DE BOUCHE À OREILLE
Nous avons exercé un merveilleux métier. Ces dernières décennies, les progrès techniques ont révolutionné notre exercice, sans cesse plus passionnant. Et d’autant plus épanouissant que nous pouvons soigner toutes les maladies de la bouche et leurs conséquences.
La frustration des autres branches de la médecine, où le praticien peut être contraint d’annoncer à son patient qu’il ne peut rien de plus pour lui, nous est inconnue.
L’amélioration des méthodes...
Nous avons exercé un merveilleux métier. Ces dernières décennies, les progrès techniques ont révolutionné notre exercice, sans cesse plus passionnant. Et d’autant plus épanouissant que nous pouvons soigner toutes les maladies de la bouche et leurs conséquences.
La frustration des autres branches de la médecine, où le praticien peut être contraint d’annoncer à son patient qu’il ne peut rien de plus pour lui, nous est inconnue.
L’amélioration des méthodes d’organisation de notre travail a permis d’atteindre des sommets de qualité de vie, avec du temps libre… et de l’argent pour en profiter. Aucune autre profession ne permet de conjuguer ainsi un salaire de cadre supérieur et des vacances d’enseignant.
Enfin, la liberté qui nous est laissée pour déterminer le montant de nos honoraires permet de disposer de cabinets modernes à la décoration agréable et bien équipés.
Cependant, l’apogée du système est sans doute atteinte et la descente, entamée. En effet, l’amélioration des techniques, des résultats, la liberté de nos honoraires, propulsent le coût des soins vers des niveaux hors de portée de la plupart de nos compatriotes. Désormais, beaucoup sont obligés de rêver de régénération parodontale ou de remplacer leurs dents par des implants. Voire d’une simple couronne en céramique dont le prix, lorsqu’elle est associée à un inlay-core, atteint la valeur d’un mois de SMIC. Cette disproportion finira par exciter les pouvoirs publics, qui, toujours prompts à faire des cadeaux à leurs électeurs sur le dos des riches que nous sommes, limiteront le montant de nos honoraires. Ce qui nous obligera à travailler avec des prothésistes chinois et à pratiquer une dentisterie de bricolage permettant juste de maintenir en fonction les bouches de nos patients.
Finie l’impression jubilatoire d’être capable de vaincre à tous coups, et de manière élégante, la maladie. L’afflux, qui tourne au tsunami dans certaines régions, de patients dans nos cabinets nous obligera à travailler plus, car il est particulièrement difficile de refuser des soins à des patients qui souffrent.
Exit le temps libre, bonjour les heures sup payées moitié prix. Nous en arriverons certainement, comme le dit Paul Miara, à un système dans lequel de grosses structures employant des chirurgiens-dentistes salariés et spécialisés, débiteront des traitements simplifiés avec un objectif de rentabilité, signant la fin de l’exercice libéral. Tandis que des petits cabinets d’élite aux tarifs prohibitifs se développeront là où le nombre de patients aisés sera suffisant.
Parmi les futurs confrères, beaucoup finiront salariés, peu seront élus. Mais il apparaît, lorsque l’on discute avec les jeunes diplômés, que l’exercice libéral ne les attire pas et qu’ils préfèrent la sécurité, la tranquillité et les contraintes du salariat. Cette régression est attristante, inéluctable et va à l’encontre de bien des raisons pour lesquelles beaucoup d’entre nous ont choisi ce métier. Aucun de mes enfants ne fait médecine…