Endo… Autrement
Zeina ABDEL AZIZ* Chrysoula KONTI** Julien THOMAS*** Caroline TROCMÉ**** *****%22&revues[]=CLI&sortby=relevance"> Stéphane SIMON
*Docteur en chirurgie dentaire diplômée
de l’université de médecine dentaire
Saint-Joseph de Beyrouth
Diplôme universitaire européen d’endodontologie clinique
**Docteur en chirurgie dentaire diplômée
de l’université dentaire Kapodistrien
d’Athènes
Diplôme universitaire européen d’endodontologie clinique
***Docteur en chirurgie dentaire diplômé
de l’université dentaire de Paris-Diderot
Diplôme universitaire européen d’endodontologie clinique
****Docteur en chirurgie dentaire diplômée
de l’université de médecine dentaire de
Genève
Diplôme universitaire européen d’endodontologie clinique
*****Maître de conférences en sciences
biologiques et endodontie
Praticien hospitalier (groupe hospitalier
Pitié-Salpêtrière)
Directeur du diplôme universitaire
européen d’endodontologie clinique
Les progrès médicaux réalisés au cours des dernières décennies ont non seulement accru l’espérance de vie de la population mais se sont également accompagnés d’une augmentation de la proportion de patients dits à risque. Ces patients, en raison de la présence de pathologies chroniques (VIH, diabète, lésion de l’endocarde), d’une condition particulière (prothèse valvulaire, prothèse articulaire) ou encore du traitement observé (chimiothérapie, radiothérapie, bisphosphonates, immunosuppresseurs), doivent bénéficier de mesures thérapeutiques particulières. L’endodontie n’y fait pas exception et une prise en charge inadéquate pourrait s’accompagner de conséquences cliniques sévères et dommageables pour le patient. Se maintenir informé des situations et contextes médicaux devant faire l’objet d’une adaptation des protocoles opératoires est nécessaire.
Ce sujet important et complexe sera traité en deux temps, par deux articles successifs. Dans ce premier volet, les pathologies générales fréquemment rencontrées seront abordées, ainsi que les stratégies thérapeutiques qu’elles imposent, avant d’envisager un traitement endodontique.
Le chirurgien-dentiste doit faire face à un nombre croissant de patients dits à risque et susceptibles de développer certaines complications infectieuses. En effet, les progrès médicaux ont permis aux patients de vivre plus longtemps et de bénéficier de traitements pour des pathologies considérées comme mortelles il y a seulement quelques années [1]. De nouvelles affections sont également apparues (infections à VIH, hépatite C, prions), élargissant encore le nombre de pathologies et de complications médicales rencontrées au cabinet…
Le traitement endodontique avec, entre autres, la pose d’un champ opératoire et l’instrumentation de canaux souvent infectés constitue une thérapeutique potentiellement invasive (passage de bactéries dans le sang) et doit susciter une réflexion spécifique.
La prise en charge endodontique optimale d’un patient médicalement compromis reposera sur l’examen minutieux de celui-ci et l’évaluation du risque potentiel de complications générales (diabète, séropositivité VIH, immunodépression en général), locales (zone d’irradiation, risque d’ostéonécrose lié à un traitement par bisphosphonate) ou à distance (théorie de l’infection focale dans le cadre du port d’une prothèse articulaire par exemple) (encadré 1). Il s’agira de déterminer si le traitement endodontique peut être entrepris en toute sécurité sans précaution particulière ou s’il nécessite l’instauration d’une antibioprophylaxie (encadré 2). Dans le cas contraire, le plan de traitement devra être adapté (encadré 3).
Néanmoins, la prévention des complications infectieuses ne repose pas seulement sur l’utilisation des antibiotiques. Le maintien à long terme d’un état bucco-dentaire satisfaisant est sans doute l’élément le plus efficace pour la prévention de toute complication postopératoire et dépend directement de la qualité de l’hygiène bucco-dentaire du patient. La prévention constitue ainsi, théoriquement, le point clé de toute prophylaxie et ne doit pas être négligée dans la prise en charge, même endodontique, du patient à risque [2-4].
En 1920, les résultats des travaux du Dr Weston A. Price suggèrent que la flore bactérienne endodontique serait, après dissémination dans la circulation systémique, responsable de pathologies à distance : endocardites, infections ostéo-articulaires, rénales, gastro-intestinales, lésions neurologiques (fig. 1)… C’est le concept de l’infection focale. Cette théorie conduit, pour le traitement de pathologies systémiques ou leur prévention, à l’avulsion de toutes les dents présentant une infection d’origine endodontique et à la mutilation de nombreux patients.
Cependant les résultats du Dr Price sont critiqués dès leur parution : en 1930, de nouvelles études discréditent la théorie de l’infection focale et, en 1951, l’American Dental Association (ADA) recommande de nouveau la prise en charge endodontique des dents nécrosées plutôt que leur extraction. À ce jour, il n’existe aucune preuve scientifique formelle en faveur de l’infection focale. Ce sujet reste source de controverses : il est difficile de prouver, de façon absolue, l’origine bucco-dentaire des germes responsables d’une infection extra-buccale, à distance. Les germes sont normalement détruits par le système immunitaire de l’hôte en quelques minutes, mais un trouble cardio-vasculaire (valvulopathie) ou un système immunitaire défaillant (personnes âgées, immunodépression) pourra favoriser la persistance, la fixation et la multiplication bactérienne sur un site à distance et occasionner des problèmes plus sévères.
De multiples études ont observé une similitude entre la flore bactérienne endodontique et celle retrouvée dans le sang des patients ayant bénéficié d’un traitement endodontique [3, 6, 7]. Leurs auteurs en ont conclu qu’il existait un lien de cause à effet avec les infections secondaires à distance. Néanmoins, cette association signifie seulement que les traitements endodontiques occasionnent une bactriémie et non pas une quelconque implication systémique. Le risque de complications reste donc potentiel et non scientifiquement avéré.
À titre d’exemple, Baumgartner et al. en 1975 [8] et Debelian et al. en 1995 [9] démontrent que le traitement endodontique de canaux radiculaires infectés (extrusion inévitable de débris et de bactéries) ou lorsque le patient se présente avec un abcès périapical (passage spontané de bactéries dans les tissus péri-apicaux) occasionnent une bactériémie transitoire avec diffusion systémique des agents pathogènes.
Par ailleurs, la bactériémie surviendrait davantage au cours d’activités quotidiennes comme le brossage des dents par exemple (tableaux 1 et 2) qu’à la suite de la réalisation de soins spécifiques [10].
En l’absence de preuves concernant les effets de la bactériémie, mais afin de prévenir des complications invalidantes, voire mortelles, des consensus suggèrent qu’une antibioprophylaxie devrait être administrée aux seuls patients à risque de développer une endocardite infectieuse ainsi qu’aux patients immunodéprimés.
L’endocardite infectieuse est une maladie grave, mortelle dans 15 à 20 % des cas, avec des répercussions fonctionnelles lourdes chez les patients qui survivent (forte morbidité) [5].
C’est la conséquence d’une bactériémie transitoire chez un sujet qui présente une lésion cardiaque y prédisposant et probablement un système immunitaire le permettant.
Cette lésion cardiaque crée une perturbation localisée du flux sanguin : les éléments figurés du sang vont être projetés sur une zone précise de l’endocarde exposant à terme la matrice sous-endocardique. Cette exposition, en déclenchant la cascade de la coagulation, aboutit à la formation d’un thrombus (végétation) stérile composé de plaquettes et de fibrine. Ce thrombus sera ensuite colonisé par les micro-organismes présents dans la circulation. L’endocardite infectieuse est donc une maladie plurifactorielle (fig. 2 et 3) [2]. Un embole septique peut ultérieurement se détacher et provoquer des atteintes secondaires : accidents vasculaires cérébraux (AVC) et embolies pulmonaires.
Selon les recommandations de 2011 de la Haute Autorité de santé (HAS), seuls les patients présentant une pathologie cardio-vasculaire à haut risque d’endocardite susciteront une prise en charge endodontique adaptée (encadré 4 et tableau 3). Les traitements endodontiques initiaux sur dents pulpées seront réalisés sous antibioprophylaxie. Les traitements initiaux en plusieurs séances, les retraitements et les chirurgies apicales sont à proscrire.
Le remplacement d’une prothèse articulaire est une situation fréquente aujourd’hui et concerne un nombre toujours plus important de patients. Les conséquences d’une infection secondaire peuvent être sévères : fonctionnalité fortement altérée, amputation d’un membre et même décès du patient.
Les soins bucco-dentaires en seraient la troisième cause potentielle [11] et représenteraient de 6 à 11 % des infections tardives [12, 13]. Ces données restent cependant difficiles à démontrer et suscitent discussions et débats.
Le risque d’infection d’une prothèse articulaire est multifactoriel. Il dépend principalement de quatre facteurs (tableau 4) [14] :
• la bactériémie ;
• le statut général du patient ;
• la prothèse en elle-même ;
• la nature des micro-organismes impliqués.
Le délai pendant lequel les prothèses sont considérées comme sensibles aux infections est source de controverses et a beaucoup varié : le plus souvent entre 6 mois et 2 ans [15]. Le patient était auparavant considéré comme un patient à risque et une antibioprophylaxie avant la réalisation d’une intervention endodontique était de rigueur. Aujourd’hui, selon les recommandations de l’AFSSAPS de 2011 [16], le port d’une prothèse articulaire ne justifie plus le recours préventif aux antibiotiques pour réaliser un traitement endodontique.
Néanmoins, cela n’exclut pas de procéder à un examen bucco-dentaire complet chez les patients candidats à la pose d’une prothèse afin d’éliminer les foyers infectieux locaux. Avant la pose d’une prothèse orthopédique, un assainissement de la cavité buccale ainsi que sa restauration doivent être réalisés.
Les patients porteurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) ont une affection de leur système immunitaire par ciblage du rétrovirus sur les cellules porteuses des récepteurs CD4 dont les lymphocytes T CD4+ et les macrophages. Cette diminution de leurs défenses les rend vulnérables face aux infections opportunistes, en particulier lorsqu’ils sont à un stade avancé de la maladie (sida : syndrome de l’immunodéficience acquise).
Pour apprécier l’état immunitaire du patient, il est nécessaire de connaître son taux de lymphocytes CD4+. Au-delà de 400 par millimètre cube, on peut dispenser au patient les actes dentaires comme pour un patient non contaminé par le virus et donc sans couverture antibiotique. En dessous de 200 CD4+ par millimètre cube, le risque de développement d’une infection opportuniste est accru et nécessite alors une couverture antibiotique si l’acte est invasif et elle doit être adaptée au cas. Dans le cadre d’une chirurgie apicale, il est également conseillé de contrôler le temps de saignement du patient en raison de la potentielle atteinte hépatique ainsi que du taux et de la nature des thrombocytes.
Il n’existe pas de différence concernant le délai de cicatrisation osseuse et le taux de succès après traitement endodontique d’une dent atteinte de parodontite apicale chronique entre les patients VIH+ ou non [17].
Le diabète est un syndrome caractérisé par un taux élevé de glucose dans le sang (hyperglycémie) et un métabolisme déséquilibré. Cette maladie chronique est liée à un défaut de sécrétion d’insuline et/ou de son action (tableau 5 et encadré 5) [18].
Le diabète affecte 3,7 millions de Français et devrait concerner 5 millions de personnes d’ici à 2020. Il s’agit donc d’une pathologie couramment rencontrée mais qui présente des complications sévères pour les patients qui en souffrent.
Le diabète de type 1 est à mettre en relation avec la destruction auto-immune des cellules B pancréatiques sécrétant l’insuline, destruction qui se produit le plus fréquemment dans l’enfance et à l’adolescence. Les patients seront sujets à d’autres troubles immuns qu’il faudra rechercher.
Dans le diabète de type 2, l’insuline est sécrétée. Néanmoins, sa quantité est insuffisante ou sa fonction est altérée. Le risque augmente avec l’âge, l’obésité ainsi que le manque d’exercice. Une forte prédisposition génétique existe.
La conduite à tenir est fonction du statut du patient (voir sur le site www.diabete.fr) :
• en cas de diabète équilibré, le patient est considéré comme un sujet sain. L’ensemble des traitements (traitements initiaux, retraitements, chirurgies apicales) peut être entrepris ;
• en cas de diabète non équilibré, les traitements initiaux et les retraitements de dents infectées devront faire l’objet d’une antibioprophylaxie. Des traitements en une séance seront à privilégier afin de ne pas multiplier la prise d’antibiotiques.
L’attitude du chirurgien-dentiste face à un patient à risque doit tenir compte du rapport bénéfice/risque entre le traitement endodontique à réaliser et la complication médicale potentielle.
Cette évaluation commence par un interrogatoire détaillé (antécédents médicaux, traitements en cours, prise de contact avec le médecin traitant du patient) et peut nécessiter la réalisation de bilans sanguins. Les relations entre les pathologies générales et l’endodontie peuvent être complexes. Les recommandations médicales évoluent sans cesse et il est donc impératif de suivre leurs modifications.
Dans la partie 2 de cet article (à paraître dans le prochain numéro), les relations entre endodontie et thérapeutique médicamenteuse seront abordées.
Une prise de contact avec le médecin spécialiste ou, à défaut, avec le médecin traitant du patient, toujours avec l’accord de ce dernier, permet bien souvent de récolter les renseignements complémentaires sur le statut de la pathologie ou la condition médicale et peut orienter la prise de décision.
Antibioprophylaxie = consiste à administrer un antibiotique afin de prévenir le développement d’une infection. S’utilise donc en l’absence de tout foyer infectieux et consiste en l’administration par voie systémique d’une dose unique de l’antibiotique dans l’heure qui précède l’acte invasif (AFSSAPS, 2011).
Le plan de traitement est un compromis entre :
• l’affection à traiter ;
• le patient ;
• le praticien.
Patients nécessitant une antibioprophylaxie (recommandations HAS de 2011) :
• patients avec prothèse valvulaire (mécanique ou biologique) ;
• antécédent d’endocardite infectieuse ;
• cardiopathie congénitale cyanogène (tétralogie de Fallot, syndrome d’Eisenmenger, maladie d’Ebstein, hypoplasie du cœur gauche, atrésie tricuspidienne, transposition des gros vaisseaux).
• Augmentation de la prévalence des parodontites apicales.
• Plus de risque de flambées infectieuses après réalisation d’un traitement endodontique.
• Infections post-opératoires fréquentes.