PLAN DE TRAITEMENT
Antoine POPELUT* Maya FEGHALI** Olivier FROMENTIN*** Francis MORA**** Philippe BOUCHARD*****
*Attaché Université Paris 7
Service de parodontologie U.F.R. d’Odontologie 5 rue Garancière 75006 PARIS
**Ancien AHU, attaché Université Paris 7
Service de parodontologie U.F.R. d’Odontologie 5 rue Garancière 75006 PARIS
***MCU – PH Université Paris 7
Service de parodontologie U.F.R. d’Odontologie 5 rue Garancière 75006 PARIS
****MCU – PH Université Paris 7
Service de parodontologie U.F.R. d’Odontologie 5 rue Garancière 75006 PARIS
*****PU-PH Université Paris 7
Service de parodontologie U.F.R. d’Odontologie 5 rue Garancière 75006 PARIS
Le prix de thèse ADF/Dentsply, qui s’est déroulé lors du congrès de l’ADF 2011, a remporté, une fois encore un magnifique succès. Chaque année, nous observons avec plaisir la progression du nombre et de la qualité des travaux proposés, preuve que cette manifestation mobilise et stimule nos jeunes confrères.
Le Dr Antoine Popelut a présenté avec beaucoup d’aisance un travail remarquable concernant la « Prise de décision en parodontologie : étude de modélisation », réalisé dans le cadre de l’université de Paris 7 sous la direction du Pr Philippe Bouchard.
La qualité de la présentation et la valeur scientifique de ce travail, qui a déjà fait l’objet de 2 publications internationales de haut niveau, ont particulièrement retenu l’attention du jury qui a décerné au Dr Antoine Popelut le 2e prix ADF/Dentsply.
Anne CLAISSE-CRINQUETTE, présidente du prix ADF/Dentsply
La maladie parodontale est caractérisée par la perte de l’attachement, c’est-à-dire la migration de l’attache apparente de la dent, et la perte osseuse concomitante, menant à la perte dentaire. Le but du traitement parodontal est d’éliminer l’infection parodontale puis de restaurer ou de maintenir une fonction orale compatible avec les demandes esthétiques du patient. Dans notre modèle, l’étude porte sur un patient atteint d’une maladie parodontale chronique, la plus commune des parodontites [1]. Les options thérapeutiques d’un plan de traitement chez des patients atteints de maladie parodontale comprennent des extractions dentaires. Les raisons sont soit directement parodontales, soit carieuses, endodontiques ou prothétiques [2]. Cette prise de décision extractionnelle est un processus complexe, irréversible et qui doit être fondé sur la notion de la dentisterie fondée sur la preuve (evidence based dentistry), c’est-à-dire l’intégration de la meilleure preuve disponible, l’expérience du praticien et les désirs du patient [3]. Les taux de survie élevés des implants dentaires et leurs avantages cliniques, par rapport aux prothèses dentoportées fixes partielles conventionnelles qui requièrent le délabrement des dents adjacentes à l’édentement, ont complètement changé la prise de décision d’extraction dentaire chez les patients atteints de maladie parodontale. Les indications pour la thérapeutique implantaire n’ont cessé de s’élargir par l’utilisation d’implants courts [4] ou de greffe osseuse, rendant ainsi questionnable le traitement de défauts parodontaux avancés. Cependant, le manque d’études cliniques randomisées indépendantes comparant l’extraction dentaire à l’approche conservatrice conduit à se demander si la solution implantaire est supérieure d’un point de vue fondé sur la preuve. Par conséquent, les controverses autour de la décision d’avulsion en cas de maladie parodontale sont parmi les plus débattues en dentisterie clinique et ne semblent pas près d’être résolues. Un des problèmes soulevés est la nécessité d’une étude à long terme pour observer la mortalité dentaire à travers un traitement parodontal. Ces études requièrent de nombreuses années d’études durant lesquelles les traitements sont peut-être déjà dépassés.
Prenant en compte le fait qu’il est nécessaire de remplacer la dent manquante pour des raisons de satisfaction du patient et de fonction masticatrice [5], de nombreuses raisons expliquent la difficulté de prise de décision. En premier, la preuve scientifique, comparant la prévalence de la mortalité dentaire à travers un traitement parodontal et le taux de survie des implants ou d’un bridge dentoporté, est très rare [6]. En second, les espérances du patient n’ont pas été explorées sur la base scientifique. En dernier, la littérature scientifique explorant l’expertise clinique manque dramatiquement. Ainsi, la décision de réaliser une extraction dans un cas de maladie parodontale est fondée sur l’expérience clinique personnelle du praticien et non sur des recommandations de guide d’exercice clinique. C’est donc notre intérêt de standardiser la prise de décision parodontale et de réduire les divergences de traitements rencontrées chez les cliniciens. Les modèles, fondés sur l’extraction de données qui génère un support de prise de décision, devraient assister les praticiens dans le traitement de leur patient pris individuellement.
Le but de cette étude est donc de construire, à partir de différents types de données, un modèle d’analyse de décision dans une stratégie d’extraction chez un patient atteint de parodontite.
Pour approcher le problème, nous construisons le scénario médical suivant : nous considérons un patient adulte fictif atteint de maladie parodontale sans autre maladie et sans plainte majeure, adressé pour une prise de décision d’extraction d’une dent unitaire présentant un défaut parodontal pouvant affecter sa conservation. Nous assumons que dans notre modèle, les dents bordant l’édentement sont intactes de tout traitement dentaire ou pathologie. La preuve scientifique est fondée sur la probabilité donnée par l’analyse de la littérature médicale utilisant une approche systématique [7]. L’expertise clinique est basée sur l’opinion clinique d’un panel d’experts. Les préférences individuelles du patient ne sont pas prises en compte dans ce modèle.
Pour évaluer la question d’extraction, nous réalisons un arbre de décision avec les alternatives et les résultats possibles. Dans cet outil de décision, les nœuds de décision (rectangles) indiquent le point où la décision est sous contrôle du décideur, alors que les nœuds de chance (cercles) correspondent au point à partir duquel les résultats dépendent de la chance. Chaque branche de l’arbre est affectée d’une probabilité objective – p (i) – que l’événement se réalise et une probabilité subjective – US (i) – est affectée par un panel de cliniciens à chaque résultat. L’utilité subjective (US) est définie comme la mesure quantitative de la préférence des experts pour un résultat. Pour déterminer la décision optimale qui peut être faite, l’utilité espérée (UE) est calculée à chaque nœud de décision en combinant les probabilités issues de la littérature médicale avec les utilités subjectives comme suit (fig. 1) :
UE (décision) = p (survie) × US (survie) + p (perte) × US (perte) où p (survie) = 1 – p (perte).
Une approche systématique a été utilisée pour déterminer les intervalles de probabilités affectées à l’arbre de décision. Deux chercheurs de l’UFR d’odontologie de Paris 7 (Antoine Popelut et Philippe Bouchard) ont analysé la littérature dentaire depuis 1993 jusqu’à 2008. On considère que des études de plus de 15 ans peuvent utiliser des techniques désuètes et, ainsi, fausser la comparaison de données. La recherche est limitée aux revues systématiques existantes pour l’option d’extraction, alors que pour l’option de conservation, une revue systématique est réalisée à cause du manque de méta-analyses publiées sur ce sujet. La sélection des articles a inclus tous les types d’articles correspondants aux mots clefs MeSH.
Le but de cette approche systématique est de répondre à la question suivante : « Quel est le taux mortalité dentaire à 5 ans chez un patient adulte traité pour maladie parodontale ? » (tableau 1).
Le but de l’approche systématique est de répondre à la question suivante : « Quel est le taux de mortalité dentaire à 5 ans chez des patients non traités pour leur maladie parodontale ? »
Aucune étude n’est incluse.
L’objectif de l’approche systématique est de répondre à la question suivante : « Quel est le taux de survie à 5 ans des implants supportant une couronne unitaire chez des patients atteints de maladie parodontale ? » (tableau 2).
L’objectif de l’approche systématique est de répondre à la question suivante : « Quel est le taux de survie à 5 ans des prothèses fixes partielles dento-portées conventionnelles chez des patients atteints de maladie parodontale ? » (tableau 3).
La mesure quantitative de la préférence pour un résultat a été évaluée par un panel d’experts comprenant trois parodontistes de l’UFR d’odontologie de Paris 7 (Philippe Bouchard, Francis Mora et Maya Feghali) et un expert en prothèse (Olivier Fromentin) pendant une session de 2 heures. Chaque jugement de valeur est fixé en fonction du scénario médical. Les experts sont collectivement interviewés par un expert indépendant en modèle de prise de décision (Benjamin Rousval). Le groupe procède par évolution des idées jusqu’à ce qu’une opinion de consensus soit prise.
La première étape est d’ordonner les 8 résultats découlant des 4 actions possibles. La seconde étape est de déterminer les jugements de valeur.
La figure 2 résume les valeurs des utilités espérées (UE) par la combinaison des probabilités de survie avec les utilités subjectives utilisées dans ce modèle. Les utilités espérées dans l’option passive sont impossibles à calculer du fait du manque de probabilités disponibles. Les résultats montrent que la limite supérieure de l’intervalle des utilités espérées (UE3) pour le bridge [86-89] est inférieure à la limite la plus faible de l’intervalle des UE4 pour l’implant [94-95], qui est inclus dans l’intervalle des UE2 pour le traitement parodontal [72-96]. La limite supérieure de l’intervalle UE2 [96] est plus élevée que la limite supérieure de l’intervalle UE4 [95]. Les résultats indiquent qu’il n’est pas possible de conclure une différence entre la thérapeutique parodontale ou le traitement implantaire, en revanche l’option du bridge est dominée par l’option implantaire. Ainsi, nous pouvons conclure que la thérapeutique par prothèse fixe partielle est la plus mauvaise des options par rapport au traitement parodontal ou au traitement implantaire supportant une couronne unitaire.
À partir des différents scénarios médicaux, ce modèle d’extraction dentaire montre que l’avulsion dentaire associée à la mise en place d’un bridge conventionnel est la moins bonne des stratégies par rapport à la mise en place d’un implant supportant une couronne unitaire ou la conservation parodontale associée à un traitement parodontal. Les résultats confirment un modèle présenté récemment qui montre que l’implant supportant une couronne unitaire est la stratégie dominante (moins coûteux, plus efficace et avec un meilleur rapport qualité/prix) par rapport à la prothèse fixe partielle dento-portée [8]. Cela met l’accent sur la convenance questionnable de la solution du bridge chez des patients nécessitant le remplacement d’une dent unitaire.
La force du modèle présenté est basée sur l’intégration de la recherche de la preuve, fondée sur une approche classique systématique de la littérature médicale, à l’expertise des cliniciens. Les valeurs d’expérience des cliniciens sont affectées par une approche mathématique qui implique un processus appelé la théorie de l’utilité [9] Pour renforcer la stabilité et la qualité des valeurs, les utilités subjectives sont affectées par consensus à travers une discussion d’un panel d’experts et non par la moyenne des valeurs individuelles. L’intention n’est pas de construire un modèle d’aide à la décision mais de donner l’aperçu actuel des préférences des cliniciens dans une décision clef d’extraction et d’illustrer les conséquences de ces préférences sur la prise de décision.
L’intervalle étroit et élevé de probabilités de l’implant unitaire (0,968-0,975) peut expliquer l’indifférence entre cette option et l’option parodontale. Cet intervalle doit être interprété avec précaution. En raison de la rareté des publications montrant une différence statistique de la survie implantaire chez des patients dont la perte dentaire au bout de 5 ans est associée ou non à la maladie parodontale, l’étude est étendue aux patients sains. De plus, les études comparant la survie implantaire chez des patients atteints ou non de maladie parodontale ont des échantillons de petite taille et leurs qualités méthodologiques sont contestables [10]. Cependant, il est montré que sur une période de 10 ans, les patients ayant une association perte dentaire/ maladie parodontale sont significativement plus souvent affectés par une péri-implantite que les patients ayant une perte dentaire associée à une autre cause [11]. De plus, une différence significative dans la perte osseuse moyenne péri-implantaire est attendue chez les patients avec une histoire de parodontite par rapport aux sujets sains [12, 13]. Il pourrait être admis que les modèles futurs de décision sur la thérapeutique implantaire fussent basés sur une moyenne d’années d’étude plus longue. En dernier lieu, les biais de publication et les biais de financement industriel dans les études implantaires ont montré leur influence sur les taux de survie implantaire [14].
L’analyse présentée est une première étape pour adapter un modèle de prise de décision dans un contexte clinique spécifique. Cette étude permet de promouvoir la pratique de la dentisterie fondée sur la preuve dans la prise de décision pour résoudre les problèmes complexes auxquels est confronté le clinicien. Il est intéressant de constater la tendance des options du clinicien en vue d’un traitement implantaire qui a complètement changé l’approche de prise de décision dans une stratégie d’extraction [15]. Le débat est ainsi ouvert sur la précision et la qualité méthodologique des études à long terme sur le pronostic des traitements parodontaux et prothétiques, et sur l’application de guides de pratiques cliniques et de modèles de prise de décision dans les soins de patient pris individuellement. En conclusion, ce modèle peut être utilisé en pratique clinique, en considérant le fait que l’étape de construction des utilités doit être faite entre le praticien et son patient.
La thérapeutique parodontale a pour but ultime de conserver la dent. Des résultats cliniques favorables à long terme sont démontrés en particulier chez les patients régulièrement suivis. Cependant, le traitement parodontal a des limites en termes de pronostic. La difficulté provient de l’impossibilité d’affecter des probabilités de succès à chaque cas particulier. Ainsi, la conservation d’une dent à support parodontal réduit, opposée à l’extraction dentaire et à son remplacement, est l’une des décisions multifactorielles la plus difficile à prendre. Le praticien doit adopter une attitude de « dentisterie fondée sur la preuve », en s’interrogeant sur sa propre capacité à mener à bien le traitement.
Les données actuelles de la littérature médicale guidant le praticien dans une prise de décision d’avulsion sont restreintes. Les rares études donnant une stratégie de traitement ne s’appuient que sur les données acquises de la science, et non sur l’expérience et la demande du patient. C’est pourquoi notre modèle se propose de présenter l’influence de l’expertise sur les données acquises de la science. Ainsi, les conclusions de notre étude, préférant la thérapeutique parodontale ou implantaire au bridge, dépendent de l’expérience d’un panel d’experts. Grâce à ce modèle, le praticien peut lui-même confronter son expertise clinique, guidée par la demande du patient, aux probabilités de la littérature scientifique et, ainsi, être le plus prévisible possible.
L’avulsion dentaire associée à la mise en place d’un bridge conventionnel est la moins bonne des stratégies par rapport à la mise en place d’un implant supportant une couronne unitaire ou la conservation parodontale associée à un traitement parodontal.
TESTEZ VOS CONNAISSANCES SUITE À LA LECTURE DE CET ARTICLE EN RÉPONDANT AUX QUESTIONS SUIVANTES :
1 La notion de dentisterie fondée sur la preuve est basée sur :
a. l’intégration de la meilleure preuve disponible, l’expérience du praticien et les désirs du patient ;
b. sa propre expérience clinique uniquement ;
c. les données de la littérature médicale uniquement.
2 Notre étude montre :
a. que l’option « aucun traitement » (passive) est la meilleure solution thérapeutique ;
b. que le bridge conventionnel est la moins bonne des stratégies par rapport à la mise en place d’un implant supportant une couronne unitaire ou la conservation parodontale associée à un traitement parodontal ;
c. aucune différence entre les différents traitements envisagés.
3 Le principe de ce modèle de décision est de confronter les données issues de la littérature médicale avec :
a. l’expérience clinique ;
b. les désirs du patient ;
c. l’expérience clinique et les désirs du patient.
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