L’ENTRETIEN
On sait qu’il existe des relations entre les maladies des dents et les maladies systémiques. Les dents sont aussi un excellent outil pour comprendre les maladies génétiques de l’os. Une équipe de chercheurs en médecine dentaire conduite par Catherine Chaussain, professeur des universités et praticien hospitalier à l’université Paris Descartes, a pour la première fois reproduit les anomalies dentaires causées par le rachitisme hypophosphatémique. Benjamin Salmon, maître de conférences à Paris Descartes et praticien hospitalier à Louis-Mourier, a mis au point un modèle reposant sur les dents qui permet d’expliquer les maladies de l’os.
Qu’est-ce qui vous conduit à dire que les dents sont un outil unique pour comprendre les maladies génétiques de l’os ?
La dentine a la particularité d’être formée de la même manière que l’os. Elle possède la même structure minérale et quasiment la même structure organique. La seule différence est que l’os fait partie du métabolisme phosphocalcique ; il se remodèle donc en permanence. La dentine, en revanche, ne se remodèle jamais. C’est une apposition continue tout au long de la vie, depuis le début de la formation des dents. C’est pourquoi, lorsqu’on étudie les maladies infantiles qui touchent à la formation de l’os, il est plus facile et moins dangereux d’étudier une dent que de faire une biopsie osseuse. Mais en plus, la dent apporte des informations sur l’historique de la croissance. L’observation de la minéralisation progressive de la dent permet d’identifier des périodes d’évolution de la maladie et, par exemple, de connaître l’effet d’un traitement à long terme. Les dents apportent donc des informations très précieuses aux médecins.
Est-ce la première fois qu’une étude de la dent permet d’aider à la compréhension d’une maladie de l’os ?
C’est assez original. Cette étude portait sur le rachitisme hypophosphatémique qui touche les enfants. Ces patients sont de petite taille, ont les jambes arquées et des dents mal formées donnant des abcès à répétition. Le peptide ASARM*, responsable de l’hypominéralisation des os et de la dentine de patients hypophosphatémiques, a été identifié dans un tissu calcifié en 2010 dans notre laboratoire. Jusque-là, on savait uniquement le doser dans le sang des malades. Mais on ne l’avait jamais montré dans l’os. Nous sommes la première équipe à l’avoir extrait d’une dent humaine et à l’avoir identifié dans un tissu calcifié humain.
Nous avons ensuite mené la démarche dans l’autre sens. Le peptide qui se trouve dans la dent et dans le sang du malade a été isolé et nous l’avons mis en condition pour observer la façon dont il trouble la minéralisation de la dent et donc, aussi, celle de l’os. C’est tout l’objet de notre dernière expérimentation et des résultats que nous avons publiés.
Ces recherches ouvrent-elles de nouvelles perspectives ?
Nous allons continuer à étudier le rachitisme hypophosphatémique. Nous voulons maintenant comprendre la raison pour laquelle l’os se minéralise mal. Cette fois-ci, nous allons prendre des cellules de patients malades pour caractériser la minéralisation dans un environnement avec un apport normal en phosphate.
Mais les expérimentations que nous menons sur cette pathologie peuvent être étendues à d’autres maladies. Ainsi, les dents seront un outil précieux pour comprendre l’ostéogenèse imparfaite, dite aussi maladie des os de verre, et de nombreuses autres maladies rares dans lesquelles on retrouve la plupart du temps des anomalies osseuses et dentaires. Ces recherches ouvrent le chemin d’une nouvelle interaction entre l’odontologie et la médecine. Nous savons que les maladies des dents induisent des maladies systémiques (maladies cardiaques…) et que des maladies systémiques induisent des maladies des dents (le diabète… ). Nous pouvons aujourd’hui mettre en miroir la physiopathologie de l’os avec la formation de la dentine.
Depuis quand travaillez-vous avec des chirurgiens-dentistes ?
Je travaille avec les équipes de Catherine Chaussain à Paris Descartes et du Pr Ginisty à l’hôpital Necker depuis une dizaine d’années. Notre collaboration est très importante car l’évaluation de l’état dentaire fait partie du diagnostic des maladies. Pour un certain nombre de maladies rares, dont la maladie des enfants qui perdent leurs dents de lait avec la racine, c’est même l’examen des dents qui donne le diagnostic.
Le chirurgien-dentiste peut-il aussi aider au traitement de la maladie ?
Oui, la façon dont les dents évoluent est un critère d’équilibre du médicament. Catherine Chaussain a démontré, dans le cas du rachitisme hypophosphatémique, que lorsqu’on soigne les os, on soigne les dents. Depuis, les chirurgiens-dentistes nous ont appris à observer les dents pendant nos consultations. Et tous les ans nous leur adressons les enfants pour vérifier que l’état dentaire correspond bien à ce que les médecins observent et aux résultats des prises de sang et des analyses. Les dents ont l’avantage d’être extérieures et, donc, d’être d’un accès facile. Si le chirurgien-dentiste m’indique qu’il observe beaucoup d’abcès, pour moi c’est un des arguments pour faire évoluer un traitement ou accélérer le suivi.
L’étude des dents pourrait-elle à l’avenir jouer un rôle encore plus important dans le traitement des maladies de l’os ?
J’espère que l’on pourra beaucoup plus utiliser les dents. D’énormes progrès sont à réaliser dans l’enseignement de l’observation de la bouche à la fois du côté des médecins et du côté des chirurgiens-dentistes. Les médecins n’ont aucune formation sur les dents et le rapport à l’examen clinique et au diagnostic des maladies. Et on peut dire la même chose pour les gencives. Il faut aussi apprendre aux chirurgiens-dentistes à ne pas se préoccuper uniquement des caries et à être vigilants car les dents sont aussi un moyen d’obtenir un diagnostic.
L’avenir est également très prometteur car les techniques d’imagerie, de scanner ou même d’analyse moléculaire ou au microscope des dents tombées ou extraites ont beaucoup évolué ces dix dernières années. Ces sources d’informations vont nous permettre de progresser énormément.
* Acidic serine aspartate-rich MEPE, acide riche en sérine-aspartate MEPE.