Clinic n° 02 du 01/02/2013

 

ENDO… AUTREMENT

Anne Charlotte FLOURIOT*   Sarah ATTAL**   Stéphane SIMON***  


*Étudiante Diplôme Universitaire Européen
d’endodontologie clinique
(université Paris Diderot-Paris 7)
**Diplôme Universitaire Européen
d’endodontologie clinique
Ancienne assistante hospitalo-universitaire
(université Paris Diderot-Paris 7)
Codirectrice du Diplôme Universitaire
Européen d’endodontologie clinique
***Maître de conférences en sciences
biologiques et endodontie
(université Paris Diderot-Paris 7)
Praticien hospitalier, Groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière-Charles-Foix
Directeur du Diplôme Universitaire
Européen d’endodontologie clinique
stephane.simon@univ-paris-diderot.fr
www.due-garanciere.fr

Le 12 septembre dernier se tenait la première cérémonie de remise des diplômes aux étudiants ayant suivi l’enseignement du diplôme universitaire européen d’endodontologie (DUEE) de l’université Paris Diderot (Paris 7).

À cette occasion, nous recevions l’équipe enseignante du programme d’endodontie de l’université ACTA (Academisch Centrum Tandheelkunde Amsterdam) pour l’élaboration d’une collaboration future.

En ouverture de la cérémonie, le...


Le 12 septembre dernier se tenait la première cérémonie de remise des diplômes aux étudiants ayant suivi l’enseignement du diplôme universitaire européen d’endodontologie (DUEE) de l’université Paris Diderot (Paris 7).

À cette occasion, nous recevions l’équipe enseignante du programme d’endodontie de l’université ACTA (Academisch Centrum Tandheelkunde Amsterdam) pour l’élaboration d’une collaboration future.

En ouverture de la cérémonie, le Pr Paul Wesselink, qui a assuré la direction du programme néerlandais pendant 20 ans, était invité à faire une conférence sur le thème « Retreat or not retreat, that is a fundamental question ».

Dans les lignes qui suivent, nous vous proposons un résumé de cette conférence qu’il nous semblait intéressant de partager.

Le processus décisionnel, toutes disciplines confondues, s’appuie sur l’éclairage que nous apporte la littérature médicale la plus récente ainsi que sur les avancées de la recherche. Les grands concepts sur lesquels reposent nos choix cliniques évoluent ainsi au fil du temps et de l’état de nos connaissances.

Considérons qu’il y a 10 ans, c’était le concept d’étanchéité qui gouvernait toutes les prises de décisions en matière de retraitement endodontique. Tout manque d’étanchéité rendait inévitable la révision du cas. À l’échelle microscopique, ce concept a pris le nom de microleakage et était apparu au sein de la littérature médicale anglophone dans les années 1980. La possible association entre le manque d’étanchéité coronaire et l’échec endo­dontique, suscitant l’intérêt de la communauté scientifique endodontique, a alors fait l’objet de nombreuses recherches. La majorité des études ainsi menées ont été cependant conduites par des étudiants diplômés au lieu de l’être par des spécialistes et une grande diversité en termes de méthodes et de dispositifs utilisés a rendu extrêmement délicate la comparaison des différents résultats obtenus. De très fréquentes erreurs de manipulation ont pu être démontrées au sein des travaux de recherche étudiant le phénomène de microleakage sur dents préalablement traitées [1]. À ce jour, aucun modèle expérimental n’est en mesure de fournir des données cliniques pertinentes en ce qui concerne ce phénomène.

Le concept de microleakage apparaissait comme vide de sens clinique et, au cours des années, de nouveaux concepts décisionnels en matière de retraitement endodontique ont vu progressivement le jour.

Concernant la question du retraitement endodontique, il semble ainsi pertinent de faire le point sur les concepts qui prévalent en 2012.

Selon l’arbre décisionnel de Keina et al. [2] (fig. 1), quatre grands concepts fédèrent la prise de décision du praticien :

• la présence ou l’absence de symptomatologie ;

• la qualité de l’obturation endodontique initiale ;

• la présence ou l’absence d’étanchéité coronaire ;

• la présence ou l’absence de lésion périapicale.

Afin d’adopter la meilleure démarche clinique possible, le praticien doit considérer quatre critères pronostiques qui sont étroitement associés au taux de succès [3, 4] :

• l’absence de lésion préopératoire ;

• une obturation canalaire dense, sans vides ;

• une obturation de longueur correcte (maximum à 2 mm de l’apex) ;

• une étanchéité coronaire adéquate.

Considérant qu’il a été démontré que tout canal préparé et obturé de façon tridimensionnelle est capable de résister à la pénétration bactérienne [5], et ce malgré une exposition à l’environnement buccal à long terme, une prise de décision fondée sur le seul critère d’étanchéité coronaire apparaît aujourd’hui obsolète.

L’arbre décisionnel de Keinan et al. [2] soulève une autre question d’envergure : doit-on réintervenir dès lors qu’une image périapicale est détectée à l’examen radiographique ?

La prise de décision dans une telle situation relève de l’analyse d’un ensemble de facteurs déterminés par les réponses aux questions ci-après.

• Quel est l’état général du patient et quels sont ses souhaits ?

• La découverte est-elle fortuite ou découle-t-elle d’une plainte formulée par le patient, ayant poussé le praticien à réaliser un examen radiographique ?

• Possède-t-on d’anciens clichés ? Est-on en présence d’une lésion en cours de cicatrisation ?

• Quel serait le rapport bénéfice/risque pour le patient en cas de nouvelle intervention ?

• Quels sont les capacités de l’opérateur et les moyens à disposition pour réaliser cet acte ?

Si la découverte est fortuite, il est intéressant d’étudier les raisons qui poussent le plus souvent un praticien vers la solution du retraitement endodontique. On en dénombre trois.

Premièrement, le risque de répercussion sur l’état de santé général du patient.

Quel est l’impact réel, sur l’état général, du maintien d’une inflammation périapicale à long terme ? En ce qui concerne cette interrogation, nos connaissances ont progressé au cours des 15 dernières années mais restent cependant insuffisantes. Une association significative a ainsi pu être mise en évidence : entre le total dental index (TDI)1 et l’existence de maladies cardiovasculaires, et entre la perte dentaire et l’existence de problèmes cardio-vasculaires (fig. 2).

Cependant, une étude de Buttke et al. [8] ne met pas en évidence de corrélation entre la présence d’une parodontite apicale et une élévation sanguine du taux de protéine C réactive (CRP, C-reactive-protein). Or, il a été démontré qu’un taux de CRP s’élevant entre 1-3 mg/l constituait un facteur majeur de risque cardiovasculaire [9].

Pour ajouter à la controverse, une étude préliminaire réalisée chez l’animal, pour l’instant non publiée, a obtenu des résultats en contradiction avec l’étude de Ridker et al. [9]. Il serait démontré que le développement de multiples cas de parodontites apicales est à associer avec une augmentation significative du taux de CRP. Six mois après traitement endodontique, ce taux diminuerait sensiblement, tout en étant toujours légèrement supérieur au taux de référence.

Alors…, la guérison d’une parodontite apicale est-elle bénéfique pour l’état de santé général ?

Compte tenu du nombre extrêmement restreint d’essais cliniques contrôlés réalisés pour évaluer le risque de répercussion sur l’état de santé général d’une parodontite apicale, la majorité des auteurs considère comme faible le risque de répercussion médicale d’une lésion d’origine endodontique sur l’état général des patients, à considérer que ceux-ci n’ont aucun problème de santé particulier.

Deuxièmement, le risque de flare-up.

Qu’en est-il vraiment selon les données fournies par la littérature médicale ? L’étude longitudinale de Kirkevang et al. [10], qui explore l’état endodontique de patients au sein de la population danoise peut donner des éléments de réponse. En effet, après un suivi de 6 ans sur l’ensemble des dents présentant une parodontite apicale au début de l’étude, 25 % ont été extraites et 30 % traitées endodontiquement. Il semble ainsi primordial d’insister sur la nécessité d’un suivi rigoureux en cas de découverte d’une image de parodontite. La « surveillance » doit en fait prendre le pas sur la réintervention systématique, et ce, bien sûr, en l’absence de projet prothétique.

Troisièmement, le risque de développement de la lésion et la possibilité d’endommager les structures environnantes.

Un grand nombre de facteurs doivent ainsi être pris en compte et évalués à leur juste mesure. Les éléments à garder à l’esprit et qui doivent faire pencher le praticien vers l’abstention thérapeutique sont les suivants :

• la lésion est ancienne et asymptomatique ;

• le retraitement s’annonce extrêmement complexe, coûteux et peut engendrer des souffrances pour le patient ;

• l’affaiblissement de la dent risque d’être trop important.

Ainsi, le choix d’une réintervention en endodontie reste extrêmement arbitraire. Le support scientifique permettant au praticien d’orienter sa décision thérapeutique est encore perfectible.

Quoi qu’il en soit, c’est la demande d’un patient informé qui doit rester au centre des préoccupations du praticien.

Finalement, le chirurgien-dentiste fait la synthèse entre les informations fournies par son patient, sa situation, ses besoins et les preuves scientifiques dont il dispose. Cette synthèse est mise à la disposition du patient qui choisit ce qui lui convient le mieux.

1 Indice renseignant la charge infectieuse. Il comptabilise les lésions carieuses, la maladie parodontale et les cas de parodontite apicale.

Bibliographie

  • [1] Rechenberg DK, De-Deus G, Zehnder M. Potential systematic error in laboratory experiments on microbial leakage through filled root canals : review of published articles. Int Endod J 2011;44;183-194.
  • [2] Keinan D, Moshonov J, Smidt A. Is endodontic re-treatment mandatory for every relatively old temporary restoration ? A review. J Am Dent Assoc 2011;142:991-996.
  • [3] Ng YL, Mann V, Rahbaran S, Lewsey J, Gulabivala K. Outcome of primary root canal treatment : systematic review of the literature. Part 2. Influence of clinical factors. Int Endod J 2008;41:6-31.
  • [4] Liang YH, Li G, Shemesh H, Wesselink PR, Wu M. The association between complete absence of post-treatment periapical lesion and quality of root canal filling. Clin Oral Investig. 2012 Dec;16(6):1619-26
  • [5] Ricucci D, Bergenholtz G. Bacterial status in root-filled teeth exposed to the oral environment by loss of restoration and fracture or caries. A histobacteriological study of treated cases. Int Endod J 2003;36:787-802.
  • [6] Mattila KJ, Asikainen S, Wolf J, Jousimies-Somer H, Valtonen V, Nieminen M. Age, dental infections, and coronary heart disease. J Dent Res 2000;79:756-760.
  • [7] Hung HC, Joshipura KJ, Colditz G, Manson JE, Rimm EB, Speizer FE, Willett WC. The association between tooth loss and coronary heart disease in men and women. J Public Health Dent. 2004 Fall;64(4):209-15.
  • [8] Buttke TM, Shipper G, DelanoEO, Trope M. C-reactive protein and serum amyloid A in a canine model of chronic apical periodontitis. J Endod 2005;31:728-732.
  • [9] Ridker PM, Cushman M, Stampfer MJ, et al. Inflammation, aspirin, and the risk of cardiovascular disease in apparently healthy men. N Engl J Med. 1997;336:973-9.
  • [10] Kirkevang LL, Vaeth M, Hörsted-Bindslev P, Wenzel A. Longitudinal study of periapical and endodontic status in a Danish population. Int Endod J 2006;39:100-107.

Lectures complémentaires conseillées

Caplan DJ, Chasen JB, Krall EA, Cai J, Kang S, Garcia RI et al. Lesions of endodontic origin and risk of coronary heart disease. J Dent Res 2006;85:996-1000.

Cotti E, Dessì C, Piras A, Flore G, Deidda M, Madeddu C et al. Association of endodontic infection with detection of an initial lesion to the cardiovascular system. J Endod 2011;37:1624-9.

Frisk F, Hakeberg M, Ahlqwist M, Bengtsson C. Endodontic variables and coronary heart disease. Acta Odontol Scand 2003;61:257-262.

Joshipura KJ, Douglass CW, Willett WC. Possible explanations for the tooth loss and cardiovascular disease relationship. Ann Periodontol 1998;3:175-183.

Joshipura KJ, Rimm EB, Douglass CW, Trichopoulos D, Ascherio A, Willett WC. Poor oral health and coronary heart disease. J Dent Res 1996;75:1631-1636.

Mattila KJ, Nieminen MS, Valtonen VV, Rasi VP, Kesaniemi YA, Syrjala SL et al. Association between dental health and acute myocardial ­infarction. BMJ. 1989;298:779-781.

Li X, Kolltveit KM, Tronstad L, Olsen I. Li X, Kolltveit KM, Tronstad L, Olsen I.

Murray C, Saunders W. Root canal treatment and general health : a review of the literature. Int Endod J 2000;33:1-18.

Paraskevas S, Huizinga JD, Loos BG. A systematic review and meta­analyses on C-reactive protein in relation to periodontitis. J Clin Periodontol 2008;35:277-290.

Paula-Silva FWG, Wesselink PR, Leonardo MR, Silva AVB, Faccioli LH, Sorgi CA et al. The influence of root infection and root canal treatment on dynamic changes of C reactive protein concentration in blood serum : a preliminary study. Inédit

Willershausen B, Kasaj A, Willershausen I, Zahorka D, Briseño B, Blettner M et al. Association between chronic dental infection and acute myocardial infarction. J Endod 2009;35:626-630.