PROTHESE FIXÉE
Département de prothèse
Faculté de chirurgie dentaire
1, place de l’Hôpital
67000 Strasbourg
En prothèse fixée, la temporisation de grande étendue est un réel challenge, tant sur le plan fonctionnel qu’esthétique. Parmi les nombreuses options techniques envisageables, le recours à un bridge transitoire réalisé au fauteuil en méthode directe apporte l’avantage certain d’un coût réduit. La procédure décrite dans cet article permet d’améliorer simplement le rendu esthétique en s’appuyant sur la technique du cut-back.
Les indications de restaurations prothétiques de grande étendue sont moins fréquentes depuis l’avènement des thérapeutiques implantaires. Toutefois, dans certaines circonstances, elles restent la seule solution permettant d’obtenir un résultat fonctionnel et esthétique satisfaisant. La réalisation clinique de ces reconstructions globales exige une succession d’étapes cliniques et des délais de temporisation souvent importants. Dans ce contexte, les objectifs de la prothèse transitoire diffèrent peu de ceux de la future prothèse d’usage. En effet, excepté le paramètre temporel, ces prothèses doivent assurer l’ensemble des fonctions d’une dent qui peuvent être classées en trois catégories : mécanique, biologique et esthétique. Concernant l’esthétique, l’apparence disgracieuse d’une dent préparée peut être avantageusement masquée par la dent provisoire imitant et maintenant les propriétés essentielles de la dent et de son environnement gingival en termes de taille, de position, de forme, de couleur, d’état de surface et de translucidité. Les restaurations temporaires fournissent aussi au praticien une aide précieuse pour affiner les paramètres occlusaux et fonctionnels avant l’achèvement du traitement prothétique [1]. De plus, elles impliquent le patient directement dans son traitement en lui permettant d’apporter une validation quant au confort neuromusculaire, à la mastication, à l’élocution et à l’intégration esthétique.
De nombreuses techniques, directes (au fauteuil) ou indirectes (au laboratoire de prothèses), ont été proposées afin d’obtenir cette prothèse transitoire [2-4]. Selon la chronologie et le déroulement du plan de traitement, plusieurs générations de bridges transitoires sont généralement nécessaires et obligent le praticien à réaliser des rebasages, voire des réfections totales du bridge. La technique extemporanée proposée dans cet article est fondée sur l’exploitation du projet prothétique initial et de la technique du cut-back. Elle permet au praticien d’obtenir rapidement, et de reproduire autant de fois que nécessaire, un bridge transitoire de grande étendue ayant les caractéristiques fonctionnelles requises et un rendu esthétique amélioré.
Un patient de 28 ans se présente à la consultation avec une demande esthétique et fonctionnelle légitime concernant son arcade dentaire maxillaire (fig. 1). Plusieurs dents sont absentes (14, 24, 25) et les deux incisives latérales (12, 22) sont particulièrement délabrées. Les dents restantes présentent des caries et/ou d’anciennes restaurations d’étanchéité variable. Afin d’élaborer un plan de traitement, les modèles issus des empreintes d’étude sont montés en articulateur (fig. 2). Le wax-up prévisionnel est élaboré par le prothésiste afin de répondre au projet prothétique de restauration fixé envisagé (fig. 3). L’option implantaire n’est pas retenue par suite du refus par le patient des chirurgies préalables d’apport osseux extrasinusien et intrasinusien, rendues nécessaires par la résorption importante des secteurs édentés. Dès lors, compte tenu de la position des différents piliers résiduels sur l’arcade, le choix se porte sur une restauration prothétique fixée composée de 2 bridges latéraux et de 2 couronnes unitaires pour 21 et 22.
Le modèle préparé avec le projet prothétique (wax-up) est dupliqué 2 fois en plâtre. Aucune correction particulière n’est apportée sur le premier modèle (n° 1), tandis que le second (n° 2) est sculpté au laboratoire selon la technique du cut-back (encadré 1, fig. 4 et 5). Cette sculpture soustractive est limitée aux faces vestibulaires des dents 14 à 24. Les deux modèles sont ensuite enregistrés à l’aide de silicones de viscosités complémentaires (haute et basse) afin de reproduire le plus fidèlement possible les détails (fig. 6 et 7).
Ces deux jeux d’empreintes sont conservés durant tout le déroulement du plan de traitement afin de pouvoir être réutilisés aussi souvent que nécessaire.
Dès la première séance des préparations, le bridge transitoire esthétique peut être réalisé. Dans un premier temps, l’empreinte n° 2 est remplie de résine
Luxatemp Star (DMG) de couleur A3 puis repositionnée en bouche afin de constituer la base chromatique dentinaire (fig. 8). Après avoir retiré l’empreinte, la couche grasse présente en surface et correspondant à la couche d’inhibition de polymérisation à l’oxygène ne doit en aucun cas être polluée par un contact manuel. L’empreinte n° 1 est alors remplie de la même résine mais dans une couleur plus lumineuse (ici A1), puis insérée en bouche par-dessus le premier bridge. Après la polymérisation complète de cette couche amélaire, l’empreinte en silicone est retirée et la surface de la résine est essuyée avec une boulette de coton imbibée d’alcool modifié (fig. 9).
Ainsi débarrassé de sa couche superficielle non polymérisée, le bridge transitoire peut être déposé et fini. Pour cela, des disques polissoirs de gros grains sont tout d’abord utilisés afin d’éliminer les excès, avant de réaliser les étapes de polissage et de brillantage (fig. 10 à 12). Cette solution de polissage mécanique assure une meilleure pérennité du résultat par rapport à la dégradation rapide observée avec les vernis de surface [5]. Le bridge est alors scellé, offrant une satisfaction esthétique immédiate (fig. 13).
Cette temporisation, bien acceptée par le patient, a permis de terminer sereinement le plan de traitement, en respectant les délais de cicatrisation et de préparations nécessaires. Elle a confirmé les choix esthétiques et fonctionnels retenus et facilité la réussite de la réalisation finale (fig. 14 et 15).
La technique proposée dans cet article est fondée sur le principe du cut-back, réalisable aussi bien par les praticiens que par les prothésistes. Elle a l’avantage d’assurer une excellente jonction entre les deux couches de résine grâce à la présence de la première couche superficielle non polymérisée qui polymérise secondairement lors de l’ajout de la résine amélaire. En ce sens, cette méthode se distingue des techniques dans lesquelles le cut-back est réalisé directement dans la forme finale de la masse de résine polymérisée. La disponibilité permanente des empreintes en silicone permet aussi de parer à toute réparation ou à toute modification du bridge transitoire, rapidement et de façon extemporanée. De plus, l’utilisation d’une résine bis-acryl autopolymérisable limite les risques d’échauffement de la pulpe lors de la polymérisation [6], assure un meilleur état de surface et une meilleure stabilité chromatique par rapport aux résines polyméthacrylates [7-11].
Enfin, malgré la nécessité d’un travail prothétique initial, cette technique reste peu onéreuse par rapport à un bridge transitoire de laboratoire.
→ Cette technique soustractive consiste à retirer dans un premier temps du volume à la morphologie finale de la dent avant de le remplacer par une nouvelle couche du même matériau présentant des caractéristiques optiques ou esthétiques différentes. Cette soustraction correspond schématiquement au retrait virtuel de la couche d’émail. Ainsi, les reliefs qui apparaissent après le cut-back représentent approximativement les lobes dentinaires profonds. À titre d’exemple, la technique du cut-back peut être utilisée sur les couronnes monoblocs en céramique afin d’améliorer le résultat final par rapport à un maquillage superficiel. Dans ce cas, le volume initial retiré est ensuite stratifié avec des masses céramiques de type émail.
• Tous nos remerciements aux laboratoires Renaissance (D. Watzki, 67) et LDS (C. Schiepan, 67) pour leur contribution à la réalisation prothétique finale.