Clinic n° 09 du 01/10/2015

 

Hygiène

Catherine FEUILLOLAY*   Laïla HADDIOUI**   Jean-Claude VEZIN***   Jean-Philippe GATIGNOL****   Christine ROQUES*****  


*Docteur ès sciences
FONDEREPHAR
Faculté des sciences pharmaceutiques
35, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 9
**Docteur ès sciences
FONDEREPHAR
Faculté des sciences pharmaceutiques
35, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 9
***Conseil en développement
Laboratoires Pierre Fabre Oral Care
29, avenue du Sidobre
81106 Castres cedex
****Chirurgien-dentiste, responsable médical Pierre Fabre Oral Care
Laboratoires Pierre Fabre Oral Care
29, avenue du Sidobre
81106 Castres cedex
*****Pharmacien, docteur ès sciences, professeur des universités
FONDEREPHAR
Faculté des sciences pharmaceutiques
35, chemin des Maraîchers
31062 Toulouse cedex 9

Deux précédentes études ont validé un protocole de stérilisation (destiné à un contexte professionnel) et un protocole de décontamination/assainissement (destiné à un contexte domestique) des brosses à dents Inava® et ceci sans altération des propriétés mécaniques de la brosse à dents. L’objectif de cette étude complémentaire est de valider le protocole de décontamination/assainissement sur des espèces bactériennes et virales d’intérêt médical pouvant être responsables d’infections ou de surinfections notamment au sein de populations dites à risque.

L’importance de l’hygiène bucco-dentaire ne se limite plus à la prévention des affections endobuccales (caries, gingivites, parodontites). Dans l’état actuel des connaissances, on sait les liens entre santé orale et santé systémique. Ainsi, le microbiote buccal peut avoir des conséquences à distance : influencer le déséquilibre d’un diabète, favoriser le développement de maladies cardio-vasculaires et d’infections des voies respiratoires supérieures [1]…

L’hygiène bucco-dentaire devient donc un geste de prévention dont l’impact se situera au-delà de la sphère bucco-dentaire (fig. 1). La brosse à dents est identifiée comme un possible vecteur de transmission des germes. En effet, sa conservation et son utilisation dans un environnement septique (1 000 espèces bactériennes peuvent cohabiter dans la cavité buccale [2]) en fait un véritable réservoir microbien. Certains germes responsables des affections bucco-dentaires (Streptococcus mutans, Fusobacterium spp., Prevotella spp.) ont été identifiés au sein de la tête de la brosse à dents ainsi que des germes tels que des entérobactéries, Pseudomonas spp… mais également certaines souches virales comme le virus de l’herpès (Herpes simplex virus type 1, HSV1) [3].

Ces micro-organismes vont se développer et subsister parfois pendant un certain temps (de 24 heures à 5 jours) au niveau de la tête de la brosse à dents et constituer un véritable biofilm sur ses brins, visible en microscopie électronique à balayage [4].

Devant ce constat, les associations d’hygiène bucco-dentaire et l’industrie pharmaceutique se sont intéressées aux conditions d’entretien des brosses à dents (nettoyage, stockage, renouvellement) en réfléchissant à la façon d’en limiter le potentiel infectieux. De nombreuses innovations/adaptations ont été proposées et différentes techniques de décontamination des brosses à dents ont été évaluées [5-7], par exemple des sprays désinfectants, l’immersion pendant 8 heures dans un bain de bouche, le passage au four à micro-ondes…

C’est dans ce contexte que deux études ont été précédemment réalisées, validant la possibilité de stériliser [8] et de décontaminer les brosses à dents à l’aide d’un four à micro-ondes (fig. 2 et 3) [9], cette dernière étude ayant notamment permis de valider un protocole d’assainissement des brosses à dents Inava® tout en préservant leurs propriétés mécaniques. Ce protocole (encadré) a été, dans un premier temps, validé sur des germes appartenant à la flore endogène, commensale de la cavité buccale (Streptococcus spp., Actinomyces spp., Fusobacterium spp.).

L’étude présentée ici, a pour objectif de valider ce protocole sur des germes d’intérêt médical : bactéries (Staphylococcus aureus, Escherichia coli, Pseudomonas aeruginosa) et levures (Candida albicans) à potentiel pathogène ainsi que virus de l’herpès buccal humain (HSV1).

Matériel et méthode

Quarante-quatre brosses à dents Inava® 7/100 ont été utilisées.

Bactéries et levure

Les souches tests sont : Pseudomonas aeruginosa CIP 82118, Staphylococcus aureus CIP 4.83, Escherichia coli CIP 53126, Candida albicans IP 4872.

Une suspension mère extemporanée est préparée à environ 108 UFC/ml (UFC : unités formant colonie) dans du tryptone sel pour les bactéries et 107 UFC/ml pour les spores fongiques. La suspension d’inoculation est réalisée en mélangeant à part égale les 4 souches tests à une concentration finale de 106 UFC/ml.

Les 22 brosses à dents destinées à l’évaluation sont partagées en deux groupes : un groupe témoin et un groupe traité (groupe essai).

Deux brosses à dents sont utilisées comme témoins de contamination initiale, sans inoculation.

Dix brosses à dents sont utilisées comme témoins de contamination (inoculation). Elles sont introduites dans 80 ml de suspension d’inoculation (immersion de la tête) et y sont laissées durant 3 minutes (temps théorique de brossage), sous agitation douce (175 rpm à l’agitateur orbital), puis le niveau de contamination de base de la brosse à dents est déterminé selon la méthodologie suivante : immédiatement après l’inoculation, les têtes des brosses à dents sont immergées dans 20 ml de tryptone sel, puis vortexées afin de remettre les micro-organismes en suspension dans le diluant. Des dilutions sériées de raison 10 ont été réalisées dans du tryptone sel, avec inclusion de 1 ml de chaque dilution dans de la gélose trypcase soja. Après incubation à 32,5 ± 2,5 °C pendant 48 à 72 heures, les colonies sont dénombrées et le résultat final est exprimé en UFC par brosse à dents (fig. 4).

Les 10 autres brosses à dents (groupe essai) sont introduites dans 80 ml de suspension d’inoculation (immersion de la tête durant 3 minutes, temps théorique de brossage), sous agitation douce (175 rpm à l’agitateur orbital).

Après inoculation, la tête des 10 brosses à dents est immergée dans 80 ml d’eau distillée stérile. L’ensemble est placé au four à micro-ondes pendant 1 minute à 600 W.

Le dénombrement est immédiat après chaque passage au four à micro-ondes (contrôle contamination brosse à dents + contrôle eau de trempage), en réalisant des dilutions sériées au 1/10 dans du tryptone sel, avec inclusion de 1 ml de chaque dilution dans de la gélose trypcase soja. En parallèle, la filtration du volume restant des différents diluants (tryptone sel et eau de trempage) est réalisée sur membrane hydrophile 0,45 µm (Microfil®, Millipore), afin d’abaisser le seuil de détection, puis les membranes sont déposées sur gélose trypcase soja. Enfin, les boîtes sont incubées à 32,5 ± 2,5 °C pendant 48 à 72 heures pour numération des UFC (fig. 5 et 6).

Virus de l’herpès

Pour cette analyse, le HSV1 et les cellules réceptrices Vero sont utilisés.

Les brosses à dents sont partagées en deux groupes de 10 : un groupe témoin et un groupe traité (groupe essai).

Deux brosses à dents sont initialement utilisées pour contrôle du titre viral basal au début et à la fin de l’essai.

Les 10 brosses à dents du groupe essai sont contaminées artificiellement, elles sont transférées dans 20 ml de PBS (phosphate-buffered saline) et placées individuellement au micro-ondes pendant 1 minute à 600 W puis vortexées afin de remettre le virus en suspension.

La détermination du titre viral est réalisée sur les solutions récupérées par la méthode de titrage viral sur les cellules en suspension dans des plaques de microtitration. L’effet cytopathique est déterminé après 2 jours de culture.

L’estimation du nombre d’unités infectieuses est déterminée par la méthode de Spaerman-Karber en calculant le logarithme négatif du point limite 50 % (lg DICT50) par la formule suivante : lg DICT50 = logarithme négatif de la plus haute concentration de virus utilisée – [(somme de % affectés à chaque dilution/100) – 0,5 (lg de dilution)].

La réduction logarithmique est ainsi calculée : moyenne lg DICT50 témoin – moyenne DICT50 essai.

Résultats

Bactéries et levure

La contamination initiale des brosses à dents Inava® testées (avant inoculation) est inférieure à 1 UFC, validant les conditions d’essai.

Les résultats de dénombrement réalisés à partir de la suspension d’inoculation mère sont présentés dans le tableau 1.

L’évaluation du niveau de contamination des brosses à dents du groupe témoin après inoculation démontre une valeur moyenne de 5,3.106 UFC par brosse à dents. Une contamination initiale des brosses à dents supérieure à 6 log est observée pour les 10 brosses témoins.

L’évaluation de la contamination résiduelle après traitement est présentée dans le tableau 2. Après traitement, des micro-organismes viables résiduels sont détectés au niveau de 5/10 brosses à dents et, au niveau des eaux de trempage après le passage aux micro-ondes, pour 8/10 essais. Dans tous les cas, la réduction logarithmique par rapport aux valeurs initiales de contamination (groupe témoin) est supérieure à 4 log, avec une valeur moyenne à 5,85 log.

Dans le présent essai, un passage de 1 minute au micro-ondes à une puissance de 600 W en présence d’eau a permis d’obtenir une réduction d’au moins 99,99 % de la flore de contamination (dont P. aeruginosa) artificiellement déposée sur une brosse à dents Inava®. L’absence finale de micro-organismes viables résiduels est observée pour 5 des 10 brosses à dents traitées.

Virus de l’herpès (HSV1)

Le titre de la suspension au début et à la fin de l’essai démontre la même valeur : lg DICT50 = 7,0.

Le groupe témoin présente un titre viral moyen de 5,2 log et celui du groupe essai est inférieur à 0,3 (limite inférieure de détection). Le résultat obtenu pour chaque brosse à dents est présenté dans le tableau 3.

La réduction logarithmique est au final supérieure à 4,9 log sur les 10 brosses à dents traitées.

Concernant le virus de l’herpès, un seul passage aux micro-ondes à une puissance de 600 W pendant 1 minute a permis d’obtenir une réduction de plus de 4,9 log de la charge virale initiale déposée sur les brosses à dents, soit une réduction totale de plus de 99,99 %.

Discussion

La contamination d’une brosse à dents est un fait scientifiquement validé. Ainsi, les brosses à dents à usage biquotidien ou triquotidien et prolongé (renouvellement trimestriel) seront le siège d’une contamination redondante issue de diverses niches écologiques. Le degré de contamination microbienne augmentera au cours des brossages successifs et pourra être influencé par [10-12] :

• le design et en particulier l’agencement des brins de la brosse à dents ;

• l’utilisation d’un dentifrice contenant un détergent (limitation de la croissance bactérienne aéro-anaérobie).

Cette contamination pourra affecter non seulement la santé bucco-dentaire (par exemple, transmission de germes considérés cariogènes ou parodontopathogènes) mais aussi la santé générale (par exemple endocardite infectieuse).

Au-delà de leur contamination par les germes endobuccaux (et des risques associés), les utilisateurs peuvent être contaminés par des germes « exobuccaux » (S. aureus, entérobactéries…) [3]. Les conditions de conservation non maîtrisées conduisent à un risque de colonisation par des micro-organismes exogènes, par exemple d’origine environnementale, hydrique…, tels que P. aeruginosa. Bactérie de l’environnement et surtout de l’eau stagnante, P. aeruginosa peut survivre pendant une durée considérable en milieu humide en présence de matières organiques. La brosse à dents constitue donc un support propice à sa multiplication. De plus, cette bactérie a été identifiée chez les patients mucoviscidosiques au sein de la cavité buccale dans des sites préférentiels (face dorsale de la langue, muqueuse buccale, salive, plaque dentaire). Dans l’évolution de la mucoviscidose (maladie génétique autosomique récessive), la colonisation bronchique par certains germes, tels que P. aeruginosa ou S. aureus, multirésistants est un facteur de mauvais pronostic associé à un déclin de la fonction respiratoire et à une diminution de l’espérance de vie [13]. Dans ce contexte, les associations de patients (par exemple www.vaincrelamucoviscidose.org/ewbpages/h/hygiene.php) et les équipes médicales des centres de ressources et de compétences pour la mucoviscidose (CRCM) préconisent des précautions d’usage disparates permettant de réduire le risque de transfert de divers germes : ne pas stocker sa brosse au contact d’autres éléments, rincer la tête (eau ou solutions antiseptiques…), éviter les contaminations croisées par contact lors du stockage et l’échange de brosses à dents entre différentes personnes, ne pas maintenir un contexte humide favorisant l’anaérobiose (capuchon). Pour tous les patients considérés à risque (patients immunodéprimés en général, VIH+, greffés, post-chimiothérapie et radiothérapie, affection chronique sévère notamment la mucoviscidose), des recommandations spécifiques existent en ce qui concerne les réservoirs de bactéries comme les sites humides (rebord des lavabos, toilettes, etc.) : nettoyage des sanitaires tous les jours et à l’eau de Javel (2,6 % de chlore actif) 1 fois par semaine et, bien sûr, nettoyage minutieux de la brosse à dents.

Une étude pilote [14] chez de jeunes patients âgés de 8 à 18 ans atteints de fibrose kystique a permis de déterminer la prévalence des germes S. aureus et P. aeruginosa dans cet échantillon de population et le potentiel de contamination des brosses à dents. Les résultats ont montré que l’on retrouvait S. aureus sur 22 % des brosses à dents des patients et 13 % de celles des enfants non atteints de mucoviscidose, P. aeruginosa sur 15 % des brosses à dents de patients et sur 0 à 13 % de celles des enfants non atteints de mucoviscidose. Le génotypage des souches isolées indique la présence de clones identiques de P. aeruginosa :

— sur la brosse à dents et dans les expectorations d’un même patient ;

— dans les expectorations d’un patient et sur la brosse à dents d’un membre de la fratrie.

Cependant, cette étude exploratoire, en raison notamment de son faible effectif, ne permet pas d’établir une corrélation significative entre colonisation pulmonaire et contamination des brosses à dents.

Conclusion

La mise en évidence (par génotypage) d’un même clone de P. aeruginosa retrouvé à la fois au sein d’une brosse à dents et dans une niche écologique à distance (bronchique) est une donnée importante. Elle vient renforcer le raisonnement des travaux présentés ici et la nécessité, dans certaines situations, de mettre en place des mesures complémentaires en hygiène bucco-dentaire. La décontamination des brosses à dents trouve, pour les populations « fragilisées », une résonance renforcée notamment à la lumière des éléments énoncés ici.

Enfin, cette étude a permis de confirmer l’efficacité d’une méthode d’assainissement (micro-ondes pendant 1 minute à la puissance de 600 W) avec une réduction moyenne de la flore bactérienne fongique et virale de 99,999 %.

La facilité de mise en œuvre de cette méthode permettra, dans un usage domestique, la maîtrise des effets « délétères » que pourrait représenter l’utilisation d’une brosse à dents « contaminée ».

Bibliographie

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  • [14] Genevois A, Roques C, Segonds C, Cavalié L, Brémont F, Mittaine M. What is bacterial colonisation of cystic fibrosis toothbrushes ? J Cystic Fibrosis 2014;13:S68.

Protocole d’assainissement Inava®

• Tête de la brosse à dents immergée dans de l’eau.

• Puissance du four à micro-ondes : 600 watts.

• Durée : 1 minute.

• Assainissement : réduction de 99,999 % de la charge bactérienne.

Remarque : conservation des propriétés mécaniques de la brosse à dents après 60 cycles d’assainissement.