Clinic n° 06 du 01/06/2015

 

SOCIÉTÉ

INTERNET

Philippe DE JAEGHER  

ph.de-jaegher@orange.fr

Lors de l’adoption de la loi sur le renseignement, il a beaucoup été question de la surveillance des contenus et des communications qui transitent sur l’Internet. L’affrontement entre les promoteurs d’un contrôle renforcé et les défenseurs des libertés a révélé le caractère difficilement conciliable de ces deux notions.

Les partisans d’une surveillance accrue dénoncent un Internet source de tous les dangers. Or les véritables criminels n’utilisent pas l’Internet visible mais des outils comme TOR (The Onion Router)(1). Ce réseau de serveurs organisés en couches (d’où l’image de l’oignon) permet de communiquer de manière anonyme et sécurisée et d’héberger des contenus qui sont cachés au commun des internautes. C’est cette technologie qui est utilisée par des plateformes illégales proposant drogue, armes ou images pédo-pornographiques. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est que le réseau TOR a été mis au point par la marine des États-Unis non seulement pour protéger ses communications mais aussi pour fournir des outils d’accès à l’Internet aux opposants à certains régimes totalitaires. The Guardian a révélé que l’administration des États-Unis avait financé TOR pour 1,8 million de dollars en 2013(2). Cela n’empêche pas cette même administration de charger son agence de renseignement, la NSA (National Security Agency) de combattre l’anonymat et de décrypter les échanges sur TOR. Et pour qui maîtrise ces technologies, rien de plus facile que de les étendre à d’autres usages comme l’ont montré les documents révélés en 2013 par Edward Snowden, qui faisait état de la surveillance massive des communications téléphoniques en France par la NSA. Voici au moins un acteur qui parvient à concilier défense des libertés dans certains cas et contrôle massif des données personnelles dans d’autres.

Du côté des opposants au projet, les arguments sont de plusieurs natures. Parmi les 600 signataires de l’appel « Ni pigeons, ni espions » qui se déclarent « contre la surveillance généralisée d’Internet » se trouvent des médias comme Libération ou Médiapart, des associations de défense des droits de l’homme, comme Amnesty International, des autorités de contrôle comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), des plateformes d’hébergement(3). Ils critiquent une loi liberticide. Ils la jugent non seulement inefficace, car facilement contournable par des délinquants motivés, mais aussi dangereuse pour la croissance, car pénalisante pour les entreprises françaises du secteur.

Certes, il ne faut pas être naïf. Les activités de renseignement ont toujours existé et la Plateforme nationale de cryptage et de décryptement installée à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) fonctionne depuis plusieurs années. Toutefois, le fait de légiférer change les choses. La pratique, dorénavant reconnue, devrait être soumise à une commission de contrôle. Mais, ses préro gatives et la procédure de nomination de ses membres font l’objet de vifs débats relayés par la commission parlementaire en charge du sujet(4). D’un autre côté, il est à craindre qu’en légitimant une pratique qui était niée, il risque d’en être fait un usage plus décomplexé et surtout plus massif. C’est contre quoi nous mettent en garde des personnes particulièrement impliquées dans ces domaines, comme Jean-Marie Delarue, président de la Commission de surveillance des écoutes téléphoniques, le juge antiterroriste Marc Trévidic ou Jacques Toubon, le Défenseur des droits.

L’évolution actuelle de l’Internet s’oriente de plus en plus vers une utilisation mobile et individuelle où les opérateurs de téléphonie détiennent les clés d’accès aux données personnelles. Le grave débat actuel devrait être l’occasion de nous interroger sur la valeur que nous accordons à notre vie privée. Si un service vous est offert sur l’Internet, c’est souvent parce que ce sont vos données personnelles qui en sont le prix. Essayons de ne pas les brader !

MA SÉLECTION

(1) TOR project : https://www.torproject.org/about/overview.html.en

(2) The Guardian : http://www.theguardian.com/technology/2014/jul/29/us-government-funding-tor-18m-onion-router

(3) Ni pigeons, ni espions : http://ni-pigeons-ni-espions.fr/fr/

(4) Commission de réflexion et de propositions sur le droit et les libertés à l’âge numérique : http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/numerique/a-la-une/recommandation-sur-le-projet-de-loi-relatif-au-renseignement