Clinic n° 08 du 01/09/2015

 

PATHOLOGIE

Arnold RIOT*   Hervé PEIGNIER**   Christophe LEBRETON***   Narcisse ELENGA****  


*PH contractuel au Centre hospitalier
de Cayenne, service odontologie
**Centre Hospitalier André Rosemon
6 rue des Flamboyants
97300 CAYENNE
***PH contractuel au Centre hospitalier
de Cayenne, service odontologie
****Centre Hospitalier André Rosemon
6 rue des Flamboyants
97300 CAYENNE
*****PH référent du service d’odontologie
du Centre hospitalier de Cayenne
******Centre Hospitalier André Rosemon
6 rue des Flamboyants
97300 CAYENNE
*******PH référent du service grands enfants
du Centre hospitalier de Cayenne
********Centre Hospitalier André Rosemon
6 rue des Flamboyants
97300 CAYENNE

La drépanocytose est une maladie génétique autosomique récessive touchant l’hémoglobine. Cette maladie génétique, bien qu’étant la plus répandue, reste mal connue des praticiens de santé.

Cette revue de la littérature a pour but de faire une mise au point sur les mécanismes en cours dans cette maladie, ses effets sur l’état de santé des patients et de synthétiser les recommandations spécifiques à la prise en charge de ces patients par le chirurgien-dentiste.

Épidémiologie [1-7]

La drépanocytose est la maladie génétique la plus répandue dans le monde avec 5 millions de malades drépanocytaires et de 100 à 120 millions de porteurs sains de la maladie.

La maladie touche principalement la population originaire des zones équatoriales et para-équatoriales, calquant la répartition d’exposition au paludisme par Plasmodium falciparum, car elle offre une résistance à ce parasite (fig. 1).

En l’absence de prise en charge précoce, le taux de mortalité infantile est très élevé avant 5 ans, pouvant atteindre 30 %, et l’espérance de vie ne dépasse pas une vingtaine d’années.

La prévalence à la naissance est, en France métropolitaine, de 1/3 000, aux Antilles-Guyane de 1/280 et elle peut atteindre 1/30 dans certaines régions d’Afrique.

En France, on estimait le nombre de patients drépanocytaires homozygotes S/S à 6 000 ou 7 000 en 2004 et à 10 000 en 2014. Devant la constante augmentation de l’espérance de vie, qui était d’une cinquantaine d’années en 2004, grâce au dépistage systématique des nouveaux-nés à risque et la prise en charge précoce de la maladie, on estime que le nombre de drépanocytaires en France pourrait atteindre 15 000 dans les prochaines décennies.

La mortalité est de 10 % dans les 20 premières années de vie, avec un pic entre 1 et 5 ans. Les jeunes enfants décèdent d’infections et de séquestration splénique, les plus âgés d’accidents vasculaires cérébraux.

Chez les adultes :

• 18 % des décès sont dus à des insuffisances organiques (dont la moitié par insuffisance rénale) ;

• 14 % suivent un syndrome thoracique aigu ;

• 10 % surviennent à la suite d’un épisode douloureux aigu.

Définition, étiologie de la maladie [1-3, 8-14]

La drépanocytose, du grec drepanon, « serpe, faucille », en anglais sickle, en rapport à la forme anormale prise par les globules rouges malades, est une anémie hémolytique d’origine génétique due à une anomalie de l’hémoglobine (fig. 2 et 3).

Son mode de transmission est autosomique récessif (fig. 4). Seuls les sujets homozygotes S/S sont atteints par la maladie et en présentent les symptômes. Les sujets hétérozygotes sont porteurs du « trait drépanocytaire » et sont asymptomatiques.

Lorsque le taux d’oxygène sanguin baisse, l’hémoglobine des globules rouges malades (drépanocytes) a tendance à se polymériser, modifiant la forme et perturbant la circulation des globules qui auront tendance à former des amas bouchant les fins vaisseaux sanguins. Ces thromboses vasculaires, à l’origine d’infarctus tissulaires, sont responsables de la plupart des manifestations symptomatiques du patient drépanocytaire (fig. 5).

Les trois principales manifestations de la maladie sont l’anémie, les crises douloureuses vaso-occlusives et une moindre résistance aux infections.

Conséquences de la maladie [1, 2, 7-9, 13, 15, 16]

Symptomatologie révélatrice de la maladie

La production d’hémoglobine adulte débutant vers l’âge de 6 mois, in utero et dans les premiers mois de vie, c’est l’hémoglobine fœtale (HbF) qui sert de support aux échanges gazeux. Cela explique l’absence de manifestation pathologique chez le patient drépanocytaire avant l’âge de 6 mois.

Les premiers symptômes apparaissent lorsque la production d’hémoglobine F s’arrête :

• syndrome anémique ;

• splénomégalie ;

• infections sévères répétées.

Anémie

La durée de vie moyenne des drépanocytes est de 10 à 20 jours contre 120 jours pour les globules rouges normaux.

Cette anémie est habituellement normochrome (quantité d’hémoglobine corpusculaire normale), normocytaire (taille normale) et régénérative. Elle se caractérise par une diminution anormale du taux d’hémoglobine : le taux d’hémoglobine normal est de 15 g/dl chez l’homme et de 13,5 g/dl chez la femme et l’enfant ; les drépanocytaires présentent une anémie chronique importante mais bien tolérée à 6 à 9 g/dl.

La lyse chronique des drépanocytes a des conséquences physiologiques sur l’organisme :

• une réticulocytose élevée (le réticulocyte est le précurseur du globule rouge) par une suractivité médullaire visant à compenser les pertes prématurées des globules rouges et le manque chronique d’oxygène. De nouveaux centres hématopoïétiques peuvent se former, notamment au niveau des zones médullaires de la mandibule, laissant apparaître à la radiologie des lacunes ostéoporotiques dont la nature histologique permet de retrouver les constituants classiques de la moelle osseuse ;

• une hyperbilirubinémie par dégradation rapide de l’hémoglobine se retrouvant sous forme circulante. Cela peut se révéler cliniquement par l’existence d’un ictère chronique plus ou moins marqué de la peau, des muqueuses et du blanc des yeux, et d’une coloration foncée des urines ;

• une hypersidérémie (surcharge en fer). La fréquence des transfusions sanguines et l’hyperabsorption intestinale stimulée par l’anémie apportent de grandes quantités de fer qui vont s’accumuler dans les tissus, engendrant une hépatomégalie par hémosidérose (ou hémochromatose) pouvant évoluer jusqu’à la cirrhose hépatique ;

• une splénomégalie. Parallèlement, la rate, qui élimine les hématies défectueuses, voit son fonctionnement s’accélérer considérablement par la gestion des nombreux globules rouges anormaux et son volume augmente. Les épisodes successifs et multiples d’infarctus spléniques finissent par aboutir à une asplénie fonctionnelle.

Cette anémie se traduit de plus par une fatigabilité excessive et une sensation de faiblesse. Lorsque l’anémie s’aggrave, un essoufflement avec tachycardie compensatrice peut apparaître.

Crises vaso-occlusives douloureuses

Lors d’une crise vaso-occlusive, provoquée par l’obstruction de capillaires, les infarctus tissulaires vont générer des douleurs très vives et brutales, représentant la « crise drépanocytaire vaso-occlusive ». Ces crises douloureuses sont plus fréquentes et plus graves durant la petite enfance qu’ensuite.

Les facteurs de risque de précipitation de crise sont :

• la déshydratation ;

• la douleur ;

• les changements de température, principalement le froid ;

• le stress ;

• les épisodes d’inflammation lors d’infections ;

• tout facteur pouvant entraver la circulation sanguine et l’apport en oxygène (vêtements serrés, efforts excessifs).

Les épisodes d’infarctus peuvent atteindre tous les organes et vont se cumuler avec le temps, aboutissant fatalement à des insuffisances organiques fonctionnelles secondaires.

Sensibilité aux infections

Les enfants atteints et, dans une moindre mesure, les adultes sont très sensibles aux infections qui peuvent se développer de façon fulgurante et doivent être prises en charge très rapidement. Toute fièvre ou signe d’infection chez un patient drépanocytaire est à traiter comme une infection sévère.

La surmobilisation de la rate et des centres hématopoïétiques, pour compenser les pertes de globules rouges, explique l’amoindrissement des fonctions immunitaires.

La désoxygénation des tissus doit jouer un rôle dans la propagation rapide des infections et dans le ralentissement des réponses immunitaires.

Complications aiguës

La fréquence des complications aiguës et chroniques peut être mise en corrélation avec la précocité de la découverte de la maladie, la qualité de la prise en charge et du suivi médical ainsi que celle de l’hygiène de vie. Il s’agit de :

• séquestration splénique aggravant rapidement l’anémie ;

• crise aplasique avec arrêt temporaire de l’érythropoïèse lors d’une infection ;

• crises douloureuses vaso-occlusives à répétition ;

• infections ;

• syndrome thoracique aigu ;

• priapisme ischémique aigu ou chronique.

Complications chroniques

Les organes du corps cumulant les épisodes d’infarctus tissulaires vont se fragiliser, ce qui aboutit à de nombreuses complications expliquant l’importante réduction d’espérance de vie de ces patients.

Le suivi médical et l’hygiène de vie conditionnent l’évolution de ces atteintes secondaires en permettant de réduire la fréquence des occlusions vasculaires.

Recommandations générales [1, 2, 5, 7, 10, 13]

En matière de conseil génétique :

• depuis 1985, le dépistage génétique néonatal est systématique dans les zones à risque ;

• depuis 1999, il est réalisé sur les enfants à risque, nés de parents venant de zones à risque ;

• un dépistage prénatal est possible chez les parents porteurs du trait drépanocytaire et une homozygotie peut être un motif d’interruption médicale de grossesse (IMG).

Par ailleurs, il convient :

• d’avoir une bonne hygiène corporelle pour éviter les infections ;

• d’avoir une bonne hygiène de vie ;

• d’éviter les facteurs de risque de déclenchement de crise vaso-occlusive, consitués par :

– la déshydratation,

– la douleur,

– l’exposition au froid,

– le stress,

– les épisodes d’inflammation lors d’infections,

– tout facteur pouvant entraver la circulation sanguine et l’apport en oxygène (vêtements serrés, mauvaise position),

– les efforts physiques intenses et prolongés ;

• de prévenir et de faire participer le cercle familial et scolaire aux mesures de précautions, par l’intermédiaire d’un projet d’accueil individualisé (PAI) permettant l’accueil adapté à l’enfant en milieu scolaire.

La drépanocytose est une affection de longue durée (ALD) donnant droit à la prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, avec exonération du ticket modérateur.

Traitements de la maladie

Les traitements [1, 7, 8, 10, 13, 15-17] classiquement instaurés chez les enfants consistent à :

• effectuer les vaccinations et leurs rappels ;

• mettre en place une antibioprophylaxie préventive quotidienne au moins jusqu’à 5 ans et pouvant être prolongée jusqu’à 15 ans ;

• procéder à la supplémentation quotidienne en acide folique, dont le déficit ralentit la production des hématies.

• faire prendre très rapidement en charge les infections par le médecin traitant, augmenter les doses d’antibiotiques.

Pour le traitement chronique des patients :

• en cas d’aggravation de l’anémie, le taux d’hémoglobine peut être rectifié par transfusion sanguine ;

• un traitement à l’hydroxyurée ou à l’hydroxycarbamide doit être instauré. Il va augmenter la production d’hémoglobine fœtale ayant un rôle protecteur et diminuer la fréquence et la sévérité des crises vaso-occlusives ;

• une greffe de moelle osseuse est possible s’il existe un donneur HLA identique dans la fratrie, afin de remplacer les lignées productrices de cellules sanguines, mais les risques présentés par l’irradiation préalable des centres hématopoïétiques en limite l’indication à des cas très sévères ne se stabilisant pas avec les traitements classiques.

Le cumul des épisodes d’infarctus tissulaires pourra mener à la mise en place de traitements des insuffisances organiques secondaires. L’interrogatoire et le contact avec le médecin traitant doivent permettre d’identifier de telles pathologies et leurs traitements.

Manifestations bucco-dentaires de la maladie [4, 11]

Des manifestations bucco-dentaires peuvent apparaître. Elles sont en rapport avec les atteintes générales dues aux crises vaso-occlusives et à leurs séquelles :

• hypominéralisation de l’émail et de la dentine avec taches sur l’émail ;

• susceptibilité accrue aux caries ;

• ostéoporose, ostéosclérose, perte des trabéculations osseuses, amincissement des corticales ;

• susceptibilité accrue aux ostéomyélites due à l’hypovascularisation de la moelle secondaire aux thromboses ;

• modification radiologique dans 80 % des cas :

– diminution de la densité osseuse,

– perte des fines trabéculations,

– augmentation des espaces médullaires entre les apex et l’os basal par recrutements de nouveaux sites d’hématopoïèse ;

• coloration claire des muqueuses à type d’ictère ;

• neuropathie du nerf mentonnier possible, avec violente douleur dans la mandibule et éventuelles paresthésies de la lèvre, de récupération lente pouvant aller jusqu’à 18 mois pour les paresthésies.

Prise en charge par le chirurgien-dentiste [2, 5, 7, 9, 11, 12, 13, 16, 18, 19]

Conduite à tenir face à la découverte d’une drépanocytose à l’interrogatoire

L’interrogatoire et le dossier du patient permettent de connaître :

• les coordonnées du médecin traitant ;

• les circonstances de découverte de la maladie ;

• la qualité du suivi médical ;

• le taux d’hémoglobine ;

• la fréquence et la sévérité des crises vaso-occlusives ;

• la qualité de l’hygiène de vie ;

– les pathologies et/ou insuffisances fonctionnelles organiques associées ;

• le dépistage au sein de la famille.

Il faut s’assurer du suivi dentaire et, si ce n’est pas le cas, le mettre en place.

L’examen et le bilan comportent :

• le bilan clinique, d’urgence ;

• les doléances du patient ;

• le bilan radiologique.

Il convient d’établir un plan de traitement complet ayant pour principal but l’éradication des foyers infectieux existants et potentiels.

Enfin, il faut prendre contact avec le médecin traitant.

Recommandations pour la prévention des crises vaso-occlusives

La déshydratation est un facteur de risque de déclenchement de crise : conseiller au patient de bien s’hydrater, voire s’hyperhydrater avant le rendez-vous.

Le froid étant un facteur de risque de crise :

• éviter la climatisation excessive pouvant créer un inconfort ;

• éviter par principe de précaution les tests au froid de vitalité pulpaire, même si aucun article n’en fait mention ;

• ne pas conseiller l’habituelle poche de glace à la suite d’une chirurgie.

Aménager des pauses en encourageant le patient à prendre de profondes inspirations permet de réduire les occurrences de crises vaso-occlusives.

Le stress favorisant la survenue des crises, sa gestion est primordiale chez ces patients : une prémédication à l’hydroxyzine (Atarax®) et le mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote (MEOPA) peuvent être utilisés en complément.

Un silence opératoire strict est indispensable et doit être mis en place en favorisant les anesthésies locorégionales, perturbant moins la circulation sanguine que les anesthésies locales. Les injections intraseptales et intraligamentaires seront évitées.

Les interventions sous anesthésie générale sont possibles en accord avec le médecin traitant et l’hématologue.

Les douleurs postopératoires devront être évitées, autant que possible, par l’utilisation adéquate de sutures, de colles biologiques, de concentrés plaquettaires (PRF, platelet rich fibrin), afin de réduire au minimum les risques d’alvéolite.

Les prescriptions antalgiques pourront aller du paracétamol à l’Acupan® et à la morphine en milieu hospitalier, et seront à discuter avec le médecin traitant.

Précautions face aux prescriptions médicamenteuses

Les corticoïdes accentuent le risque de crise vaso-occlusive mais pourront être utilisés si le bénéfice attendu le justifie.

Il convient d’éviter les anti-inflammatoires non stéroïdiens connus pour réduire le débit sanguin glomérulaire, pouvant précipiter une insuffisance rénale fonctionnelle.

Il faut :

• penser aux adaptations de posologies qui pourront être nécessaires en fonction des éventuelles insuffisances organiques fonctionnelles associées et en discuter avec le médecin traitant ;

• éviter les benzodiazépines qui sont des dépresseurs respiratoires, la prémédication sédative de choix sera l’hydroxyzine (Atarax®).

Prévention, hygiène bucco-dentaire et hygiène alimentaire

Un point d’honneur doit être mis sur la prévention, qui reste la plus efficace des solutions pour éviter toute précipitation de crise à la suite de problèmes et de soins dentaires :

• explications sur le rôle de sucre dans le métabolisme des bactéries, produisant de l’acide lactique qui déminéralise l’émail et la dentine ;

• motivation à l’hygiène (brossage, fil dentaire, brossette, fluor) ;

• détartrages ;

• prise en charge des parodontopathies (détartrage, utilisation de brossettes, explication sur le rôle des bactéries) ;

• prophylaxie fluorée (générale, topique) ;

• suivi dentaire semestriel strict ;

• motivation à l’hygiène alimentaire.

Conclusion

La drépanocytose, bien qu’étant la maladie génétique la plus représentée dans le monde, est mal connue des praticiens de santé.

Les épisodes vaso-occlusifs vont faire se cumuler des lésions irréversibles dans l’organisme, réduisant d’autant l’espérance de vie et la qualité de vie des patients atteints.

Les insuffisances organiques secondaires qui en résultent doivent être dépistées et prises en compte dans les étapes du traitement et dans les prescriptions médicamenteuses.

La prise en charge correcte de ces patients devrait permettre d’éviter de nombreux facteurs précipitant les crises, tels le stress, le froid, la douleur et les infections.

La prévention bucco-dentaire et l’hygiène alimentaire sont les solutions permettant d’éviter toute crise pouvant succéder à des problèmes ou à des soins d’origine dentaire, et elles devront être motivées.

Bibliographie

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