Endodontie
Ancien AHU, DCD
73, rue de Loustalot 33170 GRADIGNAN
L’usage unique s’impose dans notre pratique quotidienne. En endodontie, les progrès techniques permettent la mise en forme canalaire à l’aide d’un seul instrument jetable. Outre la simplification des protocoles, nous allons voir en quoi cette évolution présente un intérêt quant à la sécurité sanitaire de nos patients, tout en présentant un intérêt économique pour nos cabinets.
Le traitement endodontique est un acte chirurgical présentant un risque potentiel de contamination croisée [1]. En effet, diverses études démontrent que l’architecture complexe des instruments endodontiques rend les procédures de nettoyage et de stérilisation partiellement inefficaces [1], ce qui a conduit certains pays à rendre obligatoire leur mise au rebut dès la première utilisation. De plus, la stérilisation non seulement entraîne des altérations de l’état de surface augmentant le risque de fracture instrumentale mais provoque aussi des anfractuosités potentiellement rétentrices de microorganismes. Si, jusqu’à présent, nous avons travaillé avec des instruments réutilisés stérilisés (conformément aux recommandations du ministère de la santé [2]), les études et l’obligation faite dans certains pays de privilégier l’usage unique doivent nous alerter et nous amener à changer nos habitudes.
La pulpe dentaire est protégée de l’invasion par les microorganismes tant qu’elle est vitale. Cependant, un endodonte est un tissu vascularisé qui peut contenir, chez les sujets atteints par une infection acquise, non seulement le VIH, les virus des hépatites B, delta et C mais aussi des agents transmissibles non conventionnels (ATNC), ou prions [2]. Ces derniers sont particulièrement présents dans la pulpe, qui est considérée comme le tissu dentaire le plus à risque en termes d’infectiosité [3], et sont très difficiles à éliminer lors des procédures de stérilisation.
En cas de nécrose pulpaire, le système endocanalaire sera colonisé par une flore polymicrobienne composée de bactéries à Gram positif et à Gram négatif en quantité presque égale mais, pour la plupart, anaérobies strictes [4].
Dans le cas d’un échec endodontique avec persistance d’une parodontite apicale, les bactéries retrouvées sont essentiellement à Gram positif et en proportion équivalente d’anaérobies stricts et facultatifs [4].
La préparation du patient par la mise en place d’un champ opératoire (digue dentaire) est à effectuer chaque fois que c’est possible. Outre la sécurité face aux risques d’inhalation ou d’ingestion, ce dispositif permet de limiter le risque de contamination par les germes environnants [5].
Les instruments endodontiques seront donc en contact avec des agents infectieux de nature différente, durant tout le traitement endodontique, malgré l’irrigation à l’hypochlorite de sodium (fig. 1). Ces agents infectieux pourront demeurer au niveau des anfractuosités après le soin, malgré le nettoyage peropératoire (fig. 2).
Les instruments endodontiques sont des dispositifs médicaux classés dans la « catégorie critique » [6]. Cette catégorie concerne le matériel ou les dispositifs médicaux introduits dans le système vasculaire ou des tissus stériles. Cette classification rend obligatoire la stérilisation en autoclave ou l’usage unique stérile. La désinfection de haut niveau ne se justifie pas car elle doit être réservée aux instruments thermosensibles ou n’existant pas à usage unique, ce qui n’est pas le cas pour les instruments endodontiques.
Dans la majorité des cabinets dentaires, les instruments endodontiques sont réutilisés, ce qui implique le respect d’une marche en avant [7], du plus sale vers le plus propre. La procédure de stérilisation est une suite d’étapes dont le succès final dépend de la réussite de chacune.
La prédésinfection est la première étape qui consiste à immerger les instruments souillés dans une solution détergente et désinfectante (voir la liste positive des produits désinfectants dentaires, ADF, 2006-2007), aussitôt après leur utilisation. L’objectif est tout d’abord d’éviter le séchage des matières organiques afin de faciliter le nettoyage ultérieur, mais aussi de diminuer la charge infectieuse pour réduire le risque de contamination du personnel et de l’environnement [6, 7]. Elle est suivie d’un rinçage à l’eau du réseau.
Le nettoyage est la seconde étape et a pour objectif d’éliminer les salissures. Il peut être :
• manuel, par utilisation de brosses ne détériorant pas l’instrumentation [6] ; les cardes métalliques sont donc à éviter au profit de brosses en nylon ;
• ultrasonore, dans un bain de solution détergente-désinfectante [6]. Probablement insuffisant, ce nettoyage doit être complété par un nettoyage manuel ou par laveur-désinfecteur ;
• par laveur-désinfecteur par thermodésinfection [6]. Il est conseillé, pour les instruments fins, de faire précéder ce traitement par un nettoyage aux ultrasons [7].
Le rinçage est préférentiellement réalisé avec une eau déminéralisée ou adoucie pour éviter le dépôt calcaire lors du passage dans l’autoclave [7].
Avant leur conditionnement, les instruments sont séchés et vérifiés. Ils peuvent ensuite être emballés dans des sachets ou gaines de stérilisation conformes à la norme NF EN 868 ou bien placés dans des conteneurs munis de filtres.
La stérilisation à la vapeur d’eau est le procédé de référence. Un cycle de type B est recommandé en odontologie avec une température de 134 °C maintenue pendant 18 minutes. Après le contrôle de la charge en fin de cycle, les instruments sont stockés dans un endroit sec et propre [6, 7].
Ce processus chronophage l’est tout particulièrement pour les instruments endodontiques difficiles à nettoyer, sans évoquer le risque d’accident d’exposition au sang (AES) lors de leur manipulation.
Des expérimentations ont démontré un changement significatif de l’état de surface des instruments après 5 cycles de stérilisation [8, 9] ainsi qu’une diminution de la résistance à la torsion après 3 cycles de stérilisation [10], sans compter l’usure liée à la préparation canalaire [11]. Sachant qu’un instrument non stérile issu du fabricant doit être stérilisé avant sa première utilisation, nous pouvons considérer que nous n’utilisons jamais d’instrument totalement intact dans les canaux des dents de nos patients.
Une étude de 2009 montre les difficultés de réalisation d’une stérilisation efficace sur les fraises et les instruments endodontiques du fait de leur microarchitecture [1].
Cette étude analyse également la « stérilisation » à la chaleur sèche (« à proscrire en référence à la fiche 4 de la circulaire n° 138 du 14 mars 2001 car d’efficacité aléatoire au cœur de la charge et inefficace sur certains agents » [6]) et par chémiclave, mais nous n’examinerons que les résultats des autoclaves (chaleur humide), technique de référence.
Après stérilisation (Statim ; 6 minutes, 130 °C), les instruments endodontiques sont placés dans un milieu de culture. Douze pour cent des instruments s’avéreront contaminés. Bien que la stérilisation en autoclave apparaisse plus efficace que par chaleur sèche (58 % d’instruments contaminés), il existe un risque de contamination croisée. On peut également se demander ce qu’il en est du risque concernant des agents plus difficiles à éliminer, tels que les agents transmissibles non conventionnels.
La procédure de stérilisation décrite précédemment est insuffisante par rapport aux recommandations de la circulaire ministérielle n° 138 du 14 mars 2001 relative aux précautions à prendre pour inactiver des agents transmissibles non conventionnels, ou prions. En effet, la pulpe contient des terminaisons nerveuses issues du nerf trijumeau et est donc le tissu dentaire le plus à même de contenir des agents transmissibles non conventionnels. Il est recommandé d’immerger les instruments endodontiques pendant 1 heure dans une solution d’hypochlorite de sodium à 2 % (après le nettoyage, avant la stérilisation). Ce traitement simple est envisageable mais pourrait avoir pour conséquence de détériorer l’instrumentation et de réduire la résistance à la fracture.
La littérature scientifique contient en effet de nombreuses études montrant le caractère corrosif de l’hypochlorite de sodium sur les instruments endodontiques. Cependant, la plupart d’entre elles ont été effectuées dans des conditions bien plus sévères que la recommandation citée précédemment (le temps de contact peut atteindre 12, 24, voire 48 heures ; elles utilisent de l’hypochlorite à 5 %) et ne permettent pas d’apprécier son effet.
Deux études semblent particulièrement intéressantes car la méthode qu’elles ont suivie est très proche de la recommandation :
• Saglam et al. [12] ont observé des instruments en nickel-titane (NiTi) qui ont été immergés séparément dans une solution d’hypochlorite de sodium à 2,5 % pendant 10 minutes. Si aucune altération de surface n’était visible en microscopie à balayage, une dégradation a été mise en évidence avec un microscope à force atomique (type de microscope à sonde locale permettant de visualiser le relief d’une surface) ;
• Sood et al. [13] ont mis en évidence une corrosion des instruments en nickel-titane immergés dans une solution d’hypochlorite de sodium à 2,5 % pendant 1 heure, puis stérilisés en autoclave. Il semble en outre que l’immersion totale de l’instrument soit un facteur amplificateur de la corrosion du fait des différences de métaux entre la partie travaillante et le manche de l’instrument [14]. Il serait donc préférable de n’immerger que partiellement les instruments pour réduire le risque de corrosion, au risque de ne pas totalement les désinfecter…
Qu’ils soient à usage unique ou bien réutilisés et stérilisés, la mise au rebut des instruments endodontiques doit être effectuée dans des conteneurs spécifiques, les boîtes OPTC (pour objets piquants, coupants, tranchants), car ce sont des instruments perforateurs potentiellement contaminants. Pris en charge par un prestataire spécialisé, ils seront incinérés [2].
Trois instruments uniques de mise en forme canalaire sont actuellement présents sur le marché. Deux utilisent le mouvement de réciprocité, un le mouvement de rotation continue. Il s’agit :
• pour le mouvement de réciprocité, du WaveOne™ (Dentsply-Maillefer) et du RECIPROC® (Dentsply-VDW) ;
• pour le mouvement de rotation continue, du One Shape® (Micro-Mega)
Les deux premiers nécessitent un moteur spécifique permettant de travailler selon le mouvement de réciprocité. Ce mouvement offrirait plus de résistance qu’un autre à la fatigue cyclique et à la fracture par torsion, ce qui est essentiel car un seul instrument va assurer à lui seul toute la séquence. Le One Shape® utilise la rotation continue et ne nécessite pas de moteur particulier, nous ne l’avons pas testé.
La société Dentsply a mis à notre disposition un moteur VDW.GOLD® RECIPROC® (fig. 3) ainsi que des instruments WaveOne™ et RECIPROC®.
Notre cabinet, d’omnipratique, organise le plus possible de longs rendez-vous et fonctionne avec des cassettes. Pour faciliter la traçabilité, nous avions tendance à utiliser, sur le même principe, de grands séquenceurs pouvant faire face à toutes les situations (fig. 4) (biopulpectomie avec canaux simples ou complexes et retraitements endodontiques). Chaque séquenceur comprenait des instruments de longueur 21, 25 ou 31 mm : limes et racleurs manuels, un Endoflare® (Micro-Mega), toute la séquence ProTaper® Universal (SX, S1, S2, F1, F2, F3) (Dentsply Maillefer), toute la séquence R-Endo® (R1, R2, R3) (Micro-Mega) et, pour finir, les Gutta-Condensor (Dentsply Maillefer) 25, 30, 35 et 40.
Après le soin, les instruments utilisés étaient isolés du séquenceur, placés dans un bain de prédésinfectant spécifique et subissaient leur nettoyage à part (manuel, puis bac à ultrasons et enfin thermodésinfecteur) avant d’être remis dans le séquenceur, reconditionnés puis stérilisés.
Nous disposons d’un moteur d’endodontie VDW.GOLD® (rotation continue, avec localisateur d’apex, vitesse et torque configurables pour chaque instrument).
Le temps moyen d’une biopulpectomie sur molaire était de 1 h à 1 h 15.
Quarante traitements endodontiques (au total 84 canaux) et 41 retraitements endodontiques (au total 90 canaux) ont été réalisés entre le 30 mai et le 5 septembre 2012. L’utilisation des instruments RECIPROC® (fig. 5 et 6) ou WaveOne™ a été faite aléatoirement, les instruments ayant une efficacité qui nous a semblé similaire ; nous avons eu le sentiment que RECIPROC® permettait une remontée peut être plus importante de copeaux.
Les principaux avantages cliniques du système sont :
• la prise en main rapide [15, 16] (mais nous étions habitués au moteur VDW.GOLD® en rotation continue, ce qui l’a peut-être facilitée) ;
• la rapidité et la facilité de la progression aussi bien en traitement endodontique initial qu’en retraitement endodontique (N.B. : nous avons choisi de tester les instruments dans le cas de reprises de traitement bien que cela ne soit pas recommandé par Dentsply) ;
• la sensation de sécurité par le mouvement de réciprocité (engagement-désengagement), de puissance (efficacité de coupe constante) mais sans vissage ou blocage ;
• la reproductibilité des traitements quelle que soit la configuration des canaux (même étroits et courbes) (fig 7 à 12).
Nous pouvons faire le bilan suivant :
• la séquence instrumentale est très réduite [15] (fig. 13) ;
• nous avons diminué la durée de la totalité des traitements endocanalaires (initiaux ou reprises) de 25 à 40 %, tout en maintenant un temps d’irrigation à l’hypochlorite de 15 minutes minimum [15, 16] ;
• ce gain de temps concerne aussi le nettoyage et la stérilisation par l’assistante qui est une phase très chronophage [16] ;
• les traitements sont reproductibles. Nous avons été surpris par la facilité de progression dans les canaux courbes ;
• un seul instrument a été fracturé dans le canal vestibulo-mésial d’une molaire lors d’un retraitement endodontique, en raison d’une force trop importante appliquée par l’opérateur ;
• aucune fausse route n’a été réalisée.
Notons que le passage préalable d’une lime de faible diamètre (10 ou 15/100e mm) demeure indispensable pour assurer la perméabilité apicale sans laquelle le localisateur d’apex peut être faussé, ce qui peut entraîner une ouverture ou une destruction de la construction apicale. Il est indispensable d’irriguer abondamment et, après quelques mouvements de va-et-vient, d’essuyer l’instrument pour maintenir son pouvoir de coupe et le contrôler.
Notons enfin que les instruments WaveOne™ et RECIPROC® sont munis d’une bague de couleur qui se dilate à l’autoclave et rend impossible leur repositionnement sur le contre-angle afin d’empêcher une seconde utilisation.
C’est un fait que la stérilisation totale des instruments endodontiques déjà utilisés est un objectif probablement impossible à atteindre. De plus, la procédure de stérilisation endommage ces instruments. L’usage unique semble être la solution idéale ; cependant, jusqu’à présent, le coût de la séquence instrumentale et la faible rémunération du traitement endodontique par les organismes sociaux ont conduit les praticiens à stériliser les instruments endocanalaires. Les industriels mettent depuis peu à notre disposition des instruments uniques et jetables pour la préparation endodontique. Lors de nos tests, nous avons pu en apprécier l’efficacité (qualité et rapidité de la préparation, dans tous les types de canaux même fins et courbes), la simplification (de la séquence instrumentale pour le praticien, à laquelle s’ajoute l’absence de stérilisation pour l’assistante), la sécurité (réduction du risque de fracture instrumentale, diminution du risque de contamination croisée) et l’économie (coût de revient du traitement endodontique, économie de temps et donc d’argent sur le temps passé au traitement endodontique, mais également au nettoyage et à la stérilisation).