Clinic n° 09 du 01/10/2015

 

Enquête

LAURE DE MONTALEMBERT  

C’est la fin du professeur tout-puissant et du cours magistral. Autonomisés, les étudiants découvrent de nouvelles manières d’apprendre. Chaque faculté s’adapte, à sa manière, aux nouvelles techniques d’enseignement. Cours en ligne, empreintes numériques, jeux de rôle et serious games en sont les outils principaux.

« L’étudiant s’exprime et le professeur l’écoute. Le professeur est là pour animer, pas pour corriger. C’est la classe inversée », explique le doyen de la faculté de Marseille, Jacques Dejou. Dans la cité phocéenne, l’idée a été de construire l’enseignement théorique autour de l’étudiant afin que celui-ci édifie lui-même son savoir et ses compétences. De nombreuses ressources numériques sont mises à sa disposition. On attend de lui qu’il restitue ses connaissances sous forme d’exposés en équipe de trois ou quatre. Des quiz sont aussi proposés pour tester « l’assiduité numérique » des étudiants. Les cours magistraux ? Il en reste, mais « on pourrait faire sans et ce serait mieux » estime désormais le doyen. Car, pour lui, « l’enseignement présentiel qui déverse la bonne parole devrait faire partie du passé ». Et d’ailleurs, la notion d’incertitude fait désormais partie de l’apprentissage. Des tests de concordance seront prochainement mis en place. « On met l’étudiant face à une situation clinique déjà vue par un certain nombre d’experts de plusieurs spécialités. Dans les réponses des étudiants à des questions qui auront aussi été posées aux experts, la notion d’incertitude est prise en compte. Si l’étudiant répond six fois comme les experts, il obtient un maximum de points mais celui qui n’est d’accord avec eux qu’une fois obtient tout de même des points. La notion d’incertitude, c’est cela ! » explique Jacques Dejou.

Privilégier le contrôle continu

Comme à Marseille, la pédagogie inversée a trouvé sa place au sein de l’enseignement de la faculté de Rennes. Une plateforme informatique très fournie est mise à disposition des étudiants, constituée comme un véritable environnement numérique de travail. Tous les outils sont utilisés, des documents écrits à la vidéo. Engagés à s’y référer, les étudiants sont ensuite réunis en TD pour discuter de ce qu’ils ont appris. « Des fiches de TP précliniques en ligne leur permettent aussi d’anticiper les manipulations lors des TD. Y sont intégrés les objectifs d’apprentissage, les photos des instruments qu’ils vont avoir à utiliser ainsi que leurs rôles, et l’ensemble des manipulations sous forme de photos » décrit Anne Dautel, doyen de la faculté, qui se félicite de « la souplesse de l’enseignement proposé grâce à ces fiches constituées par l’ensemble de l’équipe pédagogique ». La diminution du nombre d’heures de cours magistraux favorisant la possibilité de réunions par petits groupes est une des pierres angulaires de la pédagogie utilisée à Rennes, où l’empreinte numérique et la conception des prothèses par ordi?nateur ont aussi trouvé leur place. Un tableau blanc interactif relié à des boîtiers individuels complète le dispositif, permettant d’évaluer les étudiants en temps réel grâce à des quiz. Autre choix original de la faculté, renoncer le plus souvent possible aux examens finals pour privilégier le contrôle continu.

Simulation 3D avec sensation du réel

« Les enseignants troquent désormais la craie contre le numérique », confirme aussi Yves Delbos, maître de conférences chargé de mission en tant que référent numérique à la faculté de Bordeaux, qui a suivi de très près toutes les évolutions du secteur. Entre 2003 et 2004, tout un environnement composé de plateformes numériques et de bureaux virtuels a été mis en place au sein de l’université. Le bouquet de services désormais proposé aux étudiants va de l’abonnement à la bibliothèque à une grande variété de contenus pédagogiques sous forme de fiches, de photos, de vidéos ou de diaporamas. Des exercices interactifs ont également été ajoutés, de manière à permettre une véritable organisation du « parcours d’apprenti ». Dernièrement, l’université s’est aussi dotée d’un simulateur en vision 3D, donnant la possibilité d’être au plus près de la sensation réelle durant un soin grâce à l’utilisation d’un bras équipé de systèmes électroniques complexes de retour de force. Ce poste est surtout utilisé par les étudiants de deuxième année qui apprécient énormément le côté ludique associé à l’apprentissage. « L’avantage de ce dispositif est que la machine ne critique pas, elle montre si le résultat est bon ou non et pourquoi », insiste Yves Delbos. Arnaud Cosson, un des responsables de l’entreprise, explique le fonctionnement de son appareil : « Face à l’écran, l’étudiant manipule le bras. Il ressent une différence de sensation s’il fore dans l’émail ou dans la dentine. Cela lui permet d’être proche de la réalité. » Autre avantage, il n’y a plus de consommables à renouveler comme sur les fantômes classiques. Disponible depuis un peu plus de 1 an, ce dispositif intéresse de nombreuses facultés qui ne sont freinées que par le coût qu’il engendre. Les possibilités d’utilisation sont multiples. Bordeaux prévoit d’ailleurs de l’utiliser dans une phase d’apprentissage en amont d’une véritable intervention prévue sur un patient.

Mille fois sur le métier virtuel…

Les simulations en réalité virtuelle font également partie d’un projet d’innovation pédagogique à l’université de Lille. « Nous avons prévu d’introduire ce type d’enseignement virtuel à la rentrée 2016 ou 2017. Tout est une question de budget, désormais. Dans un premier temps, nous prévoyons d’équiper 5 ou 6 postes, en complément des simulateurs traditionnels », explique Étienne Deveaux, doyen de la faculté.

L’idée est de rendre ces postes disponibles en libre accès de manière à ce que les étudiants puissent combler leurs lacunes jusqu’à ce qu’ils se soient perfectionnés. Un système de notation automatique devra pouvoir y être intégré. Et l’étudiant pourra reproduire sa manœuvre à l’infini, jusqu’à ce qui se soit perfectionné. « Les postes de simulation seront principalement réservés aux étudiants de deuxième et troisième années. Presque tous nos enseignants ont pu le tester lors d’une semaine d’essai. Les domaines concernés sont plus particulièrement la dentisterie restauratrice, la prothèse et l’implantologie » poursuit Étienne Deveaux, avant d’ajouter : « L’accès aux postes virtuels se fera à la carte, sans obligation. D’ailleurs, tout le monde n’en aura pas besoin. Notre objectif est de demander aux étudiants en difficulté de s’y mettre pour approfondir leur apprentissage. Il y aura certainement un système de priorité selon le niveau des étudiants. Un des éléments intéressants avec ce système d’apprentissage sur simulateurs en réalité virtuelle est de pouvoir recommencer chaque action et de se corriger aussi souvent que nécessaire. Comme dit l’adage : “Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage.” »

Adhésion progressive des étudiants

Il n’est pas toujours si aisé de faire adhérer tous les étudiants à ces nouveaux outils qui les éloignent du cours magistral. C’est du moins ce que constate Valérie Roger, vice-doyenne en charge de la pédagogie et de la formation à l’université de Clermont-Ferrand. « Les Français ont l’habitude d’être managés de manière plus traditionnelle que les Anglo-Saxons » déplore-t-elle. La vice-doyenne reconnaît cependant que les étudiants découvrent progressivement tout l’intérêt de la formation numérique. Passées les premières années d’enseignement durant lesquelles ils ont un peu de mal à adhérer au numérique, ils y reviennent avec plus de facilité lorsqu’ils se mettent à la clinique. Car à ce stade, l’enseignement est plus personnalisé. La plateforme permet des échanges directs avec les enseignants. Et même lorsque les étudiants travaillent sur les fameuses têtes fantômes, ces reproductions de têtes humaines sans réactions, à celles-ci sont adjoints des écrans sur lesquels le TP de l’enseignant passe en boucle. Une équipe pédagogique qui s’occupe exclusivement de la formation numérique des enseignats a été constituée. Elle favorise la mise en place des facilités pour les étudiants.

Mathieu Teste, étudiant en troisième année à Toulouse, apprécie l’apport des techniques d’enseignement numérique. « Ici, on commence le numérique 3D très tôt. Quand on utilise les techniques classiques, sans numérisation, on ne voit apparaître les problèmes que plus tard. Alors que l’ordinateur nous indique exactement les failles de notre préparation. » Les étudiants participent même à l’évolution des méthodes d’enseignement. À Toulouse, des séminaires pédagogiques sont organisés en fin d’année pour évaluer les méthodes d’enseignement et en imaginer de nouvelles.

Enseignement transversal

Les nouveaux moyens techniques ont bouleversé les méthodes d’enseignement classiques. De plus en plus, des cas réels sont présentés aux étudiants grâce à la mise en place d’enseignements transversaux interdisciplinaires. « En troisième année, par exemple, le module “Prévention des pathologies bucco-dentaires” est présenté par des enseignants de plusieurs disciplines : biologie, santé publique, odontologie conservatrice, parodontologie. Il s’agit de séances d’enseignement dirigé, fondé sur un cas clinique, qui permettent une vision globale du patient. À la fin de l’enseignement dirigé, les étudiants nous entendent commenter le cas avec chacun sa propre approche », explique Valérie Roger. Un concept auquel adhère également Karim Nasr, maître de conférences à la faculté de Toulouse : « Travailler en transversalité nous demande plus de travail qu’un cours classique mais nous y trouvons une telle richesse que nous organisons des séminaires transversaux aussi souvent que possible. » À l’approche de la fin du cycle, des TD sont mis en place, fondés sur la résolution de problèmes qui obligent les étudiants à reprendre toutes les notions fondamentales étudiées depuis le début de leurs études.

Au plus près de la réalité

Les nouvelles techniques permettent aussi de confronter les étudiants à des situations dans des cabinets libéraux. « On crée des situations de simulation sur ordinateur comme le remplacement dans un cabinet. Le téléphone se met à sonner et on vous demande de prendre des décisions qui vous mettent sous pression. Il s’agit de voir comment réagit l’étudiant face à un flux de demandes de rendez-vous imprévus ou de gérer une journée type », explique Yves Delbos, maître de conférences à Bordeaux. Des serious games ont été mis au point avec le support technique d’un département de la faculté de Toulouse. Les jeux de rôle sont aussi au programme pour travailler sur des cas concrets, notamment dans le domaine de la pédiatrie. La simulation d’une consultation d’un enfant accompagné permet ainsi d’évaluer la capacité des étudiants à décrypter le langage non verbal aussi bien que d’adapter leur communication verbale à la situation face à deux autres étudiants, faux patient et faux accompagnant, à qui on a préalablement expliqué les réactions qu’on attend d’eux. Passant par binômes, l’un jouant le praticien et l’autre l’assistante, ils sont filmés afin de permettre un débriefing à la fin de l’exercice. Une méthode utilisée aussi à Clermont-Ferrand pour « contextualiser l’enseignement dans l’attitude face au patient » avec un module dont l’évaluation se fera, à terme, face à un enseignant dans le rôle du patient. D’autres jeux de rôle, créés par l’enseignante en psychologie, sont destinés à approfondir la notion de relation au patient. Il s’agit d’accueillir une personne et de procéder au questionnaire classique.

Si l’écran tient aujourd’hui largement sa place dans la formation des futurs praticiens, la question du temps passé par les étudiants sur l’ordinateur et les outils virtuels pour bénéficier de la totalité des enseignements reste posée. Car leur emploi du temps ne semble pas s’être allégé pour autant !

Sauver des vies au cabinet

C’est un peu le hasard des rencontres qui a donné à Élisabeth Roy, maître de conférences en odontologie pédiatrique à Nantes, l’idée de créer une formation en gestion des situations d’urgence médicale au sein des cabinets dentaires. Elle s’est alors rapprochée des responsables du laboratoire de simulation virtuelle de sa faculté où s’entraînaient déjà les anesthésistes et les urgentistes. On y trouve des mannequins de simulation dernier cri, capables de présenter des réactions extrêmement proches de celles d’un être humain. Un véritable environnement de cabinet dentaire y a donc été créé. Pilotés à partir d’une autre pièce, les mannequins peuvent même parler, transpirer, se convulser, etc. Des scénarios conçus spécialement avec l’équipe d’anesthésistes. Le pilote, quant à lui, contrôle l’enchaînement des réactions du mannequin selon les situations choisies. « Lors de ces exercices et du débriefing qui suit, nous exerçons de la pédagogie positive » insiste Élisabeth Roy. Malaise cardiaque, crise d’asthme, réaction allergique, malaise vagal font partie des accidents introduits dans les scénarios avec la possibilité par le pilote de les moduler au fur et à mesure de l’exercice. Les étudiants ont à leur portée uniquement le matériel disponible dans un cabinet dentaire jusqu’à l’appel au SAMU. Ce programme, commencé en 2013 avec les étudiants, est ouvert aux praticiens depuis 2014. Élodie Astruc, administratrice du centre de simulation, constate à chaque session à quel point la formation passionne les participants. Mais pour que les bons gestes ne soient pas oubliés, elle recommande de renouveler le stage tous les 2 à 3 ans.

Les Éditions CdP s’y mettent aussi !

Nos ouvrages 2014-2015 en version numérique sont à disposition des facultés pour s’intégrer à leur plateforme d’enseignement.