DENTISTERIE RESTAURATRICE
Gauthier WEISROCK* Stephen A. KOUBI** Olivier ROMIEU*** Hervé TASSERY****
*Attaché à la faculté d’odontologie de Marseille
Département d’odontologie conservatrice
Faculté d’odontologie de Marseille 27 boulevard Jean Moulin 13355 Marseille cedex 05
48 bd Perier 13008 Marseille
**Maître de conférences
Faculté d’odontologie de Marseille
Département d’odontologie conservatrice
Faculté d’odontologie de Marseille 27 boulevard Jean Moulin 13355 Marseille cedex 05
***Maître de conférences
Faculté d’odontologie de Montpellier
Département d’odontologie conservatrice
Faculté d’odontologie de Montpellier 545 avenue du Professeur Jean Louis Viala 34080 Montpellier
****Professeur
Faculté d’odontologie de Marseille
Département d’odontologie conservatrice
Faculté d’odontologie de Marseille 27 boulevard Jean Moulin 13355 Marseille cedex 05
Les composites postérieurs directs font partie de notre arsenal thérapeutique au quotidien. Néanmoins leur complexité, surtout pour les restaurations de grand volume, est un frein à leur utilisation. C’est pourquoi de nouveaux matériaux tels que les « Bulks » sont apparus pour simplifier la méthodologie clinique tout en gardant un résultat fiable et reproductible.
Les concepts de dentisterie conservatrice ont considérablement évolué au cours de ces 10 dernières années, notamment grâce à l’émergence de nouvelles techniques d’adhésion et d’obturation avec des matériaux de plus en plus performants. Ces innovations concernent surtout les résines composites contenant des charges noyées dans une matrice résineuse à base de méthacrylates. En raison de cette structure biphasique, les composites subissent toujours un retrait lors de leur polymérisation pouvant conduire à une perte d’étanchéité marginale de l’obturation [1, 2]. Différentes méthodes cliniques telles que la stratification du composite couche par couche associée ou non à un substitut dentinaire ont alors été proposées pour pallier ce phénomène [3]. Cependant, la redondance et la complexité de la stratification constituent un inconvénient majeur dans certaines situations, notamment pour les cavités volumineuses sur des dents postérieures. Aujourd’hui, de nouveaux composites ont été conçus pour simplifier et écourter les protocoles cliniques des restaurations directes sur dents postérieures. Il s’agit notamment des composites dits « bulk », c’est-à-dire pouvant être appliqués en couches épaisses, réduisant ainsi considérablement leur nombre tout en garantissant un résultat fiable et reproductible [4, 5].
Lors de la réalisation d’un composite, le retrait de polymérisation qu’il subit pendant sa prise provoque des tensions au niveau des parois. Selon leur intensité, ces contraintes mécaniques peuvent entraîner une rupture de la jonction dent-composite, voire une fissuration de la dent [1, 6]. Cliniquement, cela se traduit par une mauvaise adaptation marginale, une perte d’étanchéité, des infiltrations bactériennes, des sensibilités postopératoires et des reprises de carie. Les principaux facteurs influençant l’intensité de ces contraintes mécaniques sont la géométrie de la cavité, la composition du composite, le mode de polymérisation et les conditions d’irradiation lumineuse [1].
La géométrie de la cavité conditionne le facteur configuration appelé facteur C [1, 7]. Ce dernier est exprimé par le nombre de faces du composite collées aux parois de la cavité rapporté au nombre de faces libres du composite (qui ne sont pas en contact direct avec la dent). Plus le facteur C est élevé, plus les contraintes aux interfaces dent/restauration sont importantes. Il est très bas pour les restaurations de classe IV et augmente jusqu’à son apogée pour les restaurations de classes I et V.
Le stress de polymérisation engendré sur les parois dépend également du mode de polymérisation des composites. Il est désormais bien établi qu’il est plus faible pour un composite chémopolymérisable ou dual que pour un composite photopolymérisable [8].
Enfin, il semble qu’une photopolymérisation progressive du composite soit le mode le plus apte à conserver l’intégrité des joints. Un composite photopolymérisable conventionnel a besoin de recevoir une intensité lumineuse minimale de 500 mW/cm2 pendant 20 secondes pour une conversion optimale d’une couche de 2 mm d’épaisseur maximum. Un temps d’insolation de 10 secondes avec une lampe dont l’intensité est de 1 000 mW/cm2 semble être alors le temps idéal d’irradiation [6, 8].
Pour les restaurations composites en méthode directe des dents postérieures, le risque de retrait de polymérisation est élevé. En effet, du fait de la taille et de la géométrie des cavités (classes I, II ou MOD), le facteur C est défavorable (de 2 à 5). Pour résoudre ce problème, il est recommandé d’appliquer par strates de petits apports de composite (jusqu’à 2 mm maximum) que l’on va photopolymériser successivement. Une autre possibilité consiste à mettre en place un substitut dentinaire en composite dual fluide ou en ciment verre ionomère que l’on injectera dans les deux tiers profonds de la cavité en un seul temps. Le dernier tiers sera reconstitué par stratification de composite sur chaque versant cuspidien (fig. 1) [3].
Ces méthodes, efficaces pour limiter le retrait de polymérisation, sont néanmoins chronophages, nécessitent un certain apprentissage et des matériaux adaptés.
C’est dans ce contexte que certains fabricants ont récemment mis au point des composites « bulk » (Filtek® Bulk Fill, 3M Santé ; SDR® Bulk Fill, Dentsply ; Tetric EvoCeram® Bulk Fill, Ivoclar Vivadent) pouvant être appliqués d’emblée en couches épaisses (fig. 2) tout en subissant peu de retrait de polymérisation même dans des cavités avec un facteur C défavorable [4, 5].
Parmi ces composites, le Tetric EvoCeram® Bulk Fill semble apporter un réel bénéfice clinique. Fruit de longues années de recherche pour aboutir à un produit très complexe faisant appel à la nanotechnologie et à un travail particulier sur la chimie matricielle, il est indiqué uniquement pour les cavités postérieures de petit à gros volume sans avoir besoin d’un substitut dentinaire. Ce matériau présente un double intérêt :
• il peut être placé en couche de 4 mm d’épaisseur sans subir de retrait de polymérisation nocif grâce à l’ajout de charges prépolymérisées ;
• la photopolymérisation se fait de façon complète et homogène même en profondeur (jusqu’à 4 mm) grâce à l’incorporation d’un nouveau photo-initiateur breveté, l’Ivocérine®, qui est 10 fois plus réactif à la lumière bleue que ceux utilisés habituellement.
Cliniquement, la réalisation d’un composite postérieur devient plus aisée. En effet, le protocole opératoire se simplifie avec l’utilisation d’un nombre réduit d’apports de composite associé à n’importe quel adhésif amélo-dentinaire. Le composite est introduit en masse dans la cavité, « foulé » légèrement pour parfaire son adaptation aux parois, surtout dans le cas d’une cavité de classe II profonde, puis il est modelé à l’aide d’une spatule d’Hollenbach pour créer une morphologie occlusale correcte (il possède un temps de travail suffisamment long). La photopolymérisation est ensuite réalisée pendant 10 secondes minimum avec une lampe d’une puissance de 1 000 mW/cm2.
Pour une cavité de petit volume, un seul apport peut suffire. Pour une cavité de moyen à gros volume, 2 ou 3 apports de 4 mm sont nécessaires pour stratifier le composite jusqu’à la surface (fig. 3 à 12).
Il convient cependant d’émettre quelques recommandations d’usage :
• comme toute technique adhésive, celle-ci est opérateur dépendante, et le Tetric EvoCeram® Bulk Fill, même s’il se veut plus « simple », n’échappe pas à cette règle. En effet, un protocole de collage rigoureux doit être respecté sous peine d’échec au même titre que tout autre composite [3] ;
• lors de la mise en place du matériau dans des cavités profondes, notamment dans les cavités principales de classe II mésiales ou distales, en raison de sa viscosité, il doit être légèrement « foulé » pour parfaire son adaptation marginale au niveau de la limite cervico-proximale et éviter ainsi des manques ;
• enfin, un recul clinique semble nécessaire pour juger de ses performances réelles.
Les récents progrès dans le domaine des biomatériaux de restauration en général et des composites en particulier permettent d’envisager des procédures cliniques simplifiées aboutissant à des résultats fiables et reproductibles. Le retrait de polymérisation des composites, responsable de nombreux échecs cliniques, est au centre de toutes les attentions. Des composites « bulk » innovants tels que Tetric EvoCeram® Bulk Fill semble constituer une solution simple et pérenne pour pallier ces problèmes. Toutefois, ils ne permettent pas de s’affranchir d’une méthodologie rigoureuse sous peine d’échec et nécessitent un certain recul clinique.