Perspectives de l’exercice libéral, pistes pour des revalorisations tarifaires, difficultés pour la CNSD à faire comprendre ses choix : la nouvelle présidente de la Confédération s’explique.
Vous êtes la première femme élue à la tête de la CNSD. Est-ce une étape importante pour le syndicat ?
Ce n’est pas tant l’élection d’une femme qui est importante que le fait que notre syndicat ne fasse plus de différence entre un homme et une femme pour le représenter. Cela montre sa maturité. Personne ne l’aurait imaginé il y a 10 ans. Le bureau, composé de 3 femmes et 5 hommes, montre aussi que nous sommes représentatifs de la profession.
Continuité ou rupture par rapport à votre prédécesseur ?
Continuité. Les évolutions inévitables se feront en douceur. Cette continuité est aussi dictée par les axes définis par notre congrès et auxquels le bureau confédéral élu doit se tenir.
La CNSD a récemment fait une mise au point musclée concernant la signature de l’avenant 2…
Les élections aux URPS* ont totalement changé la donne dans la profession. La campagne n’a pas été tendre, même si nous avons voulu rester au-dessus de la mêlée en privilégiant les idées. La CNSD a obtenu la majorité absolue qui lui permet de signer seule une convention. L’UJCD* n’a pas obtenu les résultats espérés. Pour reconquérir sa place, ce syndicat a adopté une stratégie anti-CNSD alors que nos visions de la profession sont souvent assez proches et que nous avons avancé ensemble sur de nombreux dossiers. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’un retour de 10 à 15 ans en arrière dans nos relations ! Avec la FSDL*, nous avons défendu les mêmes positions pendant les négociations et nous avons obtenu des évolutions grâce à notre action conjointe. Au final, la FSDL n’a pas signé, c’est son droit. Mais c’est frustrant de nous voir accusés après-coup de tous les maux, alors que la FSDL sait très bien que nous avons tout mis en œuvre pour obtenir le maximum ! Nous ne sommes pas responsables de la conjoncture et de l’absence de financement. C’est plus facile d’accabler la CNSD quand on n’a pas d’arguments constructifs.
Nous avons rétabli la vérité dans un communiqué. Mon idée n’est pas de nous opposer aux autres syndicats car nous devons travailler ensemble. Mais de nouvelles élections sont prévues dans 3 ans et demi…
Faire comprendre les choix syndicaux aux confrères paraît cependant de plus en plus difficile.
Il y a une exaspération dans la profession. Nos confrères dans leur cabinet ont du mal à prendre du recul. Ils doivent pourtant comprendre que des choses s’imposent à nous. C’est le cas de l’Europe et ses directives, par exemple. Le principe de subsidiarité censé protéger les prérogatives de chaque État dans le domaine de la santé est limité. Nous sommes tous contraints par des directives en matière de formation, de reconnaissance des qualifications professionnelles, de reconnaissance des soins transfrontaliers…
Il y a deux manières de prendre position :
– soit on s’oppose à tout et, dans ce cas, rien ne se passe.
– soit on choisit de négocier. On doit alors s’adapter aux propositions et accepter d’avancer à petits pas. Par exemple sur la transparence, je sais que nous allons subir toutes sortes d’attaques concernant le devis conventionnel. L’obligation de devis existe déjà. La loi HPST* modifiée par la loi Fourcade nous impose un nouveau modèle. Ou nous laissions faire un décret, et tout était à craindre quand on connaît les propositions faites par les caisses, ou nous essayions de l’adapter pour le rendre moins nuisible et de mettre en avant certains éléments. C’est ce que nous avons fait. Ça ne nous convient toujours pas mais il faut, à un moment, accepter un compromis.
Vous comptez sur les complémentaires pour obtenir une vraie revalorisation des honoraires. De quelle façon ?
L’absence de financement de l’Assurance maladie nous oblige à être imaginatifs et à accepter d’avancer par étapes. On peut doubler les honoraires en portant le ticket modérateur de 30 % aujourd’hui à 70 % grâce à un doublement de la prise en charge des complémentaires, la participation de l’Assurance obligatoire restant inchangée. Cette option nécessiterait, de la part de l’Assurance maladie et de l’État, un courage politique certain car elle acterait leur désengagement du secteur dentaire depuis 30 ans. On peut aussi autoriser des dépassements sur les soins opposables en faisant intervenir les complémentaires sur la partie restant à charge. C’est un peu le principe du secteur optionnel négocié avec les médecins. Une autre option serait que les complémentaires prennent en charge des actes actuellement non remboursables, comme la parodontie. Toutes ces pistes ont été discutées pendant les négociations. La difficulté avec les complémentaires est la multiplicité des interlocuteurs.
Quelle que soit l’option, elles exigeront en contrepartie une limitation des tarifs des prothèses. C’est cohérent avec ce que nous avons toujours dit sur la nécessité de rééquilibrer la structuration de notre exercice. Enfin, autre difficulté, quelle solution trouver pour intégrer 7 millions de personnes qui n’ont pas de complémentaire ?
Des pistes existent, mais avancer suppose la bonne volonté de chacun, une confiance mutuelle et le soutien du législateur.
Comment voyez-vous l’avenir de l’exercice libéral quand les jeunes sont attirés par le salariat et que s’ouvrent des centres dentaires low cost ?
Nous devons imaginer, avec l’Ordre, des structures qui, tout en restant libérales, retiendraient du salariat la sécurité de l’exercice. Nous devons aussi chercher à rendre plus conciliables la vie privée et la vie professionnelle. Par exemple en essayant de gommer les désavantages pour les libéraux par rapport aux salariés, telle la prise en charge de la maternité et de l’arrêt de travail. Autre piste à explorer : faciliter les remplacements en favorisant par exemple la création d’un pool de confrères parmi lesquels les retraités auraient leur place.
Les jeunes confrères ne sont pas préparés à devenir des chefs d’entreprise. Certains se lancent dans des investissements inconsidérés. Ils ne s’imaginent pas qu’il peut y avoir une progressivité. On pourrait favoriser la mise en place d’un système de transmission junior/senior permettant à un ancien d’accompagner un jeune vers la création de son entreprise dès la phase étudiante. Il lui montrerait l’intérêt du statut libéral qui est le mieux adapté à notre exercice car on a une liberté de choix de traitement et de relation avec les patients. Il ne faut pas rêver, ceux qui travaillent dans les low cost ne l’ont pas.
Cela dit, l’avenir du libéral est au regroupement, pour rompre avec les difficultés liées à l’isolement. On peut imaginer divers types de structures avec une mutualisation des moyens, sans aller jusqu’à un système dans lequel un gérant qui n’est pas de la profession s’occupe de toute la gestion.
Vous le voyez, les chantiers sont énormes, les idées sont là… il manque juste les interlocuteurs prêts à bouger les lignes.
*URPS : Unions régionales des professionnels de santé. UJCD : Union des jeunes chirurgiens-dentistes. FSDL : Fédération des syndicats dentaires libéraux. HPST : Hôpital, patients, santé et territoires. MFP : Mutualité fonction publique.