ORTHODONTIE
Asmae BENKADDOUR* Kenza LAHLOU** Nawal BOUYAHYAOUI***
*Résidente au département d’orthopédie dento-faciale
Faculté de médecine dentaire de Rabat, Maroc
**Spécialiste en orthopédie dento-faciale, praticienne du secteur privé
12, rue Oum Errabia, Agdal, Rabat, Maroc
***Professeur agrégé au département d’orthopédie dento-faciale
Faculté de médecine dentaire de Rabat
Université Mohammed V-Souissi, Maroc
La canine est une dent dont la présence sur l’arcade est fonctionnellement et esthétiquement indispensable. Son inclusion constitue un problème très fréquemment rencontré en pratique orthodontique.
La décision thérapeutique nécessite une collaboration étroite entre l’orthodontiste et le chirurgien : il s’agit d’un travail d’équipe dont l’objectif principal est de rendre service aux patients.
Un bon résultat esthétique ainsi qu’une bonne santé parodontale et une occlusion fonctionnelle constituent le fruit d’une coopération multidisciplinaire au cours des diverses phases de traitement.
La canine représente un élément clé de la fonction occlusale. C’est une dent dont la présence sur l’arcade est fonctionnellement et esthétiquement indispensable.
Elle est dite incluse lorsqu’elle est retenue dans le maxillaire au-delà de la date normale d’éruption, entourée de son sac péricoronaire et sans communication avec la cavité buccale [1].
Les problèmes posés par son inclusion, ainsi que la fréquence des patients consultant pour cette anomalie, font que cette dent détient, au sein des préoccupations orthodontiques, une place importante et imposent à l’orthodontiste une attention particulière, afin de la mettre parfaitement en place, pour qu’elle puisse assurer ses fonctions aussi bien que possible.
La fréquence de l’inclusion canine varie entre 0,92 [2] et 1 à 2 % [3-5] et on décrit 20 fois plus de canines incluses au maxillaire qu’à la mandibule [6]. Selon la littérature médicale, l’inclusion canine se produit plus fréquemment du côté palatin que du côté vestibulaire de l’arcade dentaire [7-9].
Cet article fait le tour du problème de l’inclusion canine, du dépistage à la mise en place, et insiste sur l’importance d’une prise en charge multidisciplinaire.
Classiquement, on peut distinguer deux grandes séries de causes de l’inclusion canine :
• les causes d’ordre général, dans lesquelles les inclusions dentaires font partie du tableau clinique de nombreux syndromes (maladie de Crouzon, fentes labio-palatines, etc.). L’hérédité de l’inclusion semble le plus souvent peu fréquente ; cependant, l’existence de dispositions familiales est admise. Une autre étiologie phylogénétique des inclusions est liée à la diminution de la place disponible et, donc, à la dysharmonie dento-maxillaire ;
• les causes d’ordre local, qui sont liées soit au germe lui-même en raison de malformations (rares) ou de perte de potentialité éruptive [4, 10], soit à l’environnement du germe (par obstruction du chemin d’éruption, traumatismes ou ankylose) [11].
La canine incluse peut être à l’origine de différentes complications. Ainsi, chez le patient adulte, le tableau est parfois augmenté d’accidents nerveux du type algies liées à la lyse des dents voisines avec atteinte pulpaire (fig. 1) ou d’accidents infectieux (péricoronarite en particulier), d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce permettant la mise en œuvre d’une thérapeutique adaptée au moment opportun [11].
Le diagnostic de l’inclusion canine est fondé sur deux examens, clinique et radiographique.
Contrairement aux dents du bloc incisif, l’inclusion canine se découvre souvent tardivement et fortuitement. Le praticien doit être attentif à la persistance tardive de canine(s) temporaire(s) (fig. 2), à la disparition de l’espace d’évolution entre l’incisive latérale et la première prémolaire (fig. 3) ou à la présence du signe de Quintéro (1936), qui est le signe pathognomonique de l’inclusion canine et qui se traduit par une vestibulo-position de la couronne de l’incisive latérale supérieure, sa distoversion et sa rotation mésio-vestibulaire (fig. 4).
L’absence ou la microdontie d’une ou des deux incisives latérales doit également retenir l’attention du fait de la disparition du guide d’éruption latéral.
La palpation est faite à la recherche de deux éléments :
• la mobilité de la canine temporaire (appréciation du degré de rhizalyse) et des incisives permanentes (recherche d’une atteinte radiculaire) ;
• la présence d’une voussure fibro-muqueuse, indolore, incompressible, palatine ou vestibulaire (fig. 5 et 6).
Dans le cadre de dents incluses, l’examen clinique ne permet que d’émettre une hypothèse de présomption d’inclusion ; ce n’est véritablement que l’examen radiographique qui affirmera le diagnostic positif d’inclusion [11, 12].
Aujourd’hui, la multiplicité des moyens d’investigation permet de répondre à toutes les interrogations du praticien sur l’inclusion canine ; cependant, dans la grande majorité des cas, les clichés classiques peuvent être suffisants pour répondre à son attente.
Cet examen est réalisé en première intention face à toute suspicion d’inclusion. Il présente l’avantage de donner une vue d’ensemble de l’arcade dentaire et des structures osseuses. Il renseigne sur la hauteur d’inclusion, l’axe général de la dent, son voisinage, mais ne permet pas de situer la position vestibulaire ou palatine de la dent [13] (fig. 7).
Les clichés rétroalvéolaires permettent de préciser la forme et l’anatomie de la canine incluse, les rapports de voisinage ainsi que l’existence ou la présomption d’une ankylose redoutable pour envisager sa mise en place.
La méthode de Pordes, Evan et Clarck permet également la localisation spatiale vestibulaire ou palatine de la dent incluse par la prise de trois clichés rétroalvéolaires : centré, mésio-excentrique et disto-centrique [11].
Il s’agit d’un film de grande dimension placé dans le plan d’occlusion horizontalement, permettant une visualisation dans deux plans de l’espace : antéro-postérieur et transversal [13].
Examen classique en orthodontie, la téléradiographie de profil fournit essentiellement des renseignements sur la position spatiale dans le plan vertical et dans le plan antéro-postérieur. Elle permet également d’objectiver les rapports avec le plancher des fosses nasales [11].
Ce type d’examen, réservé aux inclusions profondes, permet d’apprécier en particulier la morphologie de la dent, sa localisation très précise, ses rapports de proximité ainsi qu’une éventuelle résorption radiculaire [13, 14].
Cet élément de diagnostic est un préalable précieux dans la détermination de la voie d’accès chirurgicale et pour le tracé des incisions afin d’éviter les structures anatomiques à risque, mais surtout dans la précision de la localisation de la dent incluse pour ne pas réaliser un délabrement osseux excessif [15].
L’âge du patient va être déterminant dans l’acte préventif à mettre en place face aux risques d’inclusion. La suspicion de dents incluses va conduire le praticien à mettre en œuvre un traitement précoce avec :
• avulsion de la dent temporaire afin de modifier le trajet d’éruption de la dent permanente ;
• maintien de l’espace dévolu à la dent incluse, la perte prématurée de la dent temporaire nécessitant la mise en place éventuelle d’un mainteneur d’espace ;
• avulsion des dents surnuméraires. Les germes surnuméraires et les odontomes doivent être diagnostiqués et extraits précocement afin de prévenir les risques d’inclusion ;
• expansion transversale du maxillaire par augmentation de l’espace disponible au moyen d’un dispositif orthopédique (disjoncteur) (fig. 8 et 9) ;
• fermeture thérapeutique d’un diastème interincisif par frénectomie labiale supérieure face à un frein inséré profondément ou avulsion d’une mésiodens [6, 13, 16].
Plusieurs décisions thérapeutiques peuvent être prises devant une canine incluse.
L’abstention est préconisée lorsque la canine incluse est très ectopique, ne pouvant être mise en place sur l’arcade et ne présentant, de par sa position, aucune menace pour son environnement.
Dans ce cas, un contrôle régulier sera nécessaire afin d’intercepter toute pathologie évolutive de la dent laissée en place [13] (fig. 10).
Toute canine incluse ne pouvant être mise en place sur l’arcade, et qui présente ou est susceptible de présenter des complications nerveuses, infectieuses, mécaniques, d’ankylose, d’angulation coronoradiculaire importante, ou qui présente un danger pour une dent adjacente doit être extraite [13, 17].
Le volume osseux du site receveur est rarement compatible avec le diamètre de la dent transplantée [18].
C’est la technique de choix de mise en position fonctionnelle d’une dent incluse ; elle offre les meilleurs résultats et une pérennité de la dent à long terme.
Un espace à recréer sur l’arcade est presque toujours indispensable ; cette thérapeutique, souvent longue, est possible à tout âge mais exige une motivation et une hygiène irréprochables de la part du patient [13].
La mise en place de la dent incluse peut parfois, après la levée des obstacles dentaires, se dérouler naturellement.
Préparation orthodontique préchirurgicale
Cette préparation a pour but d’assurer un ancrage afin de tracter la dent incluse dès son dégagement chirurgical et d’aménager un site receveur sur l’arcade. Cette action pourra être obtenue soit par appareil amovible (transpalatin, Quad Helix…) (fig. 11), soit par un dispositif fixe multi-attaches avec divers accessoires (coil spring, traction intermaxillaire…) (fig. 12). Cet ancrage peut être également assuré par des implants ou des mini-implants [13].
Phase chirurgicale de désinclusion
La technique chirurgicale sélectionnée dépendra de la disposition spatiale de la canine et de la qualité du parodonte environnant :
• la gingivectomie est généralement indiquée lorsque la position de la canine incluse est superficielle et en présence d’une large zone de gencive attachée ;
• un lambeau vestibulaire repositionné est utilisé pour les canines en position intermédiaire (au milieu de la crête) et/ou haute ;
• le lambeau déplacé apicalement et/ou latéralement est indiqué pour créer ou maintenir un environnement parodontal idéal autour de la canine à tracter ;
• le lambeau palatin repositionné concerne les canines palatines incluses ; une ostéotomie peut être nécessaire pour permettre le collage [12, 17, 19].
Phase orthodontique postchirurgicale
Cette phase a pour but la mise en place sur l’arcade de la dent incluse. Il faut relier les transmetteurs de force aux générateurs de force dans une position idéale afin de guider l’éruption de la dent [13].
Pour l’ancrage, les attachements collés constituent un procédé de choix, alliant à la fois préservation des tissus parodontaux et intégrité tissulaire dentaire. Ils sont collés selon le protocole habituel sur la partie coronaire accessible, de préférence sur la face vestibulaire.
Le transmetteur de force est constitué, le plus souvent, d’une ligature en forme de toron se terminant par un crochet, les deux chefs soit étant libres, soit réalisant une chaînette à œillets (fig. 13).
Quant aux moyens générateurs de force, l’objectif à atteindre est l’obtention d’une force légère et continue. Classiquement, deux attitudes thérapeutiques sont adoptées :
• soit les dents d’ancrage sont reliées par un arc rigide de section proche de la maximale, sur lequel est placé un système auxiliaire (traction par élastique, chaînette élastomérique, ressort fermé ou arc sectionnel) ;
• soit l’arc principal sert également de générateur de force par sa déformation élastique en ayant recours à des boucles variées (en forme de « chaussettes », de boîtes, etc.), ou sans adjonction de boucles par l’utilisation de matériaux possédant un module d’élasticité élevé (fil TMA, nickel-titane) [11] (fig. 14).
Une force de traction d’intensité moyenne (de 30 à 50 g) semble adaptée selon les auteurs [11]. Classiquement, après la traction initiale, une évolution spontanée est souvent constatée, soulignant ainsi la réactivation d’un potentiel éruptif en sommeil et l’action orthodontique doit assurer un guidage plutôt qu’une réelle traction.
Pour ne pas rapprocher la canine des dents voisines, sa traction se fait en deux temps : d’abord un déplacement vertical la faisant émerger dans la cavité buccale, puis un déplacement horizontal permettant ainsi son alignement au sein de l’arcade [11, 12].
L’approche diagnostique et clinique face aux inclusions canines est aujourd’hui bien codifiée. La mise en place orthochirurgicale impose une rigueur certaine du point de vue du respect du parodonte et des structures dentaires voisines.
Une canine incluse bien mise en place ne peut l’être qu’en fonction du parodonte, de l’occlusion et de l’esthétique du sourire des patients, d’où la nécessité d’une approche raisonnée ainsi que d’une prise en charge multidisciplinaire face à cette situation clinique.