Clinic n° 08 du 01/09/2015

 

PASSIONS

CATHERINE BIGOT  

On peut aimer l’histoire autant que les sciences, on peut exercer comme omnipraticien et adorer écrire. Elsa Combes Fruitet a plus d’une passion dans son baluchon. Sa thèse, qui décrit les caractéristiques crâniennes, faciales et dentaires des homininés jusqu’à Homo sapiens, a servi de trame à un livre paru récemment aux éditions L’Harmattan.

Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire sur ce sujet ?

Je suis passionnée d’histoire et d’archéologie depuis toujours. J’avais d’abord imaginé faire des études littéraires puis ai choisi de devenir professionnelle de santé, ce qui n’est pas tout à fait la même chose ! Je lis énormément et ai toujours eu le goût de l’écrit. Adolescente, j’avais même commencé l’écriture d’un roman.

Quand le moment du choix d’un sujet de thèse est venu, j’ai eu envie de me faire plaisir en liant ma vocation de chirurgien-dentiste et mes passions. J’ai donc proposé à mon maître de thèse un sujet traitant à la fois d’odontologie et de paléontologie, et il a accepté !

Comment avez-vous mené vos recherches ?

J’ai lu de nombreux articles et ouvrages en lien avec le sujet, essentiellement des thèses écrites en chirurgie dentaire et des livres d’anthropologie.

Comme j’ai grandi à Perpignan, je connaissais très bien le site de Tautavel où s’est installé le Centre européen de recherches préhistoriques, dans les Pyrénées-Orientales. J’ai contacté le centre et y ai rencontré le chercheur Tony Chevalier, qui a par la suite supervisé mon travail et fait partie de mon jury de thèse. Son aide a été primordiale dans mes recherches.

Quel est l’objet de votre livre ?

Il s’agit d’essayer d’établir un lien entre l’évolution des caractéristiques dentaires, crâniennes et faciales des homininés – qui comprennent les australopithèques, les paranthropes et les fossiles de la lignée homo – et certains problèmes cliniques ou caractéristiques dentaires rencontrés quotidiennement par les chirurgiens-dentistes dans leur pratique.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressée dans l’étude de ces caractéristiques ?

J’ai découvert une évolution buissonnante et non linéaire puisque certains homininés ayant parfois vécu simultanément présentaient malgré cela des caractéristiques différentes. Il est intéressant de voir la façon dont leur morphologie s’est adaptée à leur environnement et à leur alimentation. Et de constater également l’impact de l’apparition de la culture. L’outil a notamment affiné le système manducateur et réduit le volume des dents, particulièrement celui des molaires.

Certains homininés m’ont marquée plus que d’autres. Par exemple les paranthropes, dont les mâles présentaient sur le sommet du crâne une crête osseuse où venaient s’insérer les muscles masticateurs, ce qui dénotait une puissance masticatoire très importante.

Quels retentissements cela a-t-il sur la dentisterie d’aujourd’hui ?

Certains problèmes cliniques s’expliquent par l’histoire. Par exemple l’éruption des dents de sagesse mandibulaires s’explique par une réduction de l’arcade mandibulaire. Le volume parfois très important de ces dents de sagesse est un caractère « 7 archaïque » que certaines personnes ont conservé alors que, paradoxalement, elles ont une petite mâchoire.

Idem pour la difficulté des traitements endodontiques qui s’explique parfois par la présence de canaux accessoires ou supplémentaires, vestiges d’un nombre plus élevé de racines chez les anciens homininés que chez l’homme actuel.

Vos recherches ont-elles fait évoluer votre vision des choses ?

Aujourd’hui, j’explique beaucoup plus à mes patients la raison d’un problème d’éruption ou d’un souci carieux. S’ils ont une particularité anatomique, par exemple une dent avec un tubercule supplémentaire, je le leur signale. Ils sont en général contents de savoir qu’ils possèdent une caractéristique « rare » et m’en reparlent souvent. Le sujet permet d’ouvrir des discussions.

Comment avez-vous réussi à concilier votre exercice et l’écriture de ce livre ?

Un an a été nécessaire pour réadapter ma thèse en livre, alors que je travaillais au cabinet 4 jours pleins par semaine et que j’ai une petite fille. L’année 2014 a donc été chargée ! Mais j’ai été très soutenue par mon entourage, au cabinet comme dans la vie privée.

Quels sont vos projets dans les années à venir ?

Je veux me consacrer à ma pratique clinique en poursuivant une activité d’omnipratique car j’aime soigner les patients dans leur globalité. Pour ce qui est de l’édition, j’ai déjà quelques idées qui me trottent dans la tête mais pas pour tout de suite. Quand on a goûté à la joie d’écrire un livre, on n’a pas envie de s’arrêter !

Diplômée de la faculté de chirurgie dentaire de Toulouse en 2010, Elsa Combes Fruitet exerce comme collaboratrice dans un cabinet de la périphérie toulousaine, à La Salvetat-Saint-Gilles, en Haute-Garonne. Elle travaille aussi pour l’association Domident qui soigne des personnes âgées dépendantes à domicile, à l’hôpital ou en EHPAD.

Sa thèse a été publiée aux éditions L’Harmattan : Caractéristiques dento-cranio-faciales des homininés, coll. Médecine à travers les siècles, 94 p., novembre 2014.