Clinic n° 01 du 01/01/2013

 

ORTHODONTIE

Jean-Luc PRUVOST  

Orthodontiste exclusif
Master of science, Georgetown University
98 avenue Kléber 75 116 Paris

Les techniques orthodontiques fixes traditionnelles les mieux acceptées font appel à des forces intermaxillaires. Il s’agit en général des très vulgarisés élastiques intermaxillaires dont le maniement est lié à certaines dents ou groupes de dents dites d’ancrage. Or les ancrages osseux profonds peuvent s’additionner ou se substituer aux dents d’ancrage.

Lorsque, dans l’arcade soutenant les forces mésialisantes, ces systèmes sont utilisés sans forces de fermetures d’espaces, ils sont générateurs de mésialisation [1] de cette même arcade.

Les forces intermaxillaires potentiellement génératrices de fuite apicale de l’attache parodontale [2] dans la zone incisivo-canine. Cela est plus particulièrement vrai à l’arcade inférieure lorsque celle-ci est en charge de l’ancrage résistant.

Ces effets secondaires néfastes sont une préoccupation journalière pour les orthodontistes. Or, les ancrages osseux profonds peuvent s’additionner ou se substituer aux dents d’ancrage. Mieux, ils peuvent éliminer les problèmes de coopération liés aux élastiques de classe 2 ou de classe 3 car ils peuvent être placés dans des sites stratégiques éliminant le besoin d’élastiques intermaxillaires en permettant d’appliquer des forces selon des vecteurs plus judicieux. Enfin, leur placement est susceptible d’intéresser tout praticien s’intéressant à la chirurgie implantaire.

Définition

On appelle ancrages osseux alvéolo-dentaires des vis de titane ou d’acier inoxydable ne pouvant être ostéo-intégrées et destinées à être placées soit dans les sept soit dans les espaces d’extraction.

À l’opposé, les ancrages squelettiques profonds se placent loin des structures dentaires et hors des arcades.

Historique

Les ancrages osseux ont profondément modifié le pronostic de nombreux traitements orthodontiques.

Mais d’abord, il est intéressant de faire le point sur ce qu’on appelle « ancrage » en orthodontie puis de savoir quelle place donner aux différents types d’ancrages osseux.

L’ancrage dentaire fait souvent référence à la « place à perdre » [3] par fermeture de l’espace d’extraction d’une ou de plusieurs dents stratégiquement choisies. Cette réserve de puissance est utilisable soit directement, soit par l’intermédiaire d’élastiques intermaxillaires face à un problème donné.

C’est à la fin des années 1980 [4-6] que sont apparus les implants ostéo-intégrés comme ancrage orthodontique. Placés dans la voûte palatine (fig. 1 et 2) et reliés par une suprastructure en nickel-chrome coulée, ils permettaient de résoudre les cas d’encombrement sévère [7]. Dans ces cas, l’ancrage dentaire était totalement perdu et l’on ne pouvait plus compter sur l’extraction de prémolaires pour créer de l’espace, celles-ci ayant été préalablement extraites. L’indication constituait un dernier recours car il n’existait pas de consensus. Cette procédure permettait de modifier l’ambition des plans de traitement et, par conséquent, d’amoindrir la sévérité du diagnostic telle qu’on la concevait à l’époque.

Cependant, en dépit de leurs succès thérapeutiques, ces protocoles étaient difficilement acceptés, lourds sur le plan financier si l’on se réfère au prix de la « prothèse implantoportée » (fig. 3 à 6) [8, 9] et longue à mettre en action en raison du temps nécessaire à l’ostéo-intégration.

En fait, ce n’est qu’au début des années 2000 que l’expression ancrage osseux a vu le jour grâce aux micro-implants alvéolo-dentaires ou vis orthodontiques, plus communément appelées vis coréennes [10].

Micro-implants

Dès 2002, les micro-implants ont permis d’intervenir plus directement sans le concours de chirurgiens et donc avec moins de pesanteur qu’avec les implants palatins ostéo-intégrés (fig. 5).

Des résultats intéressants, voire spectaculaires, ont été obtenus et présentés par l’école coréenne (au congrès d’orthodontie linguale à Hawaï en 2002). On a rapidement considéré que les micro-implants étaient mieux ciblés et plus faciles à faire accepter. Cependant leur fiabilité les a fait remettre en cause. De plus, ils sont moins aptes à résoudre de manière reproductible des problèmes majeurs tels que le traitement d’une sévère malocclusion squelettique de classe 2 chez l’adulte caucasien.

Enfin, ces implants destinés à être rapprochés des zones problématiques grâce à leur miniaturisation (fig. 7) se placent aussi près des racines.

Ainsi, ces vis deviennent-elles assez souvent des chicanes s’opposant ou limitant les déplacements.

Inversement, la fragilité de ces implants leur interdit aussi d’être ancrés à des bras de levier à longue portée ou soumis à des forces importantes [2, 7]. Enfin, leur connectique limitée ne permet pas facilement les systèmes de poussée.

Cependant, leur taille modeste leur permet d’être insérés sur les portions dentées d’arcades complètes, comme l’illustre la figure 8 avec un implant placé en vestibulaire entre les première et deuxième molaires.

Un système d’application de forces vestibulaires peut ainsi être utilisé. Quant aux bras à report apical, ils contrôlent mieux les versions tout en échappant au regard.

Il est intéressant aussi de noter l’usage des chaînages (torons de ligatures) de façon à ne pas appliquer de forces brutales sur ces implants relativement délicats (fig. 7 et 8).

L’œil profane s’interroge sur la nécessité de ces complications. Il s’agit en effet d’éviter tout mouvement mésial des molaires, ce qui ne manquerait pas de se produire si la fermeture était déclenchée par des forces réciproques entre les dents antérieures et les molaires en sachant que la mésialisation domine toujours au maxillaire supérieur.

Comme pour contredire les réserves énoncées à l’encontre des mini-implants, voici un cas où l’agénésie d’une 12 est mise à profit pour installer un système d’application de forces très ciblées permettant à la fois de contrôler l’axe des racines tout en inhibant les rotations induites si seule la face linguale des dents avait été sollicitée (fig. 9 à 11).

Dans ce cas, la force distale appliquée à la 13 se fait par l’intermédiaire d’un ressort NiTi (fig. 10) alors qu’une « garde montante* » ancrée à l’implant Léone transforme la 11 en ancrage (fig. 11). Enfin, la résultante latérale de ce système en V est annulée par l’arc servant de guide.

De nombreux types et marques de mini-implants ont été testés avec des résultats différents selon les marques, les tailles, les localisations et la méthode de pose.

L’expérience clinique a permis de constater qu’il existe un seuil de précarité des vis lié à leur diamètre quelle que soit la qualité de la pose. En effet, des implants de petit diamètre (1,3 mm) sont incertains même si la pose s’est avérée exceptionnelle et la stabilité primaire excellente. Cette précarité semble disparaître au-dessus du diamètre 1,6 mm [11].

La pose mécanique au contre-angle très basse vitesse [12] liée à des implants autoforants semble le protocole réunissant à la fois simplicité, rapidité et excellent résultat (stabilité primaire et secondaire).

Un tri sans pitié a également été fait parmi les constructeurs qui, par ailleurs, redoublent d’ingéniosité. Ainsi, pour citer les principaux :

• la société Léone fut l’une des premières à proposer une trousse complète avec clef à retour d’angle pour les zones postérieures ainsi que des implants autotaraudants en acier inoxydable, donc peu cassants, dans les faibles diamètres et sans risque d’ostéo-intégration ;

• la société Lancer privilégie la simplicité de l’instrumentation et livre des vis à col long pour la muqueuse palatine accompagnées d’un système de têtes carrées (fig. 12) évitant les problèmes de désinsertion de l’instrumentation nuisible à l’implant ;

• Dentaurum propose pour ses implants une trousse très complète, remarquable de précision, ainsi qu’une clef dynamométrique avec rupteur de torque et de nombreux accessoires de connectique entre implants et appareil orthodontique ;

• Deltex met à disposition pour sa visserie des embouts pour contre-angles basse vitesse pouvant s’adapter sur des têtes hexagonales mais aussi sur des têtes à gorges croisées (similaires à des brackets) (fig. 13 et 14). De plus, sa visserie en titane autoforante, autotaraudante et auto-impactante (l’espacement entre les lames hélicoïdales de la vis diminue en se rapprochant de la tête de vis) possède un pas progressif, une âme fine et à larges lames latérales (fig. 15 et 16) qui favorisent la stabilité primaire par compactage osseux utile au maxillaire.

Enfin, et ceci est valable pour tout type d’implants, de vis et de plaques, ces systèmes doivent être mis sous tension dans les 3 jours suivant la pose, c’est-à-dire avant que se déclenche l’ostéolyse réactionnelle au forage [12].

Seule la pose d’implants orthodontiques au pronostic excellent et sans risque, comme ces vis monocorticales et bicorticales (fig. 13 et 14) qui transfixent le procès alvéolaire, se fera au cabinet orthodontique. De même pour cette vis tubérositaire de 2 mm de diamètre qui reste loin des racines et de troncs vasculaires.

Seront à éviter les localisations postérieures dans la voûte palatine (fig. 17) qui n’excède pas 2 à 3 mm d’épaisseur.

En fait, aucun des systèmes précédents ne constitue une panacée, ils sont soit trop compliqués et encombrants, soit trop fragiles et inconstants. Ils constituent cependant une part de l’arsenal thérapeutique que tout praticien contemporain ne peut plus ignorer.

Il existe cependant une nouvelle variété d’ancrages que nous avons baptisés régionaux ou profonds : ils ne nécessitent pas l’ostéo-intégration mais puisent leur résistance dans la densité de l’os rencontré. Leur enfouissement profond se fait dans des structures distantes du problème et loin des dents, ce qui permet de s’affranchir de la vigilance vis-à-vis du système radiculaire [14].

Ces structures d’ancrage peuvent être corticales, comme celles placées sur les parois sinusales au niveau du pilier de l’os zygomatique (cintre maxillo-malaire) ou cortico-spongieuses, comme au prémaxillaire, dont on pourra transfixer les deux corticales palatine et nasale [2, 8], ou bien encore comme la zone tubéro-ptérygoïdienne où l’on transfixera la tubérosité pour aller chercher les ailes de l’apophyse ptérygoïde (P. Tessier, communication personnelle).

Nous verrons que des systèmes très différents seront indiqués selon le théâtre opérationnel.

L’un de ces systèmes précurseurs se nomme Bollard (fig. 18 et 19), ce qui signifie « poste d’amarrage » en français [14].

Il s’agit d’un système très solide fixé au maxillaire sur la crête du cintre maxillo-malaire faite d’os cortical épais donc bien adapté à la réception de vis. Il est relativement facile d’emploi pour l’orthodontiste bien que demandant une instrumentation « propriétaire » (tournevis pentagonal). En revanche, il est assez délicat à placer car très instable et fait d’un grade de titane qui supporte mal les plicatures, ce qui peut entraîner des cassures à long terme.

Son système de blocage des accessoires de type serre-câble est fiable et peu fragile. En revanche, les soudures entre la lame support des vis et la potence ont montré quelques faiblesses et supportent mal les plicatures secondaires parfois nécessaires. En effet, la plaque peut migrer doucement dans l’os sans perdre sa stabilité. Des plicatures d’adaptation deviennent alors nécessaires. Or, des plicatures secondaires peuvent provoquer une fracture ou un arrachement des vis.

Deltex a mis au point un système concurrent qui semble plus facile à poser, plus stable à long terme, plus facile à ajuster par l’orthodontiste et beaucoup plus rapide à activer lors des séances au fauteuil. Cela est dû à plusieurs facteurs :

• un dessin cruciforme asymétrique à double courbure (système PAD®) qui suit l’anatomie de l’arc maxillo-malaire (fig. 20 et 21). Il permet une stabilité peropératoire, et évite la lyse osseuse secondaire par l’augmentation de l’espacement des trous de vis ;

• le choix d’un grade de titane plus souple qui permet à la fois la cicatrisation autour de la potence transmuqueuse et l’utilisation de plicatures secondaires (à l’aide d’une pince 3 becs de gros calibre). Il s’agit d’éloigner la potence du fond du vestibule ou des procès alvéolaires lorsque cela est nécessaire. De surcroît, et peut-être le plus important en technique linguale, il est possible de développer des mécanismes de poussée (fig. 22), donc qui échappent au regard et faciles à réactiver ;

• enfin, ces mécanismes de poussée ont vu leur facilité de réactivation grandement améliorée par un dessin original.

Il s’agit de disposer la potence selon un axe antéro-postérieur parallèle au plan d’occlusion et à environ 3 mm du fond du vestibule (fig. 21 à 26) si bien qu’après son émergence à angle droit du vestibule à la hauteur de la jonction gencive attachée-muqueuse alvéolaire, elle est pliée à nouveau à angle droit de son axe d’émergence supramolaire en direction des commissures labiales (fig. 24). Associée aux coulisseaux Deltex, on a donc à disposition une glissière (fig. 23 à 26) qui rend les activations rapides et fiables.

Un autre point positif de cet ancrage est sa capacité à effectuer simultanément plusieurs actions à distance l’une de l’autre, notamment dans le sens vertical.

Notons au passage que ce système apporte une solution aux problèmes d’asymétrie verticale dans le plan frontal jusqu’alors réservée à la chirurgie maxillo-faciale. Dans ces cas l’intrusion canine est nécessaire (fig. 27 à 30) car elle détermine le nivellement horizontal de toutes les autres dents et, donc, la symétrie du sourire.

Dans le cas représenté (fig. 28 à 31), l’intrusion canine** sera contrôlée par un second accessoire agissant sur le sens vertical alors que le premier s’adressait au recul molaire. En effet, la lumière des coulisseaux peut accepter 2 arcs TMA*** de 17 × 25 millièmes de pouce.

Ces ancrages ne demandent pas d’anesthésie générale. En revanche, les suites opératoires peuvent être désagréables. Le décollement de la muqueuse alvéolaire ne manque pas d’être suivi d’un œdème et il n’est pas rare que les patients présentent des gênes, dont des œdèmes jugaux, pendant 4 jours.

La chirurgie de ces types d’ancrages donne des effets secondaires similaires à ceux de l’extraction des dents de sagesse supérieures, dents qu’il est d’ailleurs souvent indiqué d’extraire dans la foulée et qui, par ailleurs, supportent allègrement la responsabilité des désagréments précédemment décrits.

Cependant, les avantages de cette technique sont considérables car les corrections obtenues sont d’ordre anciennement exclusivement chirurgical [15]. En effet, la symétrie canine verticale dans le plan frontal est l’un des défis les plus sérieux en orthodontie car elle touche au squelette. Sans un mécanisme aussi puissant, l’intrusion canine se solde le plus souvent par l’extrusion des dents prises en ancrage réciproque.

La symétrie canine verticale est la pierre angulaire de la symétrie de la ligne du sourire, elle en conditionne donc la beauté.

Conclusion

En conclusion de cette première partie, on peut dire que les ancrages profonds sous forme de vis de 1,6 à 2 mm de diamètre et de 10 à 22 mm de longueur hors tout, lorsqu’on les compare à l’utilisation d’implants ostéo-intégrés, ont simplifié grandement cette procédure, surtout telle qu’elle se faisait il y a 20 ans.

Par ailleurs, les ancrages squelettiques sous forme de plaques vissées ont considérablement fiabilisé le pronostic des cas pris en charge, simplifié les rendez-vous de réactivation, mieux ciblé les problèmes en appliquant des vecteurs de force parfaitement adéquats. En cela, ils ont révolutionné l’ambition des plans de traitement jusqu’à retentir sur l’appréciation du diagnostic initial. En effet, tel cas jugé « d’extraction » trouve maintenant une solution « sans extraction », tel autre jugé « chirurgical » trouve aujourd’hui une solution orthodontique.

Les ancrages osseux squelettiques ont pu, en fait, faire reculer à la fois la sévérité du diagnostic et celle du pronostic tout en simplifiant les procédures opératoires.

* Terme de marine décrivant une amarre placée longitudinalement entre le quai et le bateau pour l’empêcher d’avancer.

** L’intrusion canine supérieure est connue pour être le mouvement le plus difficile à obtenir alors que la symétrie canine dans le plan vertical est le défi le plus sérieux en orthodontie. Elle touche au squelette et conditionne la symétrie du sourire.

*** Le TMA est un alliage de titane et de molybdène beaucoup plus ductile que l’acier.

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