PARODONTIE
Christelle Darnaud* Maria Clotilde Carra**
*Attaché universitaire
Diplômée de l’European Federation of
Periodontology and Implantology
**Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle odontologie, hôpital Rothschild
5, rue Santerre
75012 Paris
***Assistant hospitalier universitaire
DU de parodontologie
****Université Paris Diderot-Paris 7
Pôle odontologie, hôpital Rothschild
5, rue Santerre
75012 Paris
La santé orale est un sujet d’actualité puisque de nombreuses études françaises et internationales mettent en relation les maladies parodontales avec les maladies systémiques et, notamment, les maladies cardio-vasculaires et leurs facteurs de risque (athérosclérose, dysfonction endothéliale, hypertension…).
L’objectif de cet article est de présenter les principaux liens connus et ceux en cours de recherche tentant d’éclaircir les possibles voies physiopathologiques entre ces types de maladies.
La maladie parodontale est un terme générique qui regroupe plusieurs formes de pathologies affectant les tissus de soutien de la dent : la gencive, le ligament parodontal, le cément et l’os alvéolaire. À la différence des gingivites, qui sont réversibles et qui touchent le parodonte superficiel, les parodontites sont caractérisées par une perte d’attache parodontale progressive aboutissant, en l’absence de traitement, à la perte de la dent (fig. 1).
Il est estimé que de 47 à 82 % de la population présente une forme de parodontite, dont 8 à 11 % seraient une forme sévère de la maladie nécessitant un traitement spécifique [1]. D’un point de vue épidémiologique, la parodontite sévère est la sixième maladie la plus fréquemment rencontrée à l’échelle mondiale avec une incidence estimée à environ 700 nouveaux cas par an pour 100 000 sujets et une prévalence qui augmente avec l’âge [2].
L’histoire naturelle de la parodontite chronique montre une évolution généralement lente avec des périodes d’activité alternant avec des périodes de quiescence. Sa progression peut être accélérée lorsque le système immunitaire du patient est affaibli (hérédité, affection générale, déficit immunitaire).
La parodontite est considérée comme une maladie inflammatoire multifactorielle d’origine bactérienne. Le facteur étiologique principal est la plaque dentaire accumulée sur les surfaces sus-gingivales et sous-gingivales dentaires et radiculaires [3].
Des bactéries parodontopathogènes ont été identifiées et représentées sous forme de complexes spécifiques ; ce sont surtout des bactéries à Gram négatif anaérobies facultatives ou anaérobies strictes. En colonisant les poches parodontales, ces bactéries déclenchent une destruction des tissus et une résorption osseuse à la fois directe, véhiculée par les enzymes bactériennes, et indirecte, causée par la réponse inflammatoire/immunitaire de l’hôte [4].
Cependant, même si la parodontite peut être considérée comme une maladie « de site », elle présente aussi des répercussions sur la santé générale du patient. Plusieurs études scientifiques mettent en évidence des liens entre maladie parodontale et maladies générales (fig. 2). Notamment, les parodontites ont été associées au diabète, aux maladies cardio-vasculaires, à l’hypertension artérielle, à l’obésité, au syndrome métabolique, aux naissances prématurées, à la pré-éclampsie, à la polyarthrite rhumatoïde et à certaines maladies respiratoires [5].
Même si le lien étiopathogénique exact entre certaines maladies et la maladie parodontale est encore en cours d’étude, la prévention et le traitement de celle-ci présente un intérêt concernant la santé générale.
Le risque systémique lié aux maladies parodontales pourrait être expliqué soit par des mécanismes directs rattachés à l’infection par des bactéries parodontopathogènes, soit par la réponse inflammatoire chronique de l’hôte (voie indirecte) [5] (fig. 3). D’une part, le premier mécanisme voit le passage des bactéries ou de leurs toxines dans la circulation sanguine (bactériémie) grâce à laquelle elles peuvent rejoindre des sites à distance de la cavité buccale. D’autre part, la relation entre parodontite et maladies systémiques pourrait aussi s’expliquer par les phénomènes de production anormale, au cours des parodontites, de cytokines pro-inflammatoires et de stress oxydatif élevé. Ainsi, un état d’inflammation de bas grade existe et il permet l’apparition ou l’aggravation d’autres maladies systémiques. Cette hypothèse est étayée par les études démontrant que les patients atteints d’une parodontite sévère non traitée ont des niveaux plus élevés de biomarqueurs inflammatoires – comme le tumor necrosis factor alpha (TNF-α), l’interleukine (IL) 1-Β, l’IL6 et la protéine C réactive – que les sujets sans parodontite [6].
Ces deux mécanismes (direct et indirect) ne sont pas mutuellement exclusifs mais peuvent participer à la maladie dans des proportions différentes en fonction des différentes conditions cliniques.
La majorité des études épidémiologiques retrouvent une association entre les maladies parodontales et les maladies cardio-vasculaires. Cela a été confirmé dans différentes populations, différentes catégories de patients et différents types d’études (prospectives et rétrospectives). Les résultats montrent que les patients atteints d’une parodontite ont, par rapport à ceux sans parodontite, un risque supérieur de 2,3 fois d’avoir une maladie cardio-vasculaire et de 1,34 fois de la développer dans le temps.
L’étiopathogénie précise et unique du lien entre ces maladies reste à établir et les rôles des mécanismes biologiques en jeu sont interdépendants. Plusieurs études ont mis en évidence le rôle de la bactériémie [7].
D’autres études mettent en avant l’athérosclérose comme lien entre les maladies cardio-vasculaires et les maladies parodontales. En effet, des études prospectives à 5 ans ont montré que les infections parodontales augmentaient de manière significative le risque d’athérosclérose (de 2 à 4 fois plus) [8]. Cette constatation épidémiologique est étayée par des études confirmant la présence de bactéries parodontopathogènes tels que Porphyromonas gingivalis et Aggregatibacter actinomycetemcomitans, l’ADN bactérien ayant été détecté dans des spécimens chirurgicaux de plaque d’athérome.
Par ailleurs, les biomarqueurs des maladies cardio-vasculaires sont largement augmentés lors de maladies parodontales. En effet, en moyenne, le taux de protéine C réactive est de 1,7 mg/l, donc est plus élevé que celui des individus sans maladie parodontale. De même, le traitement parodontal non chirurgical (détartrage-surfaçage radiculaire) aboutit à une diminution dose dépendante des taux sériques de protéine C réactive et d’IL6 ainsi qu’à une amélioration du profil lipidique (cholestérol LDL et HDL), qui semble être fonction de l’intensité et de la durée du traitement appliqué [9]. De plus, le score Framingham (indice composé utilisé pour chiffrer le risque cardio-vasculaire) est réduit de 1 à 2 % dans les 2 à 6 mois suivant la fin du traitement parodontal [10]. Ces éléments semblent consolider le lien entre les maladies parodontales et cardio-vasculaires.
La dysfonction endothéliale a aussi été explorée dans le lien entre les maladies cardio-vasculaires et parodontales puisque des patients atteints de parodontite chronique sévère semblaient présenter des formes sous-cliniques (asymptomatiques), tel un épaississement de l’intima des carotides ou une dysfonction endothéliale, avant la manifestation de la maladie cardio-vasculaire. La dysfonction endothéliale se définit comme un état pathologique de la fonction de l’endothélium, caractérisé par une réduction de la vasodilatation, des anomalies de la relaxation vasculaire dépendante de l’endothélium, et un état pro-inflammatoire et prothrombique. En fait, la dysfonction endothéliale peut entraîner, être à la base ou être le facteur contributif de plusieurs processus pathologiques cardio-vasculaires, rénaux ou du diabète.
Certaines études montrent une amélioration de la fonction endothéliale à la suite du traitement de la maladie parodontale. Cela représente une importante piste de recherche puisque le traitement parodontal pourra être considéré comme un acte contribuant à la prévention et/ou à l’amélioration de conditions pathologiques systémiques [11, 12].
Depuis 2001, les études montrent une association positive entre les maladies parodontales et l’hypertension artérielle. Ce sont principalement des études transversales épidémiologiques. Cependant, trois études cliniques explorent le bénéfice du traitement parodontal sur la diminution de la tension artérielle?: ainsi, une diminution significative de la pression artérielle a été observée après un traitement parodontal (2 mois), parallèlement à une réduction des marqueurs inflammatoires, tels que la protéine C réactive et l’IL6.
L’hypertension est un sujet central dans la prévention des risques cardio-vasculaires puisque, en France, il y a 27 % d’hypertendus selon l’étude nationale Nutrition et Santé de 2007. Et la projection mondiale de l’Organisation mondiale de la santé est de 29,2 % pour 2025.
Une étude épidémiologique française montre que le risque d’avoir une tension artérielle supérieure à 140 mmHg est multiplié par 1,88 en présence d’un état oral inflammatoire, dans une population de moins de 65 ans [13].
Les voies liant les parodontites à l’augmentation de la tension artérielle ne sont pas encore élucidées ; il existe cependant différentes hypothèses impliquant la bactériémie induite par les maladies parodontales, les réactions immunitaires inhérentes et l’inflammation systémique de bas grade. Les mécanismes systémiques de régulation sont affectés, aboutissant à une augmentation de la tension artérielle.
De plus, les deux maladies partagent des facteurs de risque (tabac, diabète, ou obésité) jouant le rôle de facteurs confondants dans l’exploration de l’association entre ces pathologies (fig. 4).
La prévalence de la maladie parodontale chez les diabétiques est de 17,3 % contre 9 % chez les non-diabétiques [15]. Le diabète est dit équilibré lorsque le taux d’hémoglobine glyquée (HbA1C) est inférieur à 7 %. Entre 7 et 9 %, il est dit déséquilibré et au-delà de 9 % fortement déséquilibré.
Actuellement, les relations entre les maladies parodontales et le diabète sont considérées comme bidirectionnelles. En effet, le diabète est un facteur de risque de la maladie parodontale et celle-ci peut influencer négativement le contrôle de la glycémie et la résistance à l’insuline [16]. Il est désormais démontré que les manifestations parodontales sont plus sévères chez les diabétiques insulinodépendants non contrôlés que chez patients diabétiques non insulinodépendants contrôlés ou les patients non diabétiques (fig. 5).
Quel que soit le type de diabète, le taux de plaque bactérienne augmente chez le diabétique non contrôlé en raison d’une hyposalivation et du haut niveau de glucose salivaire. Des cytokines pro-?inflammatoires (TNF-α et IL8) sont produites dans des valeurs plus élevées chez le diabétique non équilibré. Ces cytokines stimulent la production hépatique de protéine C réactive et augmentent ainsi la résistance à l’insuline [17]. La relation bidirectionnelle « diabète-parodontite » est aussi étayée par les études montrant que le traitement parodontal a un effet favorable sur le contrôle de l’hémoglobine glyquée [18].
Plusieurs autres maladies générales telles que les complications obstétricales, les bébés de faible poids de naissance ou le risque de naissance prématurée ont été associées aux maladies parodontales [19].
De même, les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde semblent souffrir de 2 fois plus de parodontites que les autres. Cette prévalence augmentée est sans lien avec les syndromes de Sjögren secondaires mais elle est plutôt liée aux mécanismes pathogéniques communs aux deux pathologies qui impliquent une composante génétique, immunitaire et inflammatoire. La propagation de l’infection de P. gingivalis du tissu parodontal au liquide synovial est considérée comme un facteur potentiellement déclencheur de la polyarthrite rhumatoïde [20].
D’autres études ont mis en relation les maladies parodontales avec les infections pulmonaires et, notamment, les pneumopathies bactériennes et les broncho-pneumopathies obstructives chroniques. L’effet de la chlorhexidine sur la prévention des pneumopathies nosocomiales a été confirmé ; ainsi, les bactéries anaérobies parodontopathogènes seraient aussi impliquées dans le déclenchement ou l’aggravation de certaines formes de pneumopathies [21].
Les études montrent un risque augmenté concernant le surpoids, l’obésité et le syndrome métabolique chez les patients atteints de maladie parodontale. Cette relation est bidirectionnelle (augmentation de l’indice de masse corporelle proportionnelle à la sévérité de la parodontite) et très probablement liée au phénotype pro-inflammatoire qui caractérise ces patients [22]. De plus, les patients obèses atteints de maladie parodontale sont aussi des patients à risque parodontal fort compte tenu de leur faible réponse au traitement parodontal [23].
Très récemment, la maladie parodontale a également été mise en relation avec le syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil (SAHOS), un trouble respiratoire du sommeil associé à un état d’inflammation systémique et à un risque cardio-vasculaire accru. Selon des études épidémiologiques, les patients atteints de ce syndrome auront plus de risques d’avoir une parodontite sévère que les autres [24]. Cependant, la nature de cette comorbidité ainsi que ses influences potentielles sur la santé générale et le risque cardio-vasculaire restent encore inconnus.
Malgré les nombreuses études, le niveau de preuve reste insuffisant à ce jour pour conclure avec certitude sur la relation de cause à effet entre les maladies parodontales (bactériémie et inflammation systémique de bas grade) et les autres maladies.
Néanmoins, l’association entre maladies parodontales et maladies cardio-vasculaires, ainsi que celle entre maladies parodontales et diabète sont aujourd’hui bien établies et méritent un dépistage systématique de la part du chirurgien-dentiste et du médecin, pour une prise en charge globale du patient.
Compte tenu de l’impact des maladies parodontales sur la santé générale, le chirurgien-dentiste a un rôle très important dans le dépistage des patients à risque. Il peut dispenser des conseils, réaliser un traitement et une prophylaxie ou adresser le patient au médecin spécialiste, si nécessaire.
Afin de fournir quelques conseils pratiques, le tableau 1 résume les questions qui peuvent être posées au patient lors de la première consultation afin d’identifier les facteurs de risque liés à la maladie parodontale.
Le tableau 2 résume les tests supplémentaires pouvant être demandés pour définir le risque spécifique du patient. Enfin, l’encadré 1 énumère les recommandations de consensus publiées par l’Association américaine de cardiologie et par celle de parodontologie.
Le chirurgien-dentiste a un rôle central dans la prévention de la santé générale puisque les maladies parodontales, notamment sévères, sont beaucoup plus qu’un « problème de gencive » et sont impliquées dans des maladies d’ordre systémique (fig. 6).
→ Les patients atteints de parodontites et qui présentent deux ou plus de deux facteurs de risque connus pour l’athérosclérose devraient être référés par l’équipe dentaire pour une évaluation du risque cardio-vasculaire (par exemple : examen physique et évaluation annuelle de la pression artérielle et du profil lipidique sanguin).
→ Les patients atteints de parodontite ayant des valeurs de lipides sériques anormaux, des niveaux de protéines C réactives plasmatiques élevés doivent recevoir des conseils pour suivre un programme de modification du style de vie (par exemple : réduction du poids et de l’apport alimentaire en sodium, exercice physique) pour réduire le risque cardio-vasculaire.
→ L’arrêt du tabac est recommandé pour tous les patients atteints de parodontite.
→ L’évaluation parodontale doit être envisagée chez les patients atteints de maladie cardio-vasculaire qui présentent des signes de maladie gingivale ou une perte des dents précoce/inexpliquée.
→ En outre, lorsque la parodontite est nouvellement diagnostiquée chez les patients atteints de maladie cardio-vasculaire, les chirurgiens-dentistes et les médecins devraient collaborer étroitement afin d’optimiser la réduction de risque de maladie cardio-vasculaire par les soins parodontaux. Patient de 68 ans atteint d’une parodontite chronique généralisée sévère avant (gauche) et après (droite) traitement parodontal.