ODONTOLOGIE RESTAURATRICE
Gabrielle KOUASSI* Anthony ATLAN** Tchilalo BOUKPESSI***
*Docteur en chirurgie-dentaire
**94 rue de Sèvres
75007 Paris
***Docteur en chirurgie dentaire
Assistant hospitalo-universitaire en
odontologie conservatrice-endodontie
****Faculté de Chirurgie Dentaire
1 rue Maurice Arnoux
92120 Montrouge
*****Docteur en chirurgie-dentaire
Docteur de l’université Paris Descartes
Maître de Conférence à la faculté
de chirurgie dentaire de l’université
Paris Descartes
Praticien Hospitalier de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris
******Faculté de Chirurgie Dentaire
1 rue Maurice Arnoux
92120 Montrouge
La technique de remontée de marge consiste à réaliser un comblement partiel d’une perte de substance coronaire, dans sa partie la plus cervicale, afin de déplacer en position plus supragingivale des marges prothétiques qui seraient intrasulculaires. Elle répond à un principe de préservation tissulaire car elle favorise l’indication et la réalisation de restaurations indirectes collées (du type inlay, onlay ou overlay) sur les dents fortement délabrées. Afin de garantir une longévité suffisante à cette base intermédiaire, le choix des matériaux employés et des protocoles décrits s’appuie sur l’analyse du vieillissement des matériaux et de la spécificité de la région cervicale.
La remontée de marge, décrite par Dietshi et Spreafico dès 1998 [1], est une technique de préparation dentaire par addition, au même titre que le comblement des contre-dépouilles des parois, à l’aide de résine composite. L’objectif principal est de faciliter les étapes de réalisation prothétique afin d’optimiser la qualité de la prothèse et, par conséquent, sa longévité. C’est également un outil en faveur de la préservation tissulaire car elle étend les indications des restaurations partielles (inlays, onlays, overlays), y compris pour les dents dépulpées.
La situation des marges en intrasulculaire compliquent les étapes de réalisation d’une prothèse collée [2] :
• besoin de rétraction et d’hémostase gingivale lors de la prise d’empreinte ;
• difficulté de réalisation de la prothèse provisoire ;
• mauvaise lisibilité du profil d’émergence et du détourage par le prothésiste ;
• inflammation gingivale due à la temporisation (excès de ciment, marges en surcontour) ;
• rebord gingival qui recouvre la marge prothétique ;
• difficulté de mise en place du champ opératoire ;
• épaisseur importante de la pièce prothétique qui atténue l’efficacité de la lampe à photopolymériser ;
• élimination des excès de colle et polissage du joint prothétique difficiles.
Grâce à la remontée de marge, le praticien peut aisément contrôler ces paramètres. En effet, le délabrement dentaire encore non compensé ouvre l’accès aux instruments (fouloirs et fraises) : il est ainsi plus aisé de disposer le matériau sur une faible hauteur et de réaliser ensuite ses finitions.
Exemple clinique : les figures 1 à 7 illustrent ces différents avantages lors de la réintervention après échec d’une reconstitution à l’amalgame sur dent pulpée : le délabrement important, la préparation peu rétentrice et la marge cervicale mésiale intrasulculaire (fig. 2). Bien que l’anatomie cervicale présente une concavité, le champ opératoire, le matriçage et un coin interdentaire permettent d’obtenir une étanchéité parfaite de cette zone (fig. 3). Les bords du matériau restent accessibles aux instruments de finition (fig. 4). La limite cervicale sur le modèle est facilement identifiée (fig. 5). Lors de l’assemblage, l’étanchéité de la digue est obtenue aisément (fig. 6) et l’élimination des excès de colle est simplifiée (fig. 7).
Cliniquement, les étapes de cette procédure se décomposent comme suit.
L’application des matériaux et leur assemblage aux tissus dentaires sont des étapes sensibles à la présence d’eau. Il est donc impératif de procéder à l’isolation du site opératoire par l’utilisation de la digue dentaire. La rétraction de la gencive peut être améliorée par des crampons à mors rentrants et/ou des ligatures (fig. 8).
La mise en place de la matrice est l’étape clé de la remontée de marge car elle assure la bonne adaptation marginale du matériau et détermine le profil d’émergence de la future restauration. Elle participe à l’obtention de l’étanchéité en contrôlant la mise en place de la digue. La matrice doit être métallique. On utilise préférencielement une matrice circonférencielle (Tofflemire® ou Automatrix®) qui permet de descendre profondemment en sous-gingival. Il est parfois utile de réaliser une découpe pour suivre l’anatomie du parodonte marginal. La technique de double matrice peut aussi être une solution adaptée dans ces situations. La matrice est associée à un coin interdentaire pour garantir son application parfaite au niveau cervical. Un anneau de type McKean peut être également utilisé pour participer au sertissage. Les figures 8 à 10 montrent les différentes techniques de matriçage mises en place.
Les matériaux sont foulés dans la cavité formée par la matrice afin d’améliorer l’adaptation aux parois dentaires.
Lorsque le choix se porte sur une résine composite, les incréments sont disposés de manière à diminuer le facteur C, qui est le rapport du nombre de parois du composite collées aux surfaces dentaires sur le nombre de parois de composite libres. Plus ce rapport est élevé, plus les contraintes exercées sur l’interface de collage lors de la polymérisation du matériau sont importantes. Les premiers incréments sont donc disposés de manière oblique, alternativement contre les parois vestibulaire et linguale. À la fin, une ultime photopolymérisation est réalisée sur les surfaces externes du matériau enduites de gel de glycérine pour empêcher la persistance d’une couche de monomère en surface due à une inhibition de la polymérisation par l’oxygène.
Une attention particulière est apportée à l’état de surface de la restauration sur sa paroi externe axiale. Elle est polie à l’aide d’instruments de granulométrie décroissante afin de réduire sa rugosité et à vitesse lente pour éviter l’échauffement du matériau. En effet, le développement du biofilm sur les surfaces dures est directement corrélé à la rugosité des tissus et matériaux. Plus le matériau est rugueux, plus l’adhésion des bactéries est rapide et la maturation du biofilm importante [3]. De la même manière, les excès d’adhésif et de matériau sur les tissus dentaires adjacents (fig. 11) sont éliminés. Une radiographie rétroalvéolaire est prise en fin de séance pour contrôler l’adaptation marginale de la restauration.
Les figures 12 à 23 présentent un cas de restauration de deux molaires maxillaires pulpées. Sur 26, la partie mésiale de l’ancienne restauration crée une limite très cervicale après dépose et indique le recours à une remontée de la marge.
Bien que réalisées à l’abri de l’humidité sous champ opératoire, les restaurations sont en contact direct avec la salive et le fluide gingival. Par leur phase résineuse, les matériaux composites absorbent la salive et ses constituants, ce qui entraîne alors leur dégradation [4]. Les conséquences de cette dégradation sont multiples :
• relargage de monomères cytotoxiques [5] favorisant la croissance bactérienne [6] ;
• altération des performances mécaniques [7] et optiques ;
• apparition de défauts de surface favorisant l’adhésion du biofilm [8].
Le développement de ce biofilm peut être responsable de la formation d’une carie secondaire. La prévalence de la récidive carieuse sous inlay-onlay avec remontée de marge n’a pas encore été évaluée. Cependant, certaines études apportent des résultats prometteurs. En effet, une étude clinique rétrospective [9] montre qu’il n’existe pas de relation entre la présence de marges situées sous la jonction amélo-cémentaire et la formation de lésion carieuse secondaire, quels que soient le matériau et la technique utilisés. Ces résultats sont corroborés par ceux d’une revue de littérature [10] qui ne démontre aucune influence de la situation de la marge cervicale dans la survenue de caries secondaires pendant une période de 10 ans. Évidemment, compte tenu du peu de données et des limites de chaque étude, ces résultats sont difficilement transposables aux inlays-onlays indirects avec remontée de marge. Aussi leur innocuité clinique demeure incertaine.
En ce qui concerne la réponse parodontale, la remontée de marge ne se soustrayant pas aux impératifs parodontaux fondamentaux, il ne peut y avoir de violation de l’espace biologique. Les lésions observées sont la conséquence de l’accumulation de plaque intrasulculaire, qui est augmentée en cas de marges intrasulculaires indépendamment du type de matériau [11]. Cet accroissement de l’accumulation de plaque est lié à l’état de surface des restaurations mais aussi à leur morphologie. Aucune inflammation n’est constatée à court terme si la restauration est rigoureusement finie et polie [12].
En outre, depuis quelques années, on voit apparaître dans la littérature scientifique des rapports et des séries de cas mentionnant l’établissement d’un épithélium de jonction long sur des restaurations cervicales, voire radiculaires, en résine composite [13] ou en ciment verre ionomère modifié par adjonction de résine (CVIMAR) [14]. Bien que ces cas montrent une possible compatibilité entre l’épithélium gingival et les matériaux de restauration, l’analogie avec les remontées de marge doit être faite avec précaution. En effet, ce phénomène n’est observé qu’à la suite d’un acte chirurgical, lorsqu’un lambeau proprement incisé est repositionné sur la restauration. Par ailleurs, au cours de l’acte chirurgical, une finition des bords de la restauration ainsi qu’un polissage rigoureux sont indispensables. Dernièrement, Frese et al. [15] ont publié un protocole de remontée de marge destiné aux boîtes proximales. Cette méthode est proposée dans le cas où la limite prothétique se situe au sein même de l’espace biologique, à proximité du rebord crestal. L’ensemble de la procédure est réalisé sans champ opératoire ni matriçage – le contrôle du saignement gingival étant obtenu en utilisant un cordonnet rétracteur et une pâte astringente – et un soin particulier est accordé à l’état de surface de la restauration. Au bout de 1 an, aucun signe d’inflammation gingivale n’est constaté et l’analyse radiographique montre la stabilité du niveau osseux. De plus, d’après les données du sondage parodontal, il semblerait que l’attache épithéliale puisse se reformer sur la résine composite puisque le fond du sillon gingivo-dentaire n’atteint pas la limite cervicale de la restauration (fig. 24).
Toutes ces données de faible niveau de preuve ouvrent néanmoins une piste thérapeutique nouvelle car elles repoussent l’indication de l’allongement chirurgical de la couronne clinique. Il est notamment intéressant d’envisager la mise en place d’un champ opératoire étanche après incision et décollement d’un lambeau dans le cas de remontée de marge de faible étendue.
D’un point de vue mécanique, il ne faut pas oublier que la dent sur laquelle on effectue la remontée de marge présente un délabrement souvent important. La perte d’une ou des deux crêtes marginales, ainsi que la réalisation d’un traitement endodontique, sont des facteurs favorisant la concentration de contraintes au collet de la dent [16]. Les conséquences cliniques de ces sollicitations ne sont pas clairement étudiées dans la littérature scientifique. Elles vont de la simple perte d’étanchéité du joint dento-prothétique, avec coloration, à la fracture du matériau. Aujourd’hui pour contrôler au mieux ce facteur d’échec, il convient de privilégier un matériau présentant un module d’élasticité proche de celui de la dent. C’est le cas des résines composites, en général bien qu’il n’y ait pas de consensus dans le choix de leur viscosité. De plus, un réglage rigoureux de l’occlusion statique et dynamique est indispensable afin d’éliminer d’éventuelles interférences.
Le choix du matériau de remontée de marge reste encore controversé car aucun matériau ne remplit complètement les exigences usuelles évoquées. Le matériau est donc à adapter en fonction de la situation clinique, en tenant compte du risque carieux, de la localisation proximale et/ou vestibulo-palatine de la marge à élever, de la morphologie de la restauration et de la présence ou non de contre-dépouilles, ainsi que de la hauteur de matériau souhaitée, dictée par les impératifs prothétiques.
On peut néanmoins déduire des propriétés des matériaux, comparées dans le tableau 1, les recommandations suivantes :
• concernant les CVIMAR, l’épaisseur maximale tolérable est de 2 mm. Au-dessus, la photopolymérisation de la matrice résineuse est incomplète et les propriétés mécaniques du matériau sont affaiblies. La plus grande sensibilité des CVIMAR à la dégradation hydrique, notamment en présence d’acides, compromet leur durée de vie. Autant que possible, il faut préférer l’emploi d’une résine composite ;
• les résines composites fluides peuvent être utilisées en présence de contre-dépouilles ou de zones difficilement accessibles à l’instrumentation. Leur application doit être réalisée en plusieurs incréments afin de limiter la rétraction du matériau. De plus, du fait de leurs faibles performances mécaniques, elles ne doivent pas être appliquées sur des épaisseurs excédant 1,5 mm. Dietshi et al. [17] proposent l’utilisation de résines composites fluides semi-rigides possédant un module d’élasticité dépassant 7 GPa ;
• les résines composites de moyenne viscosité possèdent les propriétés mécaniques les plus adéquates. Toutefois, leur manipulation nécessite une très grande rigueur afin d’éviter les défauts interfaciaux. Les incréments sont condensés en exploitant la thixotropie du matériau. Le matériau peut même être préchauffé afin d’assurer une meilleure adaptation aux parois dentaires.
Lorsque le choix d’une résine composite est retenu, la sélection du système adhésif doit être également réfléchie. Les systèmes mordançage-rinçage (MR) présentent les meilleures valeurs d’adhérence bien qu’ils soient très sensibles à la manipulation. Les versions en 3 étapes (MR3) sont recommandées. Ces adhésifs sont à privilégier en présence d’émail marginal. Néanmoins, l’une des premières difficultés lorsqu’il ne persiste qu’un fin bandeau d’émail est l’application différentielle d’acide orthophosphorique sur la dentine et sur l’émail. Dans cette situation, le recours à un adhésif du type MR est discutable car le risque de surtraitement de la dentine est important. Pour cette raison, on préférera l’utilisation d’un système automordançant en deux temps (SAM2). Lorsque le collage est effectué sur la dentine et/ou le cément, plusieurs auteurs recommandent l’utilisation d’un adhésif automordançant car l’étape de séchage de la dentine est évitée. Néanmoins, si le protocole est maîtrisé par le praticien, un système MR en trois temps est préférable en raison de ses hautes performances et de sa meilleure résistance à la dégradation [18].
Aujourd’hui, aucune référence de haut niveau de preuve scientifique ne permet d’évaluer la durée de vie des inlays-onlays avec remontée de marge. Seule une présentation de cas rapporte une longévité dépassant les 10 ans [19] et, compte tenu de la sensibilité d’une telle technique, il est difficile de transposer cette performance à l’ensemble des praticiens.
La remontée de marge est une technique relativement récente dont les avantages sont reconnus. Néanmoins, très peu de données sont actuellement disponibles dans la littérature scientifique pour en évaluer le pronostic. Les références retrouvées consistent soit en une description de protocole, soit en une évaluation in vitro de l’adaptation marginale de la restauration finale. C’est pourquoi il est difficile d’en dégager une méthode standardisée ainsi qu’un matériau à privilégier.
La compréhension des enjeux propres à la région cervicale guide le praticien dans sa réflexion. Ainsi, le choix du matériau est dicté par les paramètres mécaniques, physiques et chimiques locaux, évalués et contrôlés par le praticien. De ce fait, afin de limiter les risques d’échec, il est indispensable d’effectuer un réglage rigoureux de l’occlusion et d’enseigner au patient les techniques d’hygiène garantissant un environnement biochimique favorable.
Bien qu’imparfaites, les résines composites semblent mieux convenir à cette situation qu’un autre matériau. C’est pourquoi on essayera autant que possible de mettre en place un champ opératoire isolant la dent de la salive et du sang. La bonne manipulation du matériau et la finition rigoureuse de la restauration sont les seules garantes d’un succès à long terme. En effet, les principales causes d’échec, que sont la récidive carieuse et la fracture, sont indépendantes de la localisation intrasulculaire des marges prothétiques mais sont déclenchées à partir de défauts présents dans la restauration. Or, la qualité d’un matériau ainsi que sa vitesse de dégradation dépendent justement des conditions dans lesquelles il a été mis en œuvre. Remerciement au Laboratoire Nouvelles Technologies pour les réalisations céramiques.
Remerciements au Laboratoire Nouvelles Technologies pour les réalisations céramiques.