PATHOLOGIES
Marie-Joséphine Crenn* Alice Guyon** Anna Karimova*** Alexia Cadot**** Linda Dainese***** Lucas Ung****** Marion Paris*******
*Interne en médecine bucco-dentaire
**Hôpital Armand Trousseau
26 avenue du Docteur-Arnold-Netter
75012 Paris
***Interne en chirurgie orale
****Hôpital Armand Trousseau
26 avenue du Docteur-Arnold-Netter
75012 Paris
*****Interne en médecine bucco-dentaire
******Hôpital Armand Trousseau
26 avenue du Docteur-Arnold-Netter
75012 Paris
*******Interne en chirurgie orale
********Hôpital Armand Trousseau
26 avenue du Docteur-Arnold-Netter
75012 Paris
*********Assistant hospitalo-universitaire
Service d’anatomie et cytologie
pathologiques
**********Hôpital Armand Trousseau
26 avenue du Docteur-Arnold-Netter
75012 Paris
***********Assistant hospitalo-universitaire
************Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle odontologie, hôpital Rothschild
5, rue Santerre
75012 Paris
*************Maître de conférences universitaire – praticien hospitalier
**************Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle odontologie, hôpital Rothschild
5, rue Santerre
75012 Paris
La grossesse est un état physiologique particulier marqué par des modifications hormonales importantes entraînant des manifestations buccales spécifiques. Les gingivites, les parodontites ou encore l’épulis gravidique sont celles le plus régulièrement observées par les chirurgiens-dentistes. Cet article a pour objectif de présenter la gestion d’une lésion gingivale moins fréquemment décrite, le botryomycome. La thérapeutique pour une telle patiente repose alors sur une prise en charge multidisciplinaire.
Une patiente de 33 ans est adressée par le service de gynécologie obstétrique de l’hôpital Robert-Debré en urgence. Le motif de consultation est une hémorragie endobuccale persistante ayant nécessité préalablement une transfusion en raison d’une anémie (hémoglobine à 7 g/l). Elle ne présente aucun antécédent médico-chirurgical et est dans son troisième trimestre de grossesse.
L’examen exobuccal met en évidence une asymétrie faciale avec une élévation de la lèvre supérieure gauche. Il n’existe pas d’adénopathie palpable. Le sourire est inesthétique en raison de l’exposition d’une lésion endobuccale. L’examen endobuccal révèle une tuméfaction vestibulaire entre 23 et 24. Il s’agit d’un nodule exophytique, bourgeonnant, d’environ 1,5 cm, ferme, spontanément hémorragique et non douloureux. Un enduit fibrineux recouvre la lésion. Celle-ci est pédiculée avec un point d’attache sur la papille interdentaire (fig. 1 et 2). L’hygiène bucco-dentaire est insuffisante et certaines dents ne peuvent pas être conservées. Les dents 23 et 24 répondent positivement au test au froid.
La radiographie rétroalvéolaire, réalisée avec tablier en plomb, ne permet pas d’objectiver clairement une lyse osseuse en regard de la lésion (fig. 3).
L’anamnèse et l’aspect clinique de la lésion orientent le diagnostic vers un épulis gravidique. Bien qu’il n’y ait pas de recommandation formelle d’instaurer une antibiothérapie pour ce type de lésion, il est décidé en consultation d’urgence de prescrire de l’amoxicilline (2 g/j pendant 6 jours) en raison de l’aspect clinique de la lésion qui semblait surinfectée ainsi que du contexte général inhérent à la patiente. L’exérèse sous anesthésie locale est programmée et doit avoir lieu 2 jours plus tard.
Lors de l’intervention, le saignement peropératoire réduit la visibilité du site et rend le curetage difficile. La pièce opératoire est envoyée pour examen anatomopathologique. Les suites opératoires sont simples.
En raison de l’accouchement de la patiente, la consultation de contrôle à J7 est reportée. Les résultats anatomopathologiques ne concluent pas à un épulis mais à un volumineux bourgeon charnu inflammatoire hyperplasique de 1,5 cm. Ils décrivent par ailleurs une lésion polypode revêtue d’une muqueuse gingivale largement ulcérée. La lésion est agencée en lobules qui, à plus fort grandissement, sont constitués d’une prolifération capillaire.
La patiente recontacte le service 1 mois et demi après son premier rendez-vous en raison de la récidive de la lésion gingivale (fig. 4), bien qu’elle ait accouché. Il n’existe pas d’altération de l’état de santé générale et aucune adénopathie n’est palpable. La doléance de la patiente est esthétique et fonctionnelle en raison du volume important de la lésion qui est asymptomatique. Un détartrage ainsi que les extractions dentaires des racines de 27, 18 et 48 sont réalisés afin d’éliminer toute irritation locale.
Une exérèse est de nouveau programmée en raison de la récidive de la lésion. La chirurgie est facilitée grâce à une meilleure visibilité car le saignement est moins abondant que lors de la première intervention. L’observation clinique met en évidence une perte osseuse à la fois verticale et horizontale centrée sur la zone papillaire. La pièce est également envoyée au laboratoire pour examen anatomopathologique avec l’hypothèse diagnostique d’un granulome pyogénique, orientée par la première analyse. Le site est recouvert de Surgicel® afin de stopper le saignement peropératoire et des mesures d’hémostase locale sont mises en place (fig. 5 à 7). Les suites opératoires sont également simples. Lors du contrôle au bout de 15 jours, la cicatrisation du site est satisfaisante. Les résultats de l’analyse de la pièce d’exérèse rapportent la présence d’un tissu de granulation richement vascularisé associé à un infiltrat inflammatoire comparable à celui du prélèvement précédent de 1,5 cm, confirmant le diagnostic de granulome pyogénique, ou botryomycome. L’examen montre une lésion nodulaire revêtue d’un épithélium malpighien régulier ulcéré. La lésion nodulaire est constituée d’une prolifération capillaire orientée perpendiculairement à la surface épithéliale (fig. 8).
Un contrôle 1 mois puis 2 mois plus tard sont également réalisés, aucune récidive n’est relevée (fig. 9).
Le granulome pyogénique (également appelé botryomycome ou bourgeon charnu hyperplasique) est une pseudo-tumeur bénigne du tissu conjonctif impliquant une composante vasculaire [1]. Plus fréquemment observé chez l’enfant et la femme que chez l’homme, il siège principalement sur la gencive [2]. Il se développe à partir d’une irritation, d’une lésion cicatrisant mal ou encore d’un traumatisme. Une modification hormonale durant la grossesse peut également en être à l’origine [3]. Il s’accroît rapidement et atteint une taille maximale qui peut parfois aller jusqu’à 4 cm de diamètre. Il ne régresse spontanément que rarement [4].
Le traitement repose sur l’exérèse chirurgicale et la suppression des causes (irritations locales et mesures d’hygiène) pour prévenir toute récidive. L’exérèse de la lésion doit alors se faire jusqu’au périoste et tout élément adjacent à la lésion avec un caractère irritant doit être supprimé (tartre, restaurations débordantes…).
Le diagnostic différentiel doit être fait avec l’épulis à cellules géantes, les tumeurs bénignes d’origine conjonctive et les carcinomes épidermoïdes [5].
Habituellement, l’existence d’une collerette entourant le pied de la lésion est un élément diagnostique hautement évocateur. Le moindre effleurement entraîne un saignement parfois difficile à maîtriser.
Dans le cas présenté ici, la grossesse a orienté le diagnostic vers une lésion plus fréquemment retrouvée : l’épulis gravidique. Le granulome pyogénique chez la femme enceinte demeure moins courant. Il est considéré comme une lésion hormono-dépendante. Le niveau élevé des hormones sexuelles (œstrogènes et progestérone) joue probablement un rôle dans l’étiopathogénie. L’expression des facteurs angiogéniques dans les tissus inflammatoires est stimulée par ces hormones. Ces facteurs occupent une place majeure dans la morphogenèse vasculaire des granulomes pyogéniques ; ils sont retrouvés en quantité importante lors la grossesse et en faible quantité après l’accouchement [6].
Il existe deux hypothèses plausibles expliquant la récidive. La première serait la persistance de l’imprégnation hormonale associée à l’allaitement. La seconde serait une chirurgie initiale incomplète.
La patiente n’allaitant pas, la seconde hypothèse est spontanément retenue.
Face aux pathologies de la muqueuse buccale, la corrélation entre l’examen clinique et l’examen anatomopathologique est indispensable afin de confirmer le diagnostic. En cas de doute sur les démarches à suivre, il est important de savoir orienter son patient afin que la prise en charge soit efficace.