’aide d’un bistouri à lame courbe ou de fines curettes tranchantes. Au niveau du joint collé, il est préférable d’éviter l’utilisation des instruments rotatifs qui risquent de laisser une surface rugueuse difficile à repolir (fig. 35).
La deuxième facette est collée selon le même protocole puis le champ opératoire est déposé. L’occlusion ne peut être contrôlée et réglée qu’une fois la facette collée (fig. 36).
La céramique collée possède une excellente affinité vis-à-vis de la gencive. Cela est confirmé par cette vue postopératoire au bout de 15 jours (fig. 37).
Notre confrère est satisfait. Le résultat esthétique a été obtenu à moindre coût tissulaire et en conservant une surface d’émail totale sur les 2 incisives. Le collage d’une céramique vitreuse sur l’émail avec une colle composite sans potentiel adhésif et un système adhésif en 3 étapes avec mordançage préalable assure une garantie d’adhésion et de renforcement mécanique de la céramique et permet au patient d’envisager de mordre et de sourire longtemps sans crainte avec ses incisives (fig. 38).
LA PROCEDURE PASSE PAR LA REALISATION DE PLUSIEURS PHASES :
• phase I, analyse et projet esthétique ;
• phase II, validation de ce projet par un montage en cire au laboratoire (wax-up) ;
• phase III, réalisation d’un moule sur ce montage esthétique (gouttière thermoformée ou empreinte en silicone) [6] ;
• phase IV, élaboration d’un masque en bouche (mock-up) en injectant une résine provisoire bisacrylique dans le moule (en cas de restaurations peu nombreuses ou peu importantes, il est possible de réaliser un masque en composite directement en bouche comme dans le cas clinique présenté dans cet article) ;
• phase V, préparation des limites et des épaisseurs nécessaires directement dans le masque en résine. Ces épaisseurs sont conditionnées par le choix du matériau céramique et par les recommandations données par le fabricant afin de garantir la résistance mécanique de la restauration et son intégration esthétique. La préparation dans le masque permet un contrôle précis des profondeurs de réduction par rapport au projet prothétique, afin d’être le plus conservateur possible tout en garantissant l’intégration esthétique et fonctionnelle des restaurations [7] ;
• phase VI, empreinte ;
• phase VII, injection d’une résine bisacrylique dans le moule pour réaliser les facettes provisoires.