PARODONTIE
Laurence PEREIRA* Marjolaine GOSSET**
*Chirurgien-dentiste
Exercice libéral
**Université Paris Descartes
Hôpital Charles-Foix
7, avenue de la République
94200 Ivry-sur-Seine
***MCU-PH parodontologie
****Université Paris Descartes
Hôpital Charles-Foix
7, avenue de la République
94200 Ivry-sur-Seine
L’égression est un désordre anatomique secondaire, entraînant une perturbation des courbes occlusales. Les égressions sont souvent retrouvées dans le secteur antérieur chez les patients atteints de parodontite (dans 30 à 55 % des cas) et constituent un motif fréquent de consultation [1] (fig. 1 et 2). Dans le secteur postérieur,...
L’égression est un désordre anatomique secondaire, entraînant une perturbation des courbes occlusales. Les égressions sont souvent retrouvées dans le secteur antérieur chez les patients atteints de parodontite (dans 30 à 55 % des cas) et constituent un motif fréquent de consultation [1] (fig. 1 et 2). Dans le secteur postérieur, cette situation est aussi rencontrée régulièrement puisque, en moyenne, 58 % des dents présentent une égression inférieure à 2 mm et 20 % une égression supérieure à 2 mm 10 ans après l’extraction de leur antagoniste (tableau 1 et fig. 3). La conséquence en est une perturbation des courbes occlusales qui est diagnostiquée par le chirurgien-dentiste lorsque le patient consulte pour une restauration prothétique (fig. 4 à 6). Le besoin de traitement dépend de l’importance de l’égression. L’abstention ou une simple améloplastie peut être suffisante. Dans les situations plus sévères, le recours à l’ingression orthodontique ou à la réalisation d’une correction par une restauration indirecte est nécessaire pour rétablir la courbe occlusale et assurer une fonction équilibrée.
L’objectif de cet article est de déterminer les facteurs de risque d’égression d’une dent en analysant l’influence de l’état parodontal : une dent au parodonte sain mais réduit a-t-elle un plus fort risque d’égression qu’une dent dont le parodonte est intact ? De même, quelle est l’influence de l’inflammation parodontale sur cette adaptation des tissus ?
L’égression se définit par la migration secondaire, verticale, d’une dent en dehors du plan d’occlusion. Elle se traduit par un déplacement coronaire de la couronne clinique par rapport aux dents adjacentes. Selon les mécanismes mis en jeu, plusieurs types d’égressions sont distingués (fig. 7) :
• l’éruption active (fig. 7A) se caractérise par un mouvement de la dent hors de son système d’attache parodontal. Le niveau gingival reste le même que celui des dents adjacentes. Par conséquent, une exposition de la surface radiculaire, voire une exposition de la furcation des dents présentant un petit tronc radiculaire sont caractéristiques. Une élévation du risque de développer des caries radiculaires et des atteintes parodontales en découle ;
• la croissance parodontale (fig. 7B) correspond à la migration de la dent avec l’ensemble de son parodonte : aucune récession parodontale n’est alors observée ;
• l’usure relative (fig. 7C) ne correspond pas à une égression proprement dite. La dent n’est plus dans la courbe occlusale car les dents adjacentes présentent une usure occlusale.
Le plus fréquemment, une combinaison du processus d’éruption active et de croissance parodontale est retrouvée. Notons que lors d’un édentement unitaire, un mouvement dans le sens mésio-distal ou vestibulo-lingual est très fréquemment associé.
La littérature scientifique étudiant les facteurs influençant le risque d’égression d’une dent suite à l’extraction de son antagoniste est pauvre. Peu de facteurs ont été isolés parmi lesquels le support parodontal semble important.
L’égression des molaires est moins sévère et moins fréquente quand l’extraction de l’antagoniste est réalisée chez les patients de plus de 26 ans [6].
Les données relatives à la vitesse d’égression d’une dent à la suite de l’extraction de son antagoniste sont malheureusement rares. La migration semble se faire essentiellement au cours des premières années suivant la perte de la dent antagoniste par la combinaison de phénomènes d’éruption active et de croissance parodontale. La croissance parodontale semble s’arrêter en premier pour ne laisser place qu’à un mouvement d’éruption active [8]. Ainsi, au bout de 10 ans, les dents ne semblent plus présenter de modification de position [4].
Les données, bien que peu nombreuses et influencées par la proportion bien supérieure de molaires maxillaires sans antagoniste (les molaires mandibulaires étant les dents les plus extraites), semblent montrer une égression à la fois plus fréquente et plus sévère au maxillaire qu’à la mandibule [3, 6]. Les hypothèses avancées sont l’influence de la densité osseuse inférieure du maxillaire, associée à des corticales plus fines qu’à la mandibule [3] et la quantité d’os spongieux faible entre ces corticales et les racines des molaires maxillaires.
Les quelques publications étayant le rôle du facteur parodontal dans les migrations dentaires pathologiques portent majoritairement sur la désorganisation du sourire par ouverture de diastèmes, soit un mouvement vestibulo-occlusal des incisives. Ainsi, parmi 852 patients consultant en parodontologie, 55,8 % d’entre eux présentent l’apparition ou l’aggravation d’un diastème antérieur [9]. Dans une autre étude, 30 % des 343 patients consultant en parodontologie déclarent avoir constaté un déplacement des dents antérieures au cours des 5 années précédentes [10]. En ce qui concerne l’égression des molaires, une étude compare l’égression de dents atteintes d’une parodontite généralisée à celle de dents au parodonte sain. Sur les 14 dents contrôlées au parodonte sain, l’égression est quasi inexistante tandis que l’ensemble des dents présentant une atteinte parodontale généralisée ont subi une égression au bout de 10 ans (soit 22 dents). De plus, cette égression est importante car elle est systématiquement supérieure à 2 mm par rapport au plan d’occlusion [4] (fig. 8).
La diminution de la quantité de parodonte explique en partie ce phénomène. En effet, dans l’étude de Towfighi et al. [10], la perte moyenne d’attache des dents ayant subi une migration (5 mm en moyenne) est largement plus importante que celle des dents n’ayant pas subi de migration (3 mm en moyenne). De plus, dans l’étude de Martinez-Canut et al. [9], la probabilité de présenter des migrations dentaires pathologiques augmente avec le degré de perte osseuse (de 3 fois pour une perte modérée à 8 fois pour une perte sévère) et la perte des dents.Cependant, dans cette même étude, certaines dents présentant une perte osseuse importante ne montrent pas de migration.
La qualité du parodonte, c’est-à-dire l’existence ou non d’une inflammation parodontale, joue également. Dès 1933, Hirschfeld [11] décrit des migrations dentaires spontanées sous la pression des tissus inflammatoires caractérisés par un œdème et une hypervascularisation ainsi que par des poches parodontales. Ainsi, la pression exercée sur les dents par le tissu inflammatoire de la poche parodontale et/ou du parodonte péri-apical est également impliquée dans le phénomène de migration secondaire. De nombreux auteurs décrivent un mouvement de la dent dans une direction opposée à la poche la plus profonde. Ce mécanisme encore mal connu est étayé par les observations faites sur les dents antérieures, de retour à leur position initiale après contrôle de l’inflammation (fig. 9 à 11). Il semble que seules les migrations dentaires récentes et inférieures ou égales à 1 mm peuvent présenter une réversibilité en réponse au traitement parodontal uniquement (maîtrisant l’inflammation et la pression exercée par l’œdème) [12]. Ainsi, dans la majorité des situations, un recours à l’orthodontie ou à la prothèse sera nécessaire.
Les données disponibles, malgré leur faible niveau de preuve, montrent que l’égression des dents sans antagoniste à la suite de la perte d’une dent postérieure est extrêmement fréquente (80 % des dents). Elle n’est cependant importante que dans 20 % des cas pour lesquels elle est de 2 mm ou plus par rapport au plan d’occlusion. Des mesures de prévention particulières doivent être appliquées dans deux situations cliniques : l’extraction – très fréquente – d’une molaire chez le sujet jeune, d’autant plus si la dent extraite est une molaire mandibulaire, et les dents au parodonte affaibli, celles-ci migrant d’autant plus que la perte d’attache et l’inflammation sont importantes (tableau 2). Ce constat prend encore plus de sens en raison du fait que l’on a tendance à mettre en place des traitements prothétiques provisoires lorsque le pronostic des dents et de la situation clinique est bon. Or, ce sont justement dans les situations cliniques les moins favorables, telles que la présence d’une pathologie parodontale active, que l’abstention thérapeutique est choisie, alors qu’il s’agit justement des rares situations où l’égression peut être sévère. La prévention de l’égression molaire pourra être obtenue par la réalisation d’une prothèse provisoire amovible ou fixe associée ou non à une contention. Cependant, dans le contexte d’une maladie parodontale, le recours à ces temporisations ne peut s’envisager que si la maladie parodontale est traitée, au risque de favoriser l’évolution de la maladie.
Mieux évaluer le risque d’égression d’une dent à la suite de l’extraction de son antagoniste est important pour informer le patient des désordres fonctionnels encourus et de leurs conséquences. Ce risque est accentué si la dent présente un parodonte réduit et enflammé. Lorsqu’une égression existe, sa correction est une étape nécessaire et importante de la restauration anatomo-fonctionnelle. Ce traitement implique le contrôle de la maladie parodontale, si elle est présente, et la restauration de la courbe occlusale à l’aide d’un traitement orthodontique ou prothétique, ou des deux associés.