Clinic n° 12 du 01/12/2012

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de Divonne  

Le projet régional de santé* d’Île-de-France, soumis jusqu’au 15 décembre à la concertation, a ménagé une place inédite au volet bucco-dentaire à côté des volets « prévention », « organisation des soins », « médico-social » et « biologie médicale ». Edmée Bert, chirurgien-dentiste conseil à l’ARS* Île-de-France et qui orchestre ce volet dentaire, détaille plusieurs projets pour la région.

On est surpris par la mise en avant d’un volet bucco-dentaire dans le projet régional de santé d’Île-de-France. Pourquoi ?

L’ARS Île-de-France est la seule agence à avoir eu cette démarche particulière en faveur de la santé bucco-dentaire. Claude Evin et les responsables de l’ARS ont été suffisamment « dento-sensibles » pour en faire un schéma transversal. Car ils ont pris conscience non seulement de l’importance de la santé bucco-dentaire pour la santé générale et de son incidence sociale et socio-économique non négligeable mais aussi de la nécessité de décloisonner les différents secteurs et de réduire les inégalités d’accès aux soins.

La démographie apparaît comme un problème important à résoudre. La densité du réseau de transport et la mobilité des Franciliens ne pallient-elles pas ce problème ?

Toutes les zones ne sont pas si bien desservies. De plus, nous considérons les soins bucco-dentaires comme des soins de premier recours. Une des missions de l’ARS est de faciliter l’accès à une offre de proximité. Or, si la densité des chirurgiens-dentistes correspond à la moyenne nationale, les disparités s’avèrent très importantes. On dénombre plus de 100 chirurgiens-dentistes pour 100 000 habitants dans la capitale contre 35 pour 100 000 en Seine-Saint-Denis.

Quels sont donc les projets ?

Il faut réadapter l’offre aux besoins de la population. Notre réflexion sur l’implantation des professionnels de santé s’applique aux libéraux et aux centres de santé. En ce qui concerne les centres de santé, nous réfléchissons à la création de centres polyvalents dans l’hôpital ou en relation avec l’hôpital. Cette démarche innovante permettrait de désengorger les urgences hospitalières.

Aujourd’hui, les services d’odontologie hospitaliers qui n’appartiennent pas à l’AP-HP* ne pratiquent que des extractions et des actes chirurgicaux. Nous voulons les ouvrir à tous les actes d’odontologie pour qu’ils deviennent des centres de premier recours. Et nous souhaitons avoir la même démarche avec les services de stomatologie et maxillo-faciaux de l’AP-HP non hospitalo-universitaires. Il en existe plus de 15 dont la répartition géographique dans la région est assez cohérente.

L’ouverture de centres de santé est-elle une priorité pour l’ARS ?

Oui, parce qu’ils respectent strictement les tarifs opposables. Les tarifs sont réglementés par la loi, en particulier pour les bénéficiaires de la CMUc*. Ce n’est pourtant pas la réalité. En matière de soins opposables, depuis que les chirurgiens-dentistes peuvent demander des honoraires pour des actes qu’ils considèrent comme étant des actes hors nomenclature, certains cabinets appliquent des tarifs beaucoup plus élevés en prétextant la réalisation d’actes plus élaborés.

Cependant, nous nous heurtons actuellement à la difficulté de recruter des chirurgiens-dentistes pour travailler dans ces centres. Les jeunes sont attirés par le travail en groupe et la possibilité d’avoir une vie personnelle plus libre mais ils sont freinés par les particularités de la population qui est accueillie. Nous travaillons à l’ouverture de stages dans les centres de santé pour que les étudiants soient en contact dès leurs études avec des catégories de la population aux besoins spécifiques.

La région vient d’annoncer des mesures incitatives à l’installation des jeunes dans des zones « sous-dotées ». Ne font-elles pas double emploi avec celles de l’ARS ?

Non, la région est partenaire de l’ARS. C’est l’Agence qui a lancé ces mesures et qui signera les contrats.

Comment comptez-vous adapter l’offre de soins aux catégories de la population aux besoins spécifiques ?

Une réflexion est en cours pour la prise en charge des personnes en EHPAD*, des personnes écrouées et de celles atteintes de troubles mentaux. Nous travaillons sur un même schéma d’organisation au niveau départemental. Les services d’odontologie des hôpitaux que je viens d’évoquer pourraient devenir des centres de référence pour le suivi de ces personnes dont les problèmes de santé ou de comportement sont une gêne dans le cas d’une prise en charge habituelle. L’hôpital Sainte-Anne, où il existe déjà un très beau service d’odontologie avec une grande expérience des patients ayant un problème de santé mentale, pourrait devenir centre de référence. Mais il doit pouvoir faire tous les soins y compris les restaurations prothétiques, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Comment prévoyez-vous l’organisation de la permanence des soins dans la région ?

L’ARS lance une démarche d’harmonisation et de coordination de la permanence des soins en odontologie les dimanches et jours fériés. Certains départements comme l’Essonne (91), les Yvelines (78) ainsi que les Hauts-de-Seine (92), avec sa maison de garde financée par l’ARS, sont parfaitement organisés ; d’autres sont en déshérence. Dans deux autres départements, la permanence est prévue matériellement à l’hôpital pour des raisons de sécurité. Il n’y a pour l’instant aucune solution dans le Val-de-Marne (94) et l’organisation n’est pas satisfaisante à Paris sur un plan réglementaire ni du point de vue de la prise en charge. Les tarifs de « SOS dents » sont exorbitants et les gestes thérapeutiques extrêmement limités. Une réflexion est en cours dans chaque département. Elle doit aboutir au premier trimestre de 2013 avec, partout, la mise en place d’un numéro d’appel unique qui serait le centre 15.

Parmi les mesures à mettre en œuvre de façon urgente, vous ciblez une seconde permanence des soins des établissements de santé bucco-dentaire et un service d’urgence en odontologie pédiatrique. À quel stade en est la réalisation ?

On est loin de la mise en place d’un service d’urgence pédiatrique, mais il est inscrit dans le PRS. La réflexion est en cours. Il est prévu de l’installer dans un hôpital pédiatrique dans lequel existe déjà un service de soins odontologiques. Nous achoppons un peu sur la définition des besoins réels. Ce type d’urgence justifie-t-il une garde pendant la nuit profonde ? Une astreinte serait-elle suffisante ? Dans le cadre de la permanence des soins des établissements de santé, nous prévoyons parallèlement l’ouverture d’un nouveau centre d’accueil des urgences odontologiques 24h/24 en milieu hospitalier pour désengorger l’unique service actuel, le SAU* odontologique de la Salpêtrière, qui déborde.

Comment voulez-vous faire évoluer le rôle des assistantes dentaires ?

L’ARS va adopter une stratégie pour obtenir l’inscription des assistantes dentaires au Code de la santé publique. Lorsque ce métier sera devenu une profession de santé, nous pourrons lancer des expérimentations. Les assistantes dentaires pourraient intervenir pour la prévention dans les prisons où les chirurgiens-dentistes sont rares. Elles pourraient aussi se charger de la sensibilisation à l’hygiène bucco-dentaire dans les cabinets libéraux et dans les centres de santé.

Dans le cadre du grand projet de fusion des deux facultés d’Île-de-France, la création d’un campus d’odontologie autour du soin, de la prévention et de la réalisation de prothèses pourrait notamment permettre la formation des assistantes dentaires au travail à 4 mains avec les futurs chirurgiens-dentistes afin que les deux professions apprennent à travailler ensemble pendant leurs études.

Avec un plan de 5 ans, nous avons l’avantage de pouvoir faire des projets à long terme.

Comment les chirurgiens-dentistes sont-ils impliqués dans tous les projets ?

Nous sommes en contact avec les URPS*, les syndicats des libéraux et des centres de santé, les deux doyens et les cinq chefs de service.

Dernier point, quelle est la position de l’ARS face à l’ouverture de centres dits low cost ?

L’appellation « centre dentaire low cost » est une publicité mensongère dans la mesure où les soins de base sont écartés au profit des soins rentables. Cela pose un problème de santé publique. L’ARS est donc concernée, comme elle l’a d’ailleurs été dans le cas des bars à sourire. Mais, sauf à mettre en évidence une offre dangereuse pour la santé, l’ARS ne peut pas intervenir directement. Nous allons mener une réflexion avec les syndicats et les conseils de l’Ordre.

* PRS : projet régional de santé ; ARS : Agence régionale de santé ; AP-HP : assistance publique-hôpitaux de Paris ; CMUc : couverture maladie universelle complémentaire ; EHPAD : établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ; SAU : service d’accueil des urgences ; URPS : union régionale de professions de santé.

Un projet de santé pour 5 ans

Le projet régional de santé d’île-de-France soumis jusqu’au 15 décembre à la concertation, décline les orientations stratégiques de l’Agence régionale de santé. Il vise trois objectifs :

• garantir à chaque Francilien un parcours de santé permettant une approche intégrée entre la prévention, le soin et la prise en charge médico-sociale, lisible, accessible et sécurisé ;

• garantir la qualité et l’efficience du système de santé dans la région ;

• conduire cette politique avec tous les acteurs au plus près des territoires.

Ce PRS comprend trois schémas opérationnels : l’un organise les actions de prévention et de veille sanitaire, le deuxième organise l’offre de soins et le troisième l’offre médico-sociale pour la prise en charge des personnes âgées, handicapées et ayant des difficultés spécifiques. À ces trois schémas sont adjoints deux volets transversaux non prévus par les textes et spécifiques à l’Île-de-France : un volet « bucco-dentaire » et un volet « biologie médicale ».