Clinic n° 08 du 01/09/2015

 

Bilan mitigé pour le MEOPA

ENQUÊTE

MARIE LUGINSLAND  

Le traitement de l’anxiété et de la douleur liées aux soins ne cesse de préoccuper les chirurgiens-dentistes. Le MEOPA autorisé en médecine de ville depuis 2009 étant loin de satisfaire les besoins, certains praticiens revendiquent aujourd’hui l’exploration d’autres voies de sédation. Davantage qu’une recherche de confort, il s’agit d’offrir une véritable solution aux patients en échec de soins.

Il y a 6 ans, le mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote pour inhalation, plus connu sous le nom de MEOPA, sortait de la réserve hospitalière. Une mesure très attendue par les praticiens, jusqu’alors démunis de moyens de sédation en cabinet de ville. À ce jour, selon l’Ordre national des chirurgiens-dentistes, 1 111 d’entre eux ont été reconnus aptes pour employer au fauteuil ce mélange utilisé comme préliminaire aux anesthésies en milieu hospitalier. Entre 100 et 200 ?chirurgiens-dentistes libéraux suivent chaque année une formation de 2 jours qui leur permettra d’offrir une sédation à leurs patients handicapés, âgés, phobiques ou encore aux enfants. Nombre d’entre eux, spécialisés en pédodontie, en ont fait un axe de développement de leur cabinet. Certains réseaux de soins dentaires spécialisés dans la prise en charge des personnes handicapées l’utilisent également régulièrement.

Service rendu

Réputé pour ôter la peur du dentiste, atténuer les appréhensions des phobiques ou rassurer les patients anxieux, le MEOPA lève de nombreux freins à la pratique professionnelle. Il garantit une amélioration du confort pour le patient comme pour le praticien. Celui-ci peut travailler plus rapidement, notamment en petite traumatologie ou pour des actes de petite chirurgie. « Sous MEOPA, il est possible de soigner, chez l’enfant, 3 dents d’un coup alors qu’on n’en traiterait qu’une seule sans sédation », expose Tiphaine David-Béal, praticien hospitalier et maître de conférences. « C’est également un service rendu aux patients en échec de soins en raison de leur anxiété », renchérit un praticien.

Pour autant, 450 chirurgiens-dentistes seulement auraient aujourd’hui recours au MEOPA. Ce ne sont que des projections car Air Liquide, principal fournisseur de MEOPA sur le marché français, affirme ne pas détenir de statistiques spécifiques aux soins de ville. Pas davantage d’informations ne filtrent par l’Ordre : « L’utilisation du MEOPA en cabinet de ville n’étant pas une spécialité, il n’est pas possible d’indiquer si les praticiens détenant la reconnaissance d’aptitude pratiquent réellement cette technique. » Un constat cependant : après un pic en 2011, le nombre de professionnels suivant la formation décline d’année en année pour ne plus atteindre qu’une petite centaine cette année*. Au final, plus de la moitié des chirurgiens-dentistes disposant de la formation et parfois même de l’équipement sont devenus réfractaires après quelques expériences. Un accueil plus que réservé donc à ce qui était présenté comme une révolution dans l’approche des soins au cabinet. « On l’utilise surtout pour ne plus jamais recommencer », ironise un praticien parisien. Ces chirurgiens-dentistes craignent que leurs confrères, les cataloguant comme spécialistes du MEOPA, leur envoient systématiquement leurs patients difficiles. En un mot, ils redoutent de servir de réceptacle aux cas demandant beaucoup de temps et de patience, sans pouvoir obtenir un retour sur cet investissement.

Anxiogène

Après avoir éveillé des espoirs dans la profession, le MEOPA n’aurait-il pas tenu ses promesses ? Il est vrai qu’à l’usage, certains praticiens déchantent. « Il faut beaucoup de temps pour connaître le patient, l’origine de sa peur et lui présenter la séance de MEOPA. Évaluer en moyenne entre 15 et 30 minutes avant de pouvoir commencer », reconnaissent-ils. Sans compter que nombre d’enfants n’acceptent pas d’emblée le masque. « Beaucoup de chirurgiens-dentistes n’ayant jamais utilisé le MEOPA pensent que c’est magique, qu’il suffit d’appliquer un masque sur le patient pour pouvoir travailler tranquillement. C’est plus complexe. Le recours au MEOPA est souvent une médication formidable en termes de résultats mais il nécessite une prise en charge comportementale très importante à laquelle le praticien n’a pas toujours été formé et à laquelle il faut consacrer du temps », explique Tiphaine David-Béal, formatrice au MEOPA. Elle insiste sur la nécessité d’une séance d’explication préalable. « Il faut la considérer comme une première consultation au cours de laquelle on exposera au patient les effets du MEOPA sur les sens (distorsions visuelles ou auditives). De plus, le MEOPA peut être désinhibant et, donc, se révéler anxiogène sur des patients adultes ou adolescents qui veulent conserver la maîtrise d’eux-mêmes. Pour les enfants qui sont davantage dans l’imaginaire, cela posera moins de problèmes », décrit Tiphaine David-Béal.

Toutefois, l’obstacle majeur à l’expansion du MEOPA est d’ordre technique pour des omnipraticiens qui ne peuvent le pratiquer tous les jours. Administré en zone oro-faciale, le MEOPA se révèle par essence plus difficile d’usage dans l’art dentaire que dans les actes de petite chirurgie ou de soins infirmiers. « Il s’avère difficile d’utilisation avec les enfants qui, en ouvrant la bouche, ne respirent plus par le nez », convient le Dr Annie Berthet, praticienne au Pôle d’odontologie du CHU de Reims et enseignante à la faculté d’odontologie de l’université de Reims Champagne-Ardenne. Elle réfute en revanche le risque redouté par certains praticiens d’insuffler eux-mêmes le MEOPA expiré par les patients : « Le MEOPA est un gaz lourd qui se maintient au sol. » Il n’empêche, il se trouve encore des chirurgiens-dentistes craignant de tituber sous l’effet du produit pour expliquer leur aversion au MEOPA. Le Dr Tiphaine David-Béal recommande de travailler sous digue, notamment avec les enfants qui inspireront ainsi par le nez.

Standardisation fatale

Cette question d’étanchéité et donc d’absorption de la dose requise est souvent soulevée par la profession. Les praticiens craignent que le patient ne puisse recevoir la quantité de MEOPA nécessaire pendant toute la durée des soins et que, par conséquent, la séance soit un échec. Comment se faire régler la séance dans ce cas, se demandent les plus réticents d’entre eux. Si elle est facturée à l’hôpital, au cas par cas, entre 45 et 60 euros ou proposée gratuitement dans le cadre d’une « mission d’intérêt général », une séance de MEOPA revient à 100 euros minimum en ville et peut aller jusqu’à 160 euros. Le prix de cet acte – non pris en charge – entrave ainsi sa généralisation. « Comment voulez-vous que je propose ce confort à mes patients dans une région où il y a 15 % de chômage ? », questionne un praticien ardennais. S’il a ses aficionados, le MEOPA est donc loin d’être reconnu comme la panacée par la majorité de la profession. La faute aux autorités « qui ont voulu imposer une concentration fixe », accuse le Dr Joseph Choukroun. Après avoir été formateur MEOPA pendant plusieurs années, ce médecin anesthésiste a jeté l’éponge. « Ce mélange standard n’offre aucune flexibilité. Il ne permet pas de doser en fonction du patient. Sans compter son coût de revient, 2 à 3 euros la minute, alors qu’il ne devrait pas excéder 10 centimes », expose-t-il. Il reste convaincu qu’une titration adaptée au patient, comme c’est le cas en anesthésie, garantirait davantage de succès à la méthode. La question du dosage, qui a été confisquée aux praticiens, reste une revendication centrale dans l’utilisation du MEOPA. Elle explique en partie son échec. La plupart des praticiens abandonnent et, au-delà, renoncent à aborder la sédation dans sa globalité. Et pour cause. Le MEOPA est à ce jour la seule pratique de sédation autorisée aux chirurgiens-dentistes. Certains s’essaient à d’autres méthodes et se placent, dès lors, hors la loi. Une thèse soutenue en 2014 par une interne en pharmacie** sous la direction d’Hervé Moizan, odontologiste et praticien hospitalier, révèle l’existence de quelques chirurgiens-dentistes utilisant le midazolam dans leur cabinet libéral. « Cette pratique est à l’encontre de la législation. Ces chirurgiens-dentistes se procurent le produit par des moyens détournés et sont de ce fait dans l’illégalité, ces pratiques étant réservées exclusivement à l’usage hospitalier  », objecte Hervé Moizan, précisant que plusieurs signalements ont été faits par les agences régionales de santé à la Direction générale de la santé. Il rappelle les variabilités interindividuelles de réponse à ces médicaments « avec un risque de surdosage pouvant entraîner une détresse respiratoire au cabinet et une hypoxie ». « Le problème n’est pas d’injecter mais de gérer les complications », lance le Dr Joseph Choukroun, rappelant ainsi la nécessité d’une formation.

Anesthésistes nomades

Environ une centaine de praticiens français utiliserait actuellement du midazolam (benzodiazépine) en cabinet de ville, une méthode de sédation strictement réservée aux anesthésistes-réanimateurs. « Cette technique est pourtant simple et sûre en ambulatoire si l’on y est formé et elle permet d’éviter les anesthésies générales pour les actes chirurgicaux de longue durée dont on sait qu’ils sont anxiogènes pour le patient », défend Jean-Frédéric André. Pendant une vingtaine d’années, ce chirurgien-dentiste savoyard a opéré en implantologie, extrait des dents de sagesse ou tout simplement traité des patients anxieux. Jusqu’à ce qu’interdiction absolue lui soit faite par l’Agence régionale de santé. Pour continuer à pratiquer selon ces méthodes qu’il a acquises aux États-Unis, le praticien a franchi la frontière suisse. Car à moins de pratiquer en France sous le manteau, les praticiens recourant à la sédation intraveineuse n’ont d’autre choix que de trouver refuge chez leurs voisins européens.

Pour continuer à exercer en France tout en offrant un confort à leurs patients, des chirurgiens-dentistes font appel aux services d’anesthésistes. Une solution de remplacement qui profite d’un vide juridique en l’absence de transposition de décret par le ministère alors qu’un protocole a été établi entre l’Ordre national des chirurgiens-dentistes et la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) en 2014 (voir interview p. 15).

Pour l’heure, des anesthésistes libéraux, issus pour la plupart de la pratique plasticienne, interviennent à la demande, suivant le plan de traitement établi par le chirurgien-dentiste. Ces séances de diazanalgésie au cours desquelles le patient conserve son réflexe de déglutition et respire seul sont directement réglées par le patient comme dans le cadre de soins en clinique. « L’anesthésiste reste présent tout au long de la séance et dose au besoin. Le patient, comme après une anesthésie générale, ne se souvient de rien », décrit Jérôme Weinmann. Il ajoute que la voie intraveineuse a pour autre avantage de permettre l’injection d’anti-inflammatoires, d’analgésiques et d’antibiotiques. Ce praticien qui recourt à l’assistance d’un anesthésiste-réanimateur traite de nombreux patients « traumatisés » par des expériences dentaires précédentes. « J’ai découvert une population phobique qui, par définition, ne venait plus dans les cabinets. Le simple fait de prendre leur téléphone pour un rendez-vous les mettait dans un tel état de stress qu’ils abandonnaient. Ils étaient alors dans l’errance, dans le nomadisme médical », décrit-il. Il ajoute que le recours à cette sédation permet aux patients éloignés des centres médicaux de réduire le nombre de séances de soins. Or, face à la désertification médicale et aux besoins croissants des patients, des voix dans la profession revendiquent le droit de pratiquer la sédation sous intraveineuse. Elles dénoncent par ailleurs la « mainmise » sur l’utilisation de ces molécules par les anesthésistes-réanimateurs qui, du reste, se font de plus en plus rares. Ces chirurgiens-dentistes réclament une formation adéquate en techniques de sédation intraveineuse. « Ces odontologistes seraient correctement formés avec le concours des anesthésistes par le biais d’une formation diplômante de qualité, avec une période de tests avant de lever la réserve hospitalière », propose Hervé Moizan. Un transfert de compétences qui serait également une réponse en termes de santé publique.

* Ils étaient 69 en 2010, 304 en 2011, 251 en 2012, 229 en 2013, 143 en 2014 et 115 en 2015.

** Nicol O. Enquête sur les techniques de sédation consciente en chirurgie buccale. Évolution odontologique et médico-pharmaceutique. Rouen : UFR de médecine et de pharmacie, 2014.

*http://www.ordre-chirurgiens-dentistes.fr/chirurgiens-dentistes/securisez-votre-exercice/materiel-et-materiaux/gaz-medicaux-meopa.html

Dr Fabien Mauro Chirurgien-dentiste libéral (Paris)

« Aider le patient à sortir de l’adversité »

Ayant été sensibilisé à l’usage du MEOPA pendant mes études au service odonto-pédiatrique de Nice, j’en ai intégré la pratique au sein de mon cabinet où nous sommes tous formés (3 dentistes, 3 assistantes). Cela nous permet de prendre en charge des enfants et des adultes phobiques. Le MEOPA, compte tenu de son coût et du fait qu’il est non remboursable, est utilisé pour des patients ou des enfants qui en ont besoin et dont les parents sont motivés. Nous sommes d’ailleurs tenus de bien sélectionner nos patients afin d’éviter d’attirer les toxicomanes ou, même, de renforcer des comportements addictifs. Aussi, une consultation s’impose avant toute séance de MEOPA programmée. L’expérience montre que même dans le cas de personnes très stressées, il suffit généralement d’une séance intégrale la première fois, puis de 10 minutes au début de la suivante pour que les patients « basculent » et n’en aient plus besoin lors des rendez-vous ultérieurs. Ils deviennent ensuite des patients comme les autres. Cela est très valorisant pour un praticien de pouvoir aider un patient à sortir de l’adversité que lui impose sa phobie. Le MEOPA permet de « passer le cap ». Toutefois, il n’est qu’un outil et sans la communication avec le patient, cela ne fonctionne pas. Cette importance de la relation au patient se retrouve également avec les enfants. Si les enfants ne sont pas accompagnés, guidés par leurs parents (cas des enfants de moins de 4 ans), le MEOPA peut n’être d’aucune aide. Le plus important est qu’une relation de confiance s’instaure avec les parents et que ceux-ci nous fassent confiance, voire participent dans certains cas. Aujourd’hui, nous pratiquons en moyenne par semaine 5 séances de 1 heure, parfois 10. Le MEOPA a pour avantage de faciliter la pratique de l’hypnose, une autre discipline dans laquelle nous allons prochainement nous former.

Deux questions à Paul Samakh, vice-président de l’Ordre national des chirurgiens-dentistes

Un peu plus d’un millier de chirurgiens-dentistes a aujourd’hui suivi la formation au MEOPA. En attendiez-vous davantage après avoir tant œuvré pour la sortie de la réserve hospitalière de ce moyen de sédation consciente ?

P. Samakh : Il est vrai que la technique met plus longtemps à se diffuser que prévu, mais elle avance régulièrement. Notre commission scientifique en avait, dès la sortie de la réserve hospitalière, structuré les conditions d’exercice et, notamment, avait obtenu un plan de gestion des risques et rédigé un cahier des charges à l’intention des organismes de formation*.

Comprenez-vous que des confrères estiment l’utilisation du MEOPA trop rigide et préfèrent s’orienter vers la sédation par intraveineuse ?

P. Samakh : Il faut rappeler que l’utilisation du MEOPA a été autorisée justement parce que le mélange oxygène-protoxyde d’azote était fixe et que les conditions de sécurité étaient réunies. En ce qui concerne la sédation par intraveineuse qui n’est pas, je tiens à le souligner, une anesthésie – une anesthésite locale ou loco-régionale restant aux mains du chirurgien-dentiste –, nous avons avancé sur ce sujet puisque le ministère devrait rendre son avis prochainement sur le protocole que nous avons conclu, en 2014, avec la Société nationale des anesthésistes-réanimateurs (SFAR). Ce protocole établit les conditions d’intervention des médecins-anesthésistes au fauteuil, sachant que le chirurgien-dentiste peut ainsi se concentrer sur les actes qu’il a à réaliser. C’est un dossier que nous avons ouvert il y a 4 ou 5 ans et j’y suis moi-même très favorable à condition que le cabinet détienne un plateau technique adapté. C’est une technique qui permet des actes longs et anxiogènes pour le patient et ce pour de nombreuses interventions comme une élévation de sinus ou la pose d’implants multiples.