Un allongement de la durée du travail dans la semaine et sur l’année, une progression du chiffre d’affaires en même temps qu’un alourdissement des charges des cabinets, des patients qui ont de plus en plus de mal à régler les honoraires et un stress qui augmente… Voilà quelques points clés mis à jour par la deuxième enquête annuelle sur la profession réalisée conjointement par Clinic et le Groupe Edmond Binhas.
Le nombre de chirurgiens-dentistes ayant répondu à l’enquête avoisine 350, dont près des deux tiers sont des hommes. Les praticiens sont sans surprise des omnipraticiens pour 80 % d’entre eux. La répartition entre les différentes générations est assez équilibrée, à l’exception de la tranche d’âge des 45-55 ans qui est légèrement plus représentée (31 %). L’exercice en solo apparaît largement prépondérant (66 % des praticiens). Les statuts de titulaire et d’associé représentent 22 % des modes d’exercice tandis que ceux de collaborateur et de remplaçant totalisent les 12 % restants.
La répartition géographique est elle aussi à peu près équilibrée entre toutes les régions. Les praticiens exercent pour les trois quarts d’entre eux dans des communes de moins de 100 000 habitants et dans des zones rurales, ce qui reflète bien la réalité. La faible part de praticiens exerçant dans de grandes villes peut aussi être le signe, déjà constaté, d’un repli de ces praticiens sur eux-mêmes en cette période économiquement plus tendue. Ce repli en zone urbaine peut avoir deux causes : d’une part, les patients ont beaucoup plus tendance à avoir un comportement de consommateur suspicieux et, d’autre part, la concurrence entre praticiens est souvent vive.
Curieusement, comme l’année dernière et contrairement à une idée répandue, plus des deux tiers (68 %) des praticiens interrogés indiquent avoir au moins une assistante. Celle-ci est généralement polyvalente. Ils sont 18 % à en avoir deux et 14 % en ont embauché trois ou même plus. Cependant, la plupart des assistantes ne participent pas à un travail à quatre mains. Ainsi, 74 % des praticiens interrogés reconnaissent ne pas avoir d’assistante au fauteuil. Elles sont occupées à d’autres tâches. Le salaire moyen annoncé pour une assistante est, dans l’enquête de cette année, inférieur à celui de l’année précédente : 1 527 euros en moyenne cette année contre 1 683 euros l’année précédente. Il s’agit d’une baisse significative à envisager cependant avec beaucoup de précautions. En effet, il est possible qu’une partie au moins des assistantes ne travaille qu’à mi-temps. Toutefois, plus de la moitié des chirurgiens-dentistes (54,2 %) affirme verser un salaire net supérieur à 1 500 euros. Parmi eux, 7 % versent un salaire supérieur à 2 000 euros.
Si le nombre de praticiens travaillant 3 jours ou moins est resté stable (14 %) de même que celui de ceux travaillant 3,5 à 4 jours (47 %), il est à noter une forte augmentation de ceux qui travaillent 4,5 jours ou plus. Ils sont maintenant 40 % contre 35 % l’an dernier. Si l’on examine le nombre d’heures travaillées par jour, on constate là aussi un allongement de la durée du travail. Ainsi, 59 % des sondés travaillent entre 9 et 11 heures par jour et 22 % entre 11 et 14 heures par jour. Une part non négligeable de praticiens (6,6 %) déclare même travailler plus de 14 heures par jour.
On observe aussi une tendance à un allongement du nombre de semaines travaillées. Le temps consacré aux congés a sensiblement diminué. La part des praticiens qui prenait encore 5 semaines et plus l’an dernier est tombée à 66 % (75 % l’an dernier). La part des praticiens qui prennent entre 3 et 5 semaines a progressé, passant de 25 % à près de 29 %.
Il découle de ces trois approches de l’évolution du temps de travail – chaque jour, chaque semaine et dans l’année – que le nombre d’heures travaillées a augmenté de façon significative dans la profession. Cette observation est sans doute à rapprocher de la progression du chiffre d’affaires annoncé dans 32 % des cabinets et sur laquelle nous reviendrons.
Une autre façon d’envisager le temps de travail est de s’intéresser aux perspectives de l’âge de la retraite. La part des chirurgiens-dentistes qui avait l’espoir de s’arrêter avant 65 ans a baissé, passant de 46 à 26 %. Dans le même temps, le tiers des praticiens interrogés pense céder son cabinet au-delà de 67 ans contre 16 % l’an dernier. Un allongement de la durée d’activité semble ainsi être intégré par les praticiens dans leurs perspectives professionnelles. On peut penser que les praticiens du baby-boom, voyant arriver l’âge de la retraite, réalisent qu’il leur sera probablement nécessaire de travailler plus longtemps. Signalons aussi que 13 % des sondés prévoient de prendre leur retraite au-delà de 70 ans !
Sur le plan de l’organisation du travail, plus de la moitié des chirurgiens-dentistes (55 %) donnent des rendez-vous toutes les demi-heures ! Ce mode de gestion du carnet de rendez-vous a fortement tendance à accroître le stress du soignant et à réduire la productivité du cabinet. Toutefois, le tiers des praticiens donne des rendez-vous de trois quarts d’heure et une heure.
En croisant le nombre de jours travaillés par semaine avec le nombre de patients reçus, on observe que quel que soit le nombre de jours travaillés dans la semaine, le nombre de rendez-vous donnés oscille entre 14 et 16 par jour.
Sans surprise, près de 40 % des personnes ayant répondu à l’enquête indiquent recevoir de 10 à 20 nouveaux patients par mois. Il s’agit d’une moyenne classique dans les cabinets depuis de nombreuses années. Toutefois, deux faits sont à noter. Plus du quart des chirurgiens-dentistes (28,3 %) annonce qu’il reçoit de 20 à 40 nouveaux patients par mois et un peu moins d’un quart (23,3 %) déclare en recevoir moins de 10 par mois. Une analyse plus fine démontre sans surprise que ces derniers exercent dans des zones à forte densité professionnelle où la concurrence est vive.
Les questions financières restent encore taboues dans la profession. Seuls 42 % des praticiens participant à l’enquête ont accepté de répondre à nos questions concernant leur chiffre d’affaires et son évolution, données qu’il s’agit donc de prendre avec beaucoup de précautions. Pour ces chirurgiens-dentistes, la médiane globale de leur chiffre d’affaires s’élève à 290 000 euros, soit une progression notable de 32 % par rapport à l’an dernier (250 000 euros). Dans le détail, on observe que la moitié des praticiens enregistre une progression de son chiffre d’affaires, le quart des praticiens une stagnation et un autre quart une baisse de ce chiffre d’affaires. L’augmentation du temps de travail pourrait expliquer au moins en partie la progression du chiffre d’affaires. Ce phénomène peut aussi expliquer, tout simplement, la nécessité de maintenir son pouvoir d’achat face à l’inflation des charges du cabinet.
Le poids des charges d’un cabinet semble avoir augmenté de façon très marquée d’une année sur l’autre. Le pourcentage de praticiens indiquant des charges comprises entre 50 et 60 % du chiffre d’affaires est en effet passé de 3 à 17 %. Plus spectaculaire encore, ceux affirmant que leurs charges représentent entre 60 et 80 % de leur chiffre d’affaires sont passés de 30 à 56 %, soit près du doublement du nombre de praticiens désormais dans cette tranche. Signalons enfin que le nombre de praticiens ayant plus de 80 % de charges est passé de 1,8 à 5,6 %.
Fait notable, pour près de 43 % des praticiens, les soins opposables représentent la moitié du chiffre d’affaires, voire plus dans certains cas. Il est à remarquer que ce pourcentage est inversement proportionnel au chiffre d’affaires lui-même. Il est vrai que la seule réalisation des soins pris en charge est confortable pour les praticiens dans la mesure où elle n’engendre aucune discussion financière avec le patient. Toutefois, il va de soi que plus le praticien consacre du temps à ces seuls traitements, plus le chiffre d’affaires du cabinet est réduit puisqu’il s’agit des actes à plus faible productivité. Là aussi, le tabou vis-à-vis de l’argent semble être prépondérant. En effet, comment expliquer autrement que certains cabinets réalisent essentiellement les soins pris en charge et pas les autres ? Cela signifie qu’ainsi, ces cabinets ne pourront jamais faire face à l’augmentation à venir inévitable des charges fixes d’un cabinet.
L’enquête met aussi en lumière des évolutions concernant le mode de règlement des patients. Sur ce plan, le Groupe Edmond Binhas constate un net changement depuis 2008. Et ce phénomène semble s’accentuer cette dernière année. Ainsi, la part des cabinets qui propose (ou constate) un échelonnement des paiements est passée de 55 % l’an dernier à 89 % cette année. Autre évolution, le nombre de praticiens acceptant le tiers payant a progressé de 23 à 41 %. Enfin, le recours au crédit de la part des patients a plus que doublé d’une année sur l’autre pour concerner aujourd’hui 7,5 % des praticiens. Comme l’année dernière enfin, le taux d’impayés reste faible puisque les trois quarts des praticiens déclarent avoir moins de 3 % d’impayés.
Les résultats concernant les partenariats avec les complémentaires de santé surprennent. En effet, bien que 56 % des praticiens ayant répondu à cette question affirment que ce type de partenariat n’a aucune influence sur l’acceptation des plans de traitement, 60 % ont signé un protocole d’accord avec une complémentaire de santé.
L’ouverture de centres dentaires dits low cost partage la profession. L’ouverture d’un tel centre à proximité de leur cabinet n’inquiète pas la majorité des praticiens (58 %). Précisons cependant qu’ils sont, pour la plupart, implantés en zone rurale ou dans de petites villes. Mais une forte minorité (42 %) s’en inquiète.
Le niveau de stress de la profession s’est accru en 1 an. La part des praticiens indiquant un niveau de stress élevé et très élevé a bondi de 17 à 42 %. Ces résultats ne sont pas surprenants. Les remarques faites par les praticiens quant aux raisons de cette augmentation du stress sont nombreuses et fortes. En voici quelques-unes : « Heureusement, il y a la chasse et la pêche ! », « Je serai sans doute mort avant l’âge de la retraite ! », « Marre des soins et chirurgies déficitaires » ou encore « Notre profession est de plus en plus contraignante avec des normes poussées à l’extrême (radioprotection). La nomenclature est obsolète… et les plateaux techniques sont de plus en plus onéreux ! »
Ces remarques témoignent d’un sentiment de contrainte et d’une sorte de ras-le-bol face à cette évolution rapide d’une profession que certains ne reconnaissent plus. Relevons tout de même que pour une large majorité de la profession (57 %), le niveau de stress reste bas ou tolérable. Il semble que les jeunes praticiens soient plus optimistes que ceux des générations précédentes.
343, c’est le nombre de chirurgiens-dentistes qui ont répondu à notre enquête inédite lancée sur Internet et dans la revue Clinic entre le 1er septembre et le 20 octobre. 80 % des réponses ont été recueillies sur Internet. Elles ont été saisies dans le logiciel Sphynx + pour l’analyse statistique.
Nous remercions chaleureusement les chirurgiens-dentistes qui ont pris le temps de répondre à cette enquête. Ceux qui y ont répondu intégralement ont participé à un tirage au sort ; 50 lots étaient mis en jeu.
• À la question : « Envisagez-vous de changer de statut ? », 4 % des libéraux répondent qu’ils souhaitent devenir salariés tandis que 2 % des salariés veulent devenir libéraux.
• Pourquoi choisir le salariat après un exercice en libéral ? « Ras le bol des charges et des règlements idiots », « Pour avoir les avantages des cadres sans le poids administratif », « Trop de responsabilités », « Devient impossible de travailler en libéral en France », « Coût de fonctionnement des cabinets »…
• Et pourquoi choisir le libéral après le salariat ? « Avoir mon propre cabinet », « Plus de liberté d’exercice et de décision », « Association avec un confrère », « Besoin de liberté », « Plus intéressant ».