PATHOLOGIE GÉNÉRALE
Muriel De La Dure-Molla* Brigitte Vi-Fane** Cécilia Neiva*** Véronique Soupre**** Arnaud Picard***** Eva Galliani****** Marie-Paule Vazquez*******
*INSERM UMR_1163, département de génétique,
Institut Imagine
Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle d’odontologie, hôpital Rothschild
**Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
***Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle d’odontologie, hôpital Rothschild
****Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
*****Hôpital Necker, Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique
******Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
*******Hôpital Necker, Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique
********Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
*********Hôpital Necker, Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique
Université Paris 5, UFR de médecine
Paris Descartes
**********Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
***********Hôpital Necker, Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique
************Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
*************Hôpital Necker, Service de chirurgie maxillo-faciale et chirurgie plastique
Université Paris 5, UFR de médecine
Paris Descartes
**************Centre de référence des malformations rares
de la face et de la cavité buccale (CR MAFACE),
AP-HP, Paris
Les maladies génétiques regroupent plusieurs milliers de pathologies touchant un pourcentage non négligeable de la population. Toutes ne sont pas graves ou invalidantes mais beaucoup ont des répercussions dans la région cranio-faciale. Ces signes cliniques faciaux et parfois dentaires peuvent même constituer des critères majeurs de diagnostic. La prise en charge pédiatrique précoce de ces anomalies dentaires est indispensable et souvent complexe. Elle vise à réhabiliter fonction et esthétique orale tout en accompagnant la croissance.
Le syndrome ectrodactylie, dysplasie ectodermique et fente labiale et/ou palatine (EEC3 : ectrodactyly, ectodermal dysplasia, and cleft/lip palatal syndrome 3, OMIM #604292) est une maladie génétique rare de prévalence inconnue ; seuls 300 cas sont décrits dans la littérature médicale. Sa transmission est autosomique dominante. Le gène causal a été identifié au locus 3q28, il s’agit du gène TP63 codant pour un facteur de transcription de la famille p 53 [1].
Ce syndrome se caractérise par une triade malformative [2, 3] :
• anomalies des extrémités (ectrodactylie, syndactylie des mains et/ou des pieds, anomalie spécifique qualifiée de « mains en pince de crabe ») ;
• dysplasie ectodermique (anomalie de la peau de type hypopigmentation, peau sèche, hyperkératose, dysplasie unguéale, cheveux fins, diminution du nombre des glandes exocrines, anomalies des voies lacrymales) ;
• fente oro-faciale.
Son expressivité est variable ; les patients ne présentent pas systématiquement tous les signes cliniques. D’autres anomalies peuvent être associées, bien que plus rares, comme un retard psychomoteur, des anomalies oculaires, urogénitales ou auditives. La prise en charge est évidemment pluridisciplinaire : chirurgicale (chirurgie orthopédique, chirurgie maxillo-faciale, chirurgie plastique), odontologique (orthodontie, pédodontie, prothèse), dermatologique, ORL et orthophonique. Comme dans toutes les dysplasies ectodermiques, le pronostic vital est mis en jeu si le patient présente une anhidrose non diagnostiquée.
Au niveau facial et oral, les patients peuvent présenter une fente labiale ou labio-palatine, des agénésies dentaires, des anomalies de forme des dents, des hypoplasies amélaires, des retards d’éruption, une sécheresse buccale par hypoplasie des glandes salivaires pouvant entraîner un risque carieux élevé et des inflammations gingivales [4-6]. Certains auteurs rapportent des difficultés pour le brossage liées au défaut de préhension des mains.
Les enfants qui en sont atteints présentent également des anomalies de langage : retard de parole et de langage, transformations des phonèmes en lien, défaut d’articulation et nasalité de la voix dus à une incompétence vélo-pharyngée. Ces défauts s’expliquent par la présence de la fente mais également par les pertes auditives en rapport avec les otites séromuqueuses.
Cet article rapporte le cas d’une enfant présentant un syndrome EEC et âgée maintenant de 15 ans. Sa prise en charge débute dès les premiers de jours de sa vie. Elle naît avec une fente labio-palatine totale et bilatérale. Une orthèse maxillaire est posée le deuxième jour, facilitant ainsi la tétée.
L’examen clinique pédiatrique montre d’autres anomalies. Aux niveaux des extrémités, les anomalies associent doigts longs et fins, pouces larges, duplication de la partie distale de l’index droit avec présence de deux phalanges P2 et d’une phalange P3, plis anormaux nombreux sur la face interne du 5e doigt gauche, syndactylie des 2e et 3e orteils au niveau du pied droit, duplication du pouce avec ébauche de deux phalanges P2 et mini-syndactylie des 2e et 3e orteils au niveau du pied gauche.
Elle présente par ailleurs quelques signes de dysplasie ectodermique : ongles dysplasiques et striés, cheveux et sourcils fins, kérato-conjonctivite bilatérale en rapport avec les anomalies des voies lacrymales, peau sèche.
Face à ce tableau clinique, le diagnostic d’EEC est posé et confirmé par la présence d’une mutation de novo du gène TP63.
À l’âge de 3 mois, une première intervention chirurgicale vise à réparer le voile du palais, la lèvre et le nez (véloplastie intravélaire, chéiloplastie et septo-rhinoplastie). À 12 mois, le palais osseux est fermé sans que les fentes alvéolaires ne soient touchées.
À l’âge de 5 ans et demi, une expansion maxillaire préparatoire aux interventions de gingivo-périostoplastie est entreprise à l’aide d’un appareillage amovible (choix indiqué par la faible valeur intrinsèque des dents présentes). À l’âge de 6 et 7 ans sont réalisées, en deux temps opératoires, les gingivo-périostoplasties avec mise en place de greffons iliaques d’os spongieux au niveau des fentes maxillaires droite et gauche et fermeture d’une fistule palatine résiduelle [7].
L’examen du visage à cet âge révèle un très léger hypertélorisme, une rareté du tiers externe des sourcils, une peau fine et sèche, des lèvres sèches et une asymétrie du nez. L’étage moyen du massif facial révèle une rétrusion sévère (avec une importante hypoplasie du prémaxillaire). L’examen endobuccal et radiologique montre une oligodontie avec des agénésies de toutes les prémolaires et canines maxillaires et mandibulaires, des incisives latérales maxillaires et des incisives centrales mandibulaires (fig. 1). L’arcade maxillaire a une forme en V avec une endoalvéolie bilatérale et une infra-alvéolie des secteurs latéraux. La muqueuse est marquée par des cicatrices des chirurgies antérieures. Les incisives centrales maxillaires sont sévèrement linguo-versées. Des anomalies de forme affectent toutes les dents présentes, en particulier les premières molaires permanentes, dont le nombre de cuspides est augmenté. Enfin, des hypominéralisations amélaires sont retrouvées sur les incisives centrales permanentes maxillaires. À la mandibule, il existe un encombrement antérieur secondaire avec une évolution palatine des incisives latérales. La patiente présente alors une occlusion en léger bout à bout incisif, une endoclusion maxillaire bilatérale avec béance postérieure (fig. 2).
C’est à l’âge de 10 ans que le traitement orthodontique est repris dans l’objectif de corriger l’inversé d’articulé antérieur et l’endoclusion bilatérale (récidive du sens transversal). Des appareillages amovibles (plaque à vérin, disjoncteur sur gouttière) puis fixes (multi-attaches) sont utilisés pour corriger l’inversé d’articulé antérieur et tenter une expansion transversale du maxillaire. Ces traitements se heurtent à d’importantes récidives et à des gains très en dessous des objectifs attendus malgré une très bonne participation de l’enfant. L’état parodontal, aggravé par l’hyposialie, et l’état de résorption radiculaire des dents temporaires persistantes conduisent à la décision d’arrêter le traitement orthodontique à ce stade et de différer les traitements après la fin de la croissance (fig. 3 et 4). Il est alors nécessaire de mettre au point un moyen de contention qui devra, d’une part, maintenir les gains acquis et, d’autre, part restaurer les arcades et les fonctions orales jusqu’à ce que les traitements puissent être de nouveau entrepris à l’âge adulte.
Afin de restaurer une occlusion fonctionnelle et de maintenir les dimensions de l’arcade maxillaire, il est décidé de réaliser une prothèse de contention en overdenture sur base métallique (fig. 5). Le choix d’utiliser une base métallique a plusieurs justifications : la solidité compte tenu du faible espace prothétique et la nécessité d’une contention résistante et précise, ce que ne pourrait apporter une overdenture en résine. Des modèles en plâtre sont obtenus grâce à des porte-empreintes individuels, puis montés en articulateur en relation centrée. La patiente présente une relation occlusale très instable avec seulement deux contacts ponctuels, du côté gauche postérieurement (au niveau des deuxièmes molaires permanentes) et au niveau incisif. Étant donné le très faible espace prothétique, notamment au niveau des incisives maxillaires, une légère augmentation de la dimension verticale est réalisée sur articulateur. Des facettes en composite (composite de laboratoire Kerr®) sont façonnées sur les modèles pour reconstituer les incisives centrales maxillaires. Elles ont un objectif en premier lieu esthétique, en corrigeant l’anomalie de forme et de structure, mais également fonctionnel. En augmentant la hauteur coronaire de ces dents, elles recouvrent de quelques millimètres les incisives mandibulaires, empêchant ainsi la récidive de palato-version. Aucune préparation n’est faite sur les dents en bouche.
La conception du châssis de la prothèse intègre des grilles recouvrant les surfaces occlusales des secteurs latéraux en infraposition. Ces grilles permettent d’assurer la rétention de dents en composite qui sont montées sur le châssis pour rétablir l’occlusion. Un plan d’occlusion idéal est utilisé comme référence au maxillaire. Les deux molaires temporaires mandibulaires gauches, demeurant en infraposition, sont alors rehaussées par deux onlays composites façonnés sur les modèles puis collés en bouche (fig. 6 et 7).
Il n’existe aucun consensus ni protocole thérapeutique dans la prise en charge des anomalies dentaires des maladies rares, en particulier dans les cas d’agénésies dentaires associées à une malformation faciale syndromique. Seul, deux cas ont été rapportés dans la littérature médicale [8, 9]. Les traitements sont donc discutés et décidés par des équipes pluridisciplinaires associant, pour le cas de cette patiente, les chirurgiens maxillo-faciaux, les orthodontistes et les odontologistes. Les patients atteints d’un syndrome EEC présentent, au niveau facial, une fente labiale ou labio-palatine unilatérale ou bilatérale associée à une hypomaxillie et à des agénésies dentaires. Dans le cas rapporté ici, l’enfant présente l’agénésie de 16 dents permanentes, essentiellement dans les secteurs canines-prémolaires. Il est clair que l’absence de germes dentaires a pour conséquence directe un déficit de croissance de l’os alvéolaire à cet endroit. L’oligodontie est donc un facteur qui contribue au manque de croissance de l’arcade maxillaire. Les agénésies dentaires des secteurs prémolaires s’accompagnent souvent d’une infraposition des dents temporaires persistant sur l’arcade. Ce phénomène s’observe chez cette patiente par la présence de béances latérales s’aggravant avec l’âge. La réparation de la fente est réalisée au cours des premiers mois de la vie pour mettre l’étanchéité de la succion, améliorer l’esthétique du visage de l’enfant et le regard de l’entourage, tout en respectant la zone alvéolaire afin de ne pas y placer de tissu cicatriciel. Les cicatrices vélaires, palatines et labiales secondaires à la chirurgie peuvent aggraver l’hypomaxillie en rapport avec le syndrome associé et les agénésies dentaires, conduisant aux multiples récidives d’expansion maxillaire chez cette patiente. Le traitement de l’endomaxillie et sa contention se sont révélés être les difficultés majeures. L’indication d’une disjonction chirurgicale (Lefort I avec décollement du plan nasal) a été discutée mais écartée à cause du pronostic réservé des dents.
L’aspect morphologique et esthétique est un point important à prendre en compte chez ces enfants. Le sourire est le premier contact du lien social. Les études montrent que les patients (enfants mais également adultes) présentant des fentes faciales subissent beaucoup plus de moqueries et de regards négatifs de l’entourage que les autres [10]. Le manque d’hygiène orale est un témoin classique. Il faut également prendre en compte le fait qu’un grand nombre de facteurs de risque de carie sont présents chez ces patients : malpositions, encombrement et infraposition dentaires, hypomaxillie, sécheresse buccale et péri-orale. L’hyposialie est un facteur connu augmentant le risque carieux et l’inflammation gingivale. Il est donc impératif de mettre en place un enseignement de techniques de brossage adaptées à chaque patient ainsi qu’un accompagnement régulier de l’enfant et de ses parents, dès son plus jeune âge.
Le syndrome EEC est une forme rare de dysplasie ectodermique caractérisée par la présence d’une fente oro-faciale et des anomalies des extrémités. La prise en charge thérapeutique la plus complexe est celle de l’anomalie oro-faciale. Très peu de cas sont décrits dans la littérature médicale, dont deux seulement détaillant la prise en charge dentaire. Celle-ci doit être pluridisciplinaire et précoce dans l’objectif d’accompagner et de guider la croissance maxillo-faciale pour permettre une restauration définitive implanto-portée à l’âge adulte.