BIOTHÉRAPIES
Lucie ADAM* Guillaume FEUGUEUR** Julie BÉMER***
*Interne en DES médecine bucco-dentaire
Service d’odontologie
**Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre
***Interne en DES chirurgie orale
Service d’odontologie
****Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre
*****Docteur en chirurgie dentaire
Ancienne interne
Ancienne AHU
Chef du Service d’odontologie
******Groupe hospitalier du Havre
55, rue Gustave-Flaubert
76600 Le Havre
Dans la première partie de cet article, nous avons présenté les différentes biothérapies qui existent actuellement sur le marché pharmaceutique, ainsi que leurs indications principales (voir Clinic, mai 2015). Dans cette seconde partie, nous allons étudier de manière plus détaillée leurs effets secondaires et leur répercussion dans le domaine odontologique, dont le plus important est le risque augmenté de développer des infections. Nous verrons également les conduites à tenir qui semblent indiquées avant et pendant un traitement par biothérapie.
Le bénéfice thérapeutique des biothérapies est indéniable. Cependant, ces traitements présentent des effets indésirables notables qui justifient certaines précautions. Les effets secondaires liés aux traitements concomitants et à la comorbidité de la pathologie sous-jacente sont également à prendre en compte.
Ces effets indésirables sont les suivants [1] :
• risque d’infection. Les infections représentent le problème le plus important et le plus fréquent. Ce risque est déjà augmenté par la pathologie sous-jacente, mais également par les traitements associés qui sont immunosuppresseurs. Il existe pour toutes les biothérapies, mais le type d’infection, leur gravité et leur fréquence sont variables. Concernant la survenue d’infections sévères, voire de septicémie, il faut être particulièrement attentif en cas de diabète non équilibré, d’antécédents d’infection chronique et d’infection grave ou récurrente :
– les anti-TNF · diminuent la réponse immunitaire avec augmentation des infections bactériennes, fongiques, granulomateuses (tuberculose), opportunistes [2, 3],
– cas particulier de la tuberculose. La réactivation de cette pathologie est plus probable chez les patients traités par anti-TNF α car le TNF α joue un rôle dans la fonction des granulomes qui visent à contrôler les infections cellulaires. À noter que ce risque avec l’infliximab et l’adalimumab (anticorps monoclonaux) est plus important qu’avec l’étanercept [4]. Un dépistage de la tuberculose est obligatoire avant la mise en place du traitement. Ce risque d’infection implique une collaboration entre le patient et les professionnels de santé afin de le minimiser, que ce soit avant, pendant ou après le traitement. Le chirurgien-dentiste a également son rôle à jouer ;
• risque hémorragique. Plusieurs cas de thrombocytopénie ont été rapportés avec différentes biothérapies, rarement accompagnés de complications hémorragiques ;
• risque de néoplasie. Ce risque est encore très controversé dans la littérature scientifique ; il n’en existe pas de preuve évidente. Le risque de cancer cutané (baso-cellulaire et spinocellulaire) semble plus important chez les patients souffrant de polyarthrite rhumatoïde que dans la population générale. Ce risque serait encore accru avec les anti-TNF α ;
• risque de lymphome. Il est également mal connu et serait surtout associé à un état inflammatoire persistant ;
• troubles cutanés non liés à l’injection ;
• réactions aux points d’injection et à la perfusion ;
• événements neurologiques : très rares cas de sclérose en plaques ;
• effets indésirables cardio-vasculaires : insuffisance cardiaque principalement (avec les anti-TNF α), hypertension artérielle, troubles du rythme [4] ;
• effets indésirables hépatiques : hépatotoxicité (anti-TNF α) ;
• effets indésirables gastro-intestinaux : perforations gastro-intestinales ;
• Formation d’autoanticorps antinucléaires et maladie lupique ;
• risque de retard de cicatrisation. Il existe en chirurgie générale, et par analogie probablement aussi en chirurgie buccale. Cette complication, probable en théorie, reste controversée et n’a pas encore été mise en évidence dans la littérature médicale.
Les précautions à prendre concernent la prévention et la prise en charge du risque infectieux essentiellement, ainsi que les complications postopératoires comme, plus particulièrement, l’ostéoporose.
Les recommandations sont issues du Club rhumatismes et inflammation (CRI) qui constitue la référence dans ce domaine [5]. Elles concernent les anti-TNF α, l’anti IL-6, l’anti-CD20 et les inhibiteurs de la costimulation.
La prévention du risque infectieux implique l’élimination des foyers infectieux potentiels. Des recommandations sur la prise en charge de ces foyers ont été émises par la Société française de chirurgie orale (SFCO) [6].
Un bilan bucco-dentaire doit donc être effectué pour détecter des foyers latents ou patents. Il doit comprendre un examen clinique complet ainsi qu’un examen complémentaire de radiographie panoramique.
L’examen clinique approfondi comprend un interrogatoire, un sondage parodontal, la réalisation des tests de vitalité pulpaire et de percussion, la palpation des chaînes ganglionnaires. La radiographie panoramique permet d’évaluer la présence de foyers infectieux, non détectables à l’examen clinique. Il doit être complété, en cas de doute, par des clichés rétroalvéolaires, un scanner et/ou un cone beam.
Après ce bilan, si l’état dentaire est défectueux, il faut réaliser les soins appropriés avant le début du traitement.
Ces soins consistent en l’élimination de foyers infectieux présents ou potentiels et concernent donc les dents ainsi que le parodonte [6] :
• pour les patients présentant un bon état bucco-dentaire, le traitement doit être le plus conservateur possible. Il faut insister sur la prévention de l’apparition des foyers infectieux ;
• pour les patients présentant un mauvais état bucco-dentaire, avec atteintes parodontales ou carieuses sévères, il faudra d’avantage s’orienter vers l’avulsion des dents concernées. Les soins chirurgicaux visant à assainir la cavité buccale doivent être entrepris le plus tôt possible afin d’obtenir une cicatrisation muqueuse avant le début du traitement et l’apparition d’un risque infectieux supplémentaire. Cette cicatrisation muqueuse demande un délai minimal de 15 jours, et un temps de cicatrisation de 4 semaines est préconisé pour le dénosumab. Elle doit être contrôlée clini?quement.
Enfin, il est important de rappeler au patient la nécessité d’une bonne hygiène bucco-dentaire et de contrôles dentaires réguliers [6, 7].
Une hygiène bucco-dentaire et des soins réguliers sont recommandés. Certaines pathologies inflammatoires auto-immunes comme la polyarthrite rhumatoïde peuvent entraîner une dégradation de l’état bucco-dentaire, directement ou indirectement, par altération des capacités motrices et, donc, de la dextérité nécessaire à un brossage efficace.
Face au risque infectieux, selon les recommandations de la SFCO [6], le praticien devra être particulièrement attentif aux complications liées à un geste invasif (infections postopératoires, retard de cicatrisation).
Concernant les différents actes à réaliser pendant un traitement par biothérapie, le CRI recommande [5] :
• pour les soins usuels (caries, détartrage), pas d’arrêt du traitement et une antibioprophylaxie possible selon le terrain ;
• pour les soins à risque infectieux (extraction, granulome apical, abcès…), un arrêt du traitement anti-TNF α ainsi qu’une antibioprophylaxie éventuellement suivie d’une antibiothérapie selon le terrain.
Selon la molécule utilisée, la durée de l’arrêt avant l’acte invasif est variable. Dans tous les cas, elle doit être discutée avec le médecin prescripteur pour évaluer le rapport bénéfice/risque de cette intervention :
• pour les anti-TNF α, il est supérieur ou égal à 2 semaines pour l’étanercept (Enbrel®) et supérieur ou égal à 4 semaines pour l’infliximab (Remicade®) et l’adalimumab (Humira®) ;
• pour l’anti IL-6, il est supérieur ou égal à 4 semaines ;
• pour l’anti-CD20, la seconde perfusion n’est pas réalisée si le soin est effectué pendant le cycle ;
• pour l’inhibiteur de la costimulation, la perfusion est décalée.
Pour une chirurgie d’urgence, l’arrêt du traitement sera immédiat mais toujours en accord avec le médecin prescripteur, les autres recommandations restent identiques.
Ensuite, la reprise du traitement ne peut se faire qu’après cicatrisation complète de la muqueuse. En ce qui concerne les implants, l’arrêt du traitement et l’antibiothérapie sont à discuter avec le médecin prescripteur (selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM). Il faut prendre en compte les cofacteurs du risque infectieux. Il n’existe pas de contre-indication particulière.
En matière d’anesthésie, il convient d’éviter l’anesthésie intraligamentaire (augmentation du risque de bactériémie).
Quant aux prescriptions, l’amoxicilline et les anti-inflammatoires non stéroïdiens sont déconseillés chez les patients traités par méthotrexate.
Les modalités de l’antibioprophylaxie sont décrites dans le guide de bonne pratique sur la prescription des antibiotiques en pratique bucco-dentaire, édité par l’ANSM en juillet 2011 [8].
Les patients sous biothérapie entrent dans la catégorie des patients immunodéprimés. L’antibioprophylaxie est recommandée pour les actes invasifs et elle est prescrite de la manière suivante :
• une prise unique, 1 heure avant l’intervention ;
• 2 g d’amoxicilline per os ou par voie intraveineuse ;
• en cas d’allergie aux pénicillines, 600 mg de clindamycine per os ou par voie intraveineuse.
Selon l’ANSM, les facteurs de risque d’ostéonécrose des maxillaires connus sont un traitement antérieur par bisphosphonates [9], un âge avancé, une mauvaise hygiène buccale, des interventions dentaires invasives et des comorbidités et de manière générale tout état d’immunodépression. Le tabagisme, un diagnostic de cancer avec lésions osseuses et des traitements concomitants augmentent également ce risque ainsi que le type de molécule et sa voie d’administration. Le Prolia® est une forme per os, tandis que le XGeva® s’administre par perfusion IV, et entraine donc un risque d’ONM plus important. Enfin, il existe des sites anatomiques préférentiels pour le développement d’une ONM (ex : ligne oblique interne).
Plus récemment, le risque d’ONM en cas de traitement par denosumab a été constaté. Pendant ce traitement, les patients présentant des facteurs de risque doivent donc éviter si possible toute intervention dentaire invasive..
Pendant un traitement par dénosumab, les patients présentant des facteurs de risque doivent éviter si possible toute intervention dentaire invasive. En cas d’ostéonécrose des maxillaires avérée, une interruption temporaire du traitement doit être envisagée jusqu’à la résolution complète de l’ostéonécrose et à la diminution des facteurs de risque, lorsque cela est possible.
Les patients doivent être informés sur l’importance de maintenir une bonne hygiène buccale, d’effectuer des bilans dentaires réguliers et de signaler immédiatement tout symptôme buccal tel qu’une mobilité dentaire, une douleur ou un gonflement au cours du traitement par denosumab.
Les précautions à prendre sont les mêmes que lors d’un traitement par bisphosphonates, précisées par l’ANSM dans ses recommandations de 2007 [9].
Le risque d’ostéonécrose des maxillaires existe donc aussi bien avec les bisphosphonates qu’avec le dénosumab. Cependant, l’incidence et le taux de résolution des cas d’ostéochimionécrose diffèrent selon les deux types de traitements. Pour les bisphosphonates, l’incidence est de 1,3 % et la résolution de seulement 29 %. Pour le dénosumab, l’incidence est légèrement plus élevée, allant de 1,5 à 1,8 %, mais la résolution est de 40 %, donc bien meilleure [7]. Cela est dû au fait qu’il n’y a pas d’incorporation du dénosumab dans la matrice osseuse, contrairement aux bisphosphonates qui sont internalisés.
Il est à noter que le risque d’ostéonécrose des maxillaires existe également chez les patients sous anti-angiogéniques ; ce sont également des thérapies ciblées mais, par souci de synthèse, elles n’ont pas été mentionnées ici (fig. 4).
Il est à noter qu’à l’arrêt du traitement, les effets indésirables des biothérapies cessent et, par là même, les précautions à prendre. Cependant, le recul n’est pas encore suffisant pour affirmer s’il existe ou non un risque de lymphome ou de néoplasie. C’est pourquoi un suivi régulier doit être mis en place auprès du médecin traitant.
L’augmentation du risque infectieux créée par les thérapies ciblées doit être une préoccupation majeure du chirurgien-dentiste face à un patient en attente de recevoir ou recevant un traitement par biothérapie. Depuis peu, le risque d’ostéochimionécrose constaté avec le dénosumab implique également de prendre certaines précautions. Il est donc indispensable qu’une communication soit établie, à la fois entre le médecin prescripteur et le chirurgien-dentiste, mais également avec le patient, qui doit être informé de ces risques.
Tous nos remerciements au Dr A.-G. Chaux-Bodard – MCU PH – Faculté d’odontologie et centre Léon Bérard – Lyon