Clinic n° 12 du 01/12/2012

 

CHIRURGIE

Armand-R. PARANQUE  

Professeur agrégé du Val-de-Grâce
Chef de Département d’implantologie à l’Institution nationale des Invalides
Ancien chef de service de chirurgie plastique de la face de l’hôpital Bégin
Membre de la Société française de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique
Membre de l’Académie nationale de chirurgie
e-mail : prparanque@me.com
http://www.armand-paranque.com
61 avenue Victor Hugo 75016 PARIS

Les reconstructions verticales de crêtes alvéolaires présentent des difficultés techniques réelles et spécifiques. Leur indication est fréquente car elles représentent souvent la seule garantie d’une restauration anatomique ad integrum, gage d’un résultat prothétique implantoporté esthétique (dimension verticale normalisée évitant les dents longues), fonctionnel et durable. Mais leur difficulté de réalisation s’accompagne d’une grande exigence vis-à-vis du matériau choisi pour la reconstruction. Ainsi, et de manière très schématique, plus la reconstruction est complexe (tridimensionnelle, composante verticale supérieure à 5 mm, antécédents d’échecs préalables…), plus le choix de l’os autologue s’impose. Celui-ci, malgré les progrès des biomatériaux, reste le gold standard en 2012.

La reconstruction verticale d’une crête alvéolaire constitue encore et toujours un défi (fig. 1). Mais elle représente aussi l’idéal thérapeutique biomécanique et esthétique.

Ce travail ne porte que sur les secteurs mandibulaires et maxillaires postérieurs en raison des difficultés spécifiques qu’ils présentent. Ces dernières sont pour l’essentiel le fait des rapports anatomiques de proximité (cavité sinusienne au maxillaire, nerf alvéolaire inférieur et nerf mentonnier à la mandibule) et des contraintes mécaniques qui s’exercent immanquablement sur ces reconstructions non protégées par des parois osseuses mais seulement par des tissus mous (à l’inverse des greffes réalisées dans des cavités à 3 parois, plancher sinusien ou site d’extraction).

L’évolution des techniques et de leur médiatisation rendant nos patients chaque jour plus exigeants, les sites postérieurs sont aujourd’hui de plus en plus souvent considérés comme des secteurs esthétiques, excluant alors tout compromis prothétique (dents longues ou fausse gencive) (fig. 2).

Dans cet esprit, la greffe d’os autologue reste encore et toujours le gold standard en raison de sa polyvalence et de la reproductibilité de ses résultats. Afin d’illustrer ce constat, nous présentons les résultats d’une série de 46 patients ayant bénéficié d’une reconstruction verticale par greffe osseuse autogène d’origine endobuccale ou crânienne (toujours membraneuse sur le plan embryologique). Parallèlement, nous présentons nos évolutions afin de rendre les suites du prélèvement autologue négligeables (techniques de prélèvement, greffe composite os autologue-biomatériau).

Matériel et méthode

Une étude réalisée entre janvier 2003 et juillet 2007 a eu pour but d’évaluer la stabilité des greffes osseuses autogènes dans un site mandibulaire postérieur.

Cette étude rétrospective a porté sur une série de 46 patients présentant un édentement non encastré mandibulaire postérieur, unilatéral ou bilatéral, avec secteur antérieur denté et ayant bénéficié d’une reconstruction verticale en site rétroforaminal, par apposition et coffrage de greffons osseux d’origine endobuccale ou crânienne (fig. 3).

Cinquante-quatre sites ont ainsi été greffés. Le port de toute prothèse a été proscrit dans les suites opératoires. Les implants ont été posés au bout de 3 mois révolus, après contrôle par dentascanner, chaque fois avec un torque supérieur ou égal à 35 Ncm. La mise en charge a été réalisée au bout de 5 mois révolus. Cent soixante-quatre implants au total (tableau 1) ont ainsi été mis en charge dans ces 54 sites rétroforaminaux reconstruits en hauteur par greffe osseuse autogène d’origine symphysaire, ramique ou crânienne (greffons tous d’origine membraneuse, identique à celle du site reconstruit).

Un dentascanner de contrôle a été effectué à J1 et J90 postgreffe, puis le niveau osseux autour du col implantaire a été mesuré par cliché rétroalvéolaire (O-Ring et pied à coulisse électronique) à J0 lors de la pose des implants, puis le jour de la mise en charge, ensuite à 6 mois, 1 an et, enfin, à distance afin de pouvoir évaluer le taux de succès implantaire selon les critères d’Albreksson.

Résultats

Les suites postopératoires au niveau du site donneur crânien ont été nulles, non algiques et ont permis une reprise des activités sociales précoce, en moyenne à J4 postopératoire. La reprise a été un peu plus tardive après prélèvement endobuccal (J7 postopératoire en moyenne).

Au niveau du site receveur, on a noté 3 cas d’exposition partielle d’un greffon, traités par curetage jusqu’au saignement et par bains de bouche (de petite taille et non septiques, les 3 cas ont cicatrisé sans décollement ni suture).

Un déficit sensitif partiel dans le territoire du nerf alvéolaire inférieur a été dû à une vis d’ostéosynthèse mal positionnée.

Le gain osseux initial a été compris entre 5 et 21 mm avec une moyenne à 7,6 mm.

À J90 postgreffe, la résorption osseuse crestale était inférieure à 5 % dans 43 des 54 sites greffés, comprise entre 5 et 8 % dans 7 sites et entre 8 et 12 % dans les 4 derniers (dont 2 des sites exposés en postopératoire précoce).

Enfin, le taux de succès des 164 implants posés a été de 96,2 % selon les critères d’Albreksson (fig. 4 à 10).

Discussion

Solutions de remplacement à la greffe osseuse autogène

L’une des tendances en chirurgie implantaire est de simplifier les plans de traitement en les accélérant et en les allégeant… parfois à outrance, ce qui met alors en péril la qualité et la pérennité du résultat. Toutefois et ponctuellement, ces simplifications thérapeutiques peuvent rendre des services non négligeables à la seule condition que les indications soient parfaitement posées dans certains cas très particuliers.

Ainsi, lorsque l’insuffisance de hauteur crestale en secteur postérieur nécessite idéalement une greffe osseuse, quelles sont les principales possibilités ?

Réduire le nombre d’implants, ne les poser que lorsque les volumes osseux le permettent, avec l’aide éventuelle des logiciels informatiques de simulation : il s’agit là d’un retour aux débuts de l’implantologie, le chirurgien redevenant totalement dépendant des volumes osseux résiduels. Les implants ne peuvent alors pas toujours être posés en nombre, axe et position biomécaniquement et esthétiquement adéquats.

Les implants courts représentent également une solution à prendre en considération ponctuellement. Toutefois, dans certains cas, le manque d’os ne permet même pas de les poser. Ce type de traitement, ne corrigeant pas l’excès de dimension verticale, impose une compensation prothétique par des dents longues (ou par de la fausse gencive) et les patients exigeants acceptent aujourd’hui moins aisément ce type de compromis (fig. 1).

En secteur maxillaire postérieur, il est évident qu’en l’absence d’augmentation de l’espace prothétique vertical, une élévation du plancher sinusien représente la solution de choix sans besoin aucun de greffer verticalement la crête alvéolaire (premiers stades de la classification de Cawood et Howell).

À la mandibule, la latéralisation du nerf alvéolaire inférieur (fig. 12) peut constituer de nouveau, depuis la généralisation de la piézochirurgie, une solution de remplacement intéressante, la totalité de l’os résiduel étant alors exploitable pour l’implantation. Mais la dimension verticale à traiter prothétiquement peut alors rester excessive.

La distraction osseuse, sans greffe ni prélèvement osseux, exonère le chirurgien des difficultés posées par la gestion muqueuse lorsqu’il faut augmenter une crête de manière importante (fig. 13). Toutefois, le contrôle du vecteur de distraction est bien souvent fort aléatoire et la technique ne permet pas de traiter simultanément un déficit transversal (greffe osseuse secondaire et nouveau délai de consolidation indispensables). En outre, si le fragment de l’augmentation se résorbe, le cas s’aggrave et la reconstruction n’en sera que plus complexe.

Les techniques de splitting horizontal de crête avec interposition présentent ce même dernier – et non négligeable – inconvénient.

La régénération osseuse guidée, solution également envisageable, n’a fait l’objet que de trop rares études en augmentation verticale dans la littérature scientifique internationale, point symptomatique des difficultés posées (manque de reproductibilité).

Enfin, les appositions de blocs cortico-spongieux allogéniques (provenant d’un autre individu d’une même espèce) exposent trop à la résorption en reconstruction verticale, constatée lors du contrôle postgreffe ou, pire, après pose des implants et réalisation du bridge.

Chacune de ces possibilités peut constituer un compromis acceptable et doit être considérée lors de l’établissement du plan de traitement, car chaque cas reste un cas particulier (motivation du patient, état général, géométrie de la reconstruction…), mais le gold standard reste encore et toujours la greffe osseuse d’apposition par os autogène en raison de sa polyvalence, de sa reproductibilité et de sa fiabilité (cf. résultats de notre série).

Ainsi, l’usage des greffes osseuses autogènes sera privilégié chaque fois que possible.

Sites de prélèvement

L’os membraneux est à privilégier en raison de l’origine similaire des sites à reconstituer, car cette similitude diminuerait les risques de résorption.

Lorsque les volumes sont compatibles, les sites donneurs endobuccaux sont choisis en priorité.

Le site symphysaire (fig. 14) est anatomiquement et donc techniquement très accessible, plus généreux que le site ramique (fig. 15 et 16), lui-même moins accessible et très pauvre en os spongieux. Il faut toutefois éviter le prélèvement interforaminal lorsqu’il est porteur de dents pulpées en raison de la proximité du nerf incisif, souvent mal visible sur l’imagerie préopératoire.

Lorsque les volumes à reconstruire sont trop importants, le choix d’un site extrabuccal représente la solution la plus raisonnable. Les suites postopératoires d’un prélèvement extrabuccal parfaitement réalisé sont bien plus légères que celles d’un prélèvement endobuccal lorsque celui-ci est étendu (ramus droit et gauche ± symphyse). En outre, le praticien qui posera les implants aura toutes les garanties de travailler dans une zone dont les volumes généreusement reconstruits faciliteront la procédure.

L’os iliaque, très généreux en tissu spongieux, est facile à prélever et à conformer mais très exposé à la résorption et induit fréquemment des douleurs à la marche ou à l’appui.

Le site pariétal crânien, délicatement prélevé et parfaitement reconstruit (fig. 17 et 18) par un chirurgien entraîné, permet aux patients d’oublier totalement le prélèvement dès le lendemain du geste. Une exploration préopératoire précise et une technique minutieuse (piézochirurgie) assurent des suites légères, confirmant son statut, dans la littérature médicale internationale, de site donneur osseux le plus fiable de l’organisme. Dans ces conditions, l’éventuelle éviction sociale postopératoire n’est que le fait du site reconstruit, en aucun cas celui du site donneur.

La reconstruction crestale par greffe osseuse autogène représente bien toujours le gold standard en 2012. Son seul inconvénient étant la nécessité de prélever le greffon, il suffit donc d’en alléger les modalités. En voici quelques moyens :

• évaluer le plus précisément possible les volumes à prélever, ce qui assure du choix adapté du site donneur et de sa préservation ; ne prélever que le strict nécessaire afin de respecter le capital osseux du patient (imagerie 3D du site receveur mais aussi de la mandibule, ramus inclus, dentascanner crânien en région pariétale si les volumes sont importants) ;

• si un prélèvement crânien est indiqué, ne prélever de corticale externe que pour la réalisation des parois du coffrage. Le matériau de comblement autogène (os particulaire) sera prélevé à l’aide d’un minirabot à os et sur une grande surface afin de préserver l’intégrité de la voûte crânienne (fig. 19) ;

• enfin, mixer l’os autogène particulaire à un biomatériau dans une proportion d’environ 50/50 pour tout comblement d’espace mort. Les études ne sont pas encore très précises quant aux proportions à employer (minimum 1/3 d’os autogène) (fig. 20 à 32).

Conclusion

Les reconstructions verticales de crêtes alvéolaires en secteur postérieur représentent des aménagements difficiles (car verticaux et protégés par les seuls tissus mous) de sites difficiles (accès, rapports anatomiques, secteurs souvent considérés comme zones esthétiques par les patients exigeants). De manière très schématique, plus une reconstruction est complexe, plus elle est exigeante pour le chirurgien certes, mais aussi vis-à-vis de la qualité du matériau choisi. Dans ces conditions, le gold standard reste toujours, en 2012, l’os autogène en raison de sa polyvalence (adaptable à toute forme de reconstruction) et de sa fiabilité. Son seul inconvénient résidant dans la nécessité d’un prélèvement, il convient de minimiser ce dernier. Les maîtres mots sont ainsi respect de l’anatomie (préserver au maximum l’intégrité du site donneur) et allégement des suites postopératoires (prélever le strict nécessaire à la reconstruction). Dans ce but, l’usage de la piézochirurgie, du minirabot à os et des mélanges os autogène particulaire/biomatériau sont des outils non négligeables.

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