Clinic n° 06 du 01/06/2015

 

C’EST MON AVIS

Christian DECLOQUEMENT  

Président du collège de bonnes pratiques en médecine bucco-dentaireSecrétaire général adjoint de l’ADF

J’avais souvent imaginé mon emploi du temps de retraité : faire ce que je voudrais, quand je le voudrais et me remettre à faire de longs voyages en train, à l’échelle 1/160 en réalisant le réseau dont je rêvais. J’utiliserais des fraises, de la résine, du plâtre, du matériau à empreinte pour créer et non plus seulement copier la nature. Je voulais aussi peindre pour essayer de traduire mes pensées les plus cachées et, s’il me restait un peu de temps, écrire....


J’avais souvent imaginé mon emploi du temps de retraité : faire ce que je voudrais, quand je le voudrais et me remettre à faire de longs voyages en train, à l’échelle 1/160 en réalisant le réseau dont je rêvais. J’utiliserais des fraises, de la résine, du plâtre, du matériau à empreinte pour créer et non plus seulement copier la nature. Je voulais aussi peindre pour essayer de traduire mes pensées les plus cachées et, s’il me restait un peu de temps, écrire. L’inspiration viendrait.

Arrêter de travailler, j’en avais rêvé pendant des mois. Mes 43 ans d’exercice au fauteuil avaient-ils été aussi peu intéressants ? Certainement pas quand on a connu le développement de la dentisterie moderne, quand on fait partie de ceux qui ont eu le premier doctorat d’exercice et qui ont exercé dans un contexte si différent de leurs études !

C’est ce renouveau de notre profession qui m’a conduit à devenir enseignant puis à collaborer à la formation continue de l’ADF et à devenir membre du Conseil de l’Ordre et du syndicat. Car les grandes nouveautés scientifiques ont conduit à une nouvelle forme d’exercice qui devait être maîtrisée pour que nous ne transformions pas nos cabinets de plus en plus techniques et modernes en supermarchés du soin.

J’imagine la réaction des confrères plus jeunes : « L’ancien a bien fait d’arrêter car il parle de son passé… »

Ne vous y trompez pas ! Au contraire, si je reste présent dans nos instances, c’est que je crois à l’avenir de notre profession et, surtout, je voudrais que notre formation continue soit à nouveau forte et stabilisée dans un système incitatif.

« Décidément, ce confrère ne sait pas ce qu’il veut. Il rêve d’arrêter. Et pourtant on sent de la nostalgie… » Soyez rassurés, j’ai bien décidé de ne plus travailler au fauteuil. Je sais que je ne pourrai plus appliquer les nouvelles technologies qui pointent. Et je ressens une fatigue physique indéniable malgré tous les conseils d’ergonomie que je ne mettais pas en œuvre de façon rigoureuse. Je regretterai sans doute le contact avec des patients.

Je ne fus jamais un grand fan des papiers et des contraintes administratives. Mais en fin d’exercice, j’avais atteint un point de non-retour : la CCAM pour moi qui n’avais pas tout compris de la NGAP, de nouvelles obligations comptables et, cerise sur le gâteau, les normes pour l’accès aux handicapés. Je devenais moi-même un handicapé de l’administration et confirmais ma demande de retraite à la CARCDSF*.

Une fois le cabinet vendu, le temps libre est devant soi. Très rapidement vos amis s’inquiètent. « Comment va le retraité ? ».

Il faut se montrer lucide, n’exerçant plus vous devenez moins intéressant. Inutile de changer de numéro de téléphone portable distribué généreusement aux patients. Le téléphone ne sonne plus beaucoup. Les quémandeurs savent que vous n’avez plus aucun pouvoir ni aucun moyen de leur rendre service.

Les conseils de l’entourage ne manquent pas. Tu devrais te mettre au golf pour marcher, te remettre au vélo toi qui en a fait beaucoup à un haut niveau. Quarante ans plus tard, soyons réalistes !

Suis-je dans le faux ? Les publicités pour les stations thermales, les colles pour dentier, les prothèses auditives, les monte-escaliers, les crèmes antirides ou les résidences seniors affichent des retraités rayonnants de bonheur et de santé avec de larges sourires et des dents brillantes. Le seul détail permettant de deviner leur âge est la couleur de leurs cheveux, invariablement blancs pour les hommes et colorés pour les femmes.

Le plus grand bonheur pour moi est d’avoir plus de temps pour goûter à quelques plaisirs éphémères ou de caresser les rêves les plus fous. Cet état contemplatif dans lequel m’a plongé la retraite me permet aussi de percevoir et de mesurer tout ce qui ne va pas, tout ce qu’il faudrait changer pour améliorer notre existence et celle des autres, toutes choses que je n’ai pas eu le temps de faire pendant ma vie active. Ne voyez dans mes propos aucun pessimisme mais, au contraire, beaucoup d’humour sur une situation qui me convient parfaitement.

À l’âge où on arrive à la retraite, on est déjà assez vieux pour se rendre compte de toutes les bêtises accumulées tout en étant encore suffisamment jeune pour en commettre de nouvelles !

* Caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes. Une exception, dans ma haine administrative, la CARCDSF est remarquable d’efficacité et d’amabilité. Chers confrères, votez pour faire élire des représentants compétents et efficaces.