PROTHÈSE FIXÉE
DCD, DSO, ancien assistant Paris Descartes
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78100 Saint-Germain-en-Laye
La prise d’empreinte dite « en mordu » n’a pas bonne presse. Économique, simple et rapide, cette technique réunit trop de défauts pour être prise au sérieux ! Plusieurs études scientifiques ont pourtant démontré sa fiabilité, supérieure, dans la limite de ses indications, à celle des méthodes traditionnelles.
La prise d’empreinte est une étape essentielle en prothèse fixée. En attendant la généralisation des procédés de capture optique, elle exige encore aujourd’hui des matériaux élastiques et des porte-empreintes. Grâce aux élastomères actuels, les procédures se sont considérablement simplifiées. Les principes toutefois n’ont guère évolué depuis des années : on enregistre d’un côté les préparations à l’aide d’un matériau de haute précision, de l’autre les dents antagonistes à l’alginate. Deux porte-empreintes complets, qui englobent chacun la totalité de l’arcade, sont utilisés pour cela. Une fois les modèles coulés, ils sont mis en occluseur par le prothésiste ou bien en articulateur lorsqu’il s’agit de reconstitutions complexes, après enregistrement des paramètres de l’occlusion au moyen d’un arc facial et d’une cire d’articulé.
L’intérêt de la méthode classique se conçoit aisément pour les reconstructions intéressant plusieurs éléments sur toute l’arcade. Mais on peut l’estimer passablement laborieuse pour une ou deux prothèses unitaires seulement sur la même hémiarcade, situation de loin la plus fréquente en omnipratique.
L’empreinte en mordu est obtenue à l’aide d’un unique porte-empreinte sectoriel, garni de matériau sur ses deux faces (haut et bas) permettant d’enregistrer, au cours d’une même opération, à la fois l’hémiarcade concernée par la prothèse, celle qui lui fait face et les rapports d’occlusion entre les deux. On réalise donc, en un seul temps et avec le même matériau, trois opérations qui, autrement, s’effectuent en trois étapes distinctes (fig. 1 et 2).
Cette méthode a de nombreux détracteurs. Leurs arguments sont parfois objectifs, mais pas toujours.
Une empreinte sectorielle ne permet certes pas une restauration orale complète, mais elle convient parfaitement à une ou deux préparations sur la même hémiarcade [1, 2]. Certains la préconisent pour des bridges de trois éléments, d’autres sont plus réservés : l’absence d’enregistrement de l’arcade controlatérale ne permet pas au prothésiste de reproduire une morphologie dentaire optimale [3].
Ce type d’empreinte est adapté aux patients en classe I ou II d’Angle en protection canine avec guidage incisif. Il est donc important d’enregistrer l’hémiarcade entière, au minimum jusqu’à la canine. Les fonctions de groupe donnent des résultats moins fiables [4, 5].
Pour les mêmes raisons que précédemment, l’empreinte des dents antérieures en mordu ne fait pas l’unanimité. Pourvu que l’enregistrement s’étende jusqu’aux prémolaires et que des essayages intermédiaires soient effectués pour contrôler l’occlusion et parfaire la forme des prothèses, les résultats cliniques contredisent souvent ces préceptes rigoristes.
Pour limiter les retouches sur la prothèse une fois que celle-ci est réalisée, les préparations doivent être bordées, à l’arrière comme à l’avant, de dents intactes qui assurent un bon calage occlusal [6] (fig. 3). Bien que l’enregistrement de dents terminales soit possible, le risque d’obtenir une prothèse en surocclusion ou sous-occlusion n’est pas à écarter, surtout lorsque le prothésiste utilise un occluseur en plastique souple. Cette remarque ne s’applique pas aux inlay-cores qui, de toute façon, sont toujours en dessous du plan d’occlusion (fig. 4 et 5).
Deux causes sont possibles pour des relations occlusales faussées : soit le patient dérape sur le matériau à empreinte, trop épais, lorsqu’il serre les mâchoires, soit il ferme de travers parce qu’il n’a pas conscience de la position dans laquelle il doit placer sa mandibule ou que l’intercuspidie maximale est impossible en raison d’une interférence.
Il est donc important de lui expliquer ce qu’on attend de lui. Sa participation active est indispensable. Il faut éventuellement l’entraîner, avec le porte-empreinte vide en bouche, à serrer correctement les mâchoires et vérifier qu’il n’existe pas d’obstacle à l’intercuspidie. À cet égard, le choix du porte-empreinte est crucial : la barre postérieure qui maintient ses branches doit être très mince. Le porte-empreinte sera placé le plus en arrière possible pour que cette barre se situe derrière la tubérosité maxillaire.
Enfin, ceux qui s’inquiéteraient de la fiabilité des empreintes en occlusion peuvent être rassurés : les relations occlusales enregistrées lorsque le patient serre les dents sont plus précises que celles obtenues à partir d’empreintes complètes réalisées la bouche ouverte [7-9]. Car lors de l’ouverture buccale, la mandibule se déforme d’une manière significative et les dents changent légèrement de position à cause de l’élasticité desmodontale [10-13].
Pour s’opposer aux contraintes subies par l’élastomère lors de sa mise en bouche, de sa prise, et de la désinsertion de l’empreinte, les porte-empreintes doivent être le plus rigides possible. Ceux pour l’enregistrement en occlusion sont en métal, carton ou plastique relativement souple. Ils ont donc une propension à se déformer plus importante que les porte-empreintes complets.
Une quantité d’études a cependant démontré que les empreintes complètes ou partielles en mordu présentaient sensiblement le même degré de précision tridimensionnelle, quel que soit le type de porte-empreinte. Les porte-empreintes métalliques seraient légèrement plus fiables que les autres si l’on désire couler plusieurs modèles à partir d’une même empreinte [14-17].
L’adéquation du porte-empreinte aux arcades est un élément capital. Ses bords ne doivent jamais interférer avec les procès alvéolaires pour ne pas s’écarter lors de sa mise en place [18]. Il devra donc être assez large pour éviter toute flexion. Les porte-empreintes en carton garnis de gaze sont inacceptables, à moins d’être installés sur un support métallique réutilisable prévu à cet effet. La couche de gaze ou de fibres qui sépare les deux hémiarcades antagonistes doit être extrêmement fine, souple et lâche pour ne pas se tendre et rapprocher les bords du porte-empreinte lorsque les maxillaires entrent en contact.
Les produits de choix pour les empreintes en mordu sont les silicones par addition ou les polyéthers. Une fois sa prise achevée, le matériau doit être le plus rigide possible pour assurer la fiabilité de l’enregistrement et sa stabilité dimensionnelle [2]. Toutefois, un produit trop épais au moment de l’insertion peut entraîner un dérapage de la mandibule, des tirages et une déformation du porte-empreinte. Les putty malaxés à la main doivent être utilisés avec précaution dans les porte-empreintes en plastique. De nombreux auteurs apprécient les qualités des silicones de viscosité intermédiaire en cartouche pour pistolet automélangeur [3, 19, 20]. Très souples, ils n’opposent aucune résistance à la fermeture buccale mais sont fermes après la prise. Les matériaux pour malaxeur automatique, qu’il s’agisse de putty, heavy ou monophase, présentent majoritairement ce même comportement. Plus économiques que les précédents, ils constituent le complément idéal des porte-empreintes « trois en un » à usage unique [21].
La plupart de ces produits s’utilisent combinés à un élastomère de basse viscosité (light) déposé sur les préparations à la seringue ou au pistolet, selon la technique en un temps (ou double mélange). Un seul auteur cite la wash-technique (ou technique en deux temps) pour ce type d’enregistrement [22]. L’empreinte en deux temps peut sembler plus confortable et donne des résultats souvent flatteurs. Mais elle n’est pas forcément plus précise et réclame beaucoup plus de temps et de manipulations que la précédente. S’agissant d’enregistrer deux préparations contiguës, l’accès aux limites cervicales ainsi que le contrôle de la salive, du saignement gingival, des mouvements des joues et de la langue posent généralement très peu de problèmes.
La prise d’empreintes effraye souvent les patients. La sensation d’étouffement est fréquente. Garder la bouche ouverte en attendant la prise du matériau accroît la salivation. Des nausées peuvent survenir au bout de quelques secondes.
L’empreinte en occlusion fait parfois beaucoup saliver, mais elle est bien plus confortable pour les patients qui restent les dents serrées et la bouche fermée. Très peu de produit à empreinte glisse au niveau du voile du palais. Les nausées sont quasi impossibles, le démoulage est très facile.
La prise d’empreinte conventionnelle exige la présence du praticien durant plusieurs minutes au fauteuil pour maintenir en bouche le porteempreinte. La prise d’empreinte en mordu libère le praticien, qui peut vaquer à d’autres occupations : ranger son matériel, remplir la fiche de prothèse, finir la prothèse provisoire, préparer la suite de l’intervention. Cette organisation rationnelle du travail fait gagner du temps sur plusieurs plans.
La quantité de matériau nécessaire pour une empreinte en occlusion est réduite. Celle de l’élastomère de précision est sensiblement la même pour deux hémiarcades que pour une arcade complète. En revanche, l’alginate et toutes les manipulations afférentes deviennent inutiles : plus de poudre à prélever et à malaxer ni de bol à nettoyer. Il y a beaucoup moins de matériel à sortir sur le plan de travail puis à nettoyer et à ranger ensuite.
Pour les raisons évoquées plus haut, la prise d’empreinte en mordu est beaucoup plus hygiénique que la méthode classique. Si, en plus, on utilise un porte-empreinte à usage unique et un malaxeur automatique de matériau à empreinte, les opérations de nettoyage et de maintenance sont réduites à leur plus simple expression.
Lorsqu’une couronne support de crochet ou de taquet occlusal doit être réalisée sous une prothèse amovible préexistante, l’empreinte en mordu est une solution très pratique [23]. L’appareil est souvent instable lorsqu’une dent pilier a été préparée. Il peut se déplacer ou basculer dans le matériau à empreinte quand on utilise un porte-empreinte complet. Au contraire, lorsque l’enregistrement est effectué sous pression occlusale, c’est le patient lui-même qui assure la fixité de la prothèse durant toute la phase de prise. Sa position est parfaitement contrôlée, les résultats sont totalement prévisibles (fig. 6 et 7).
Le porte-empreinte doit englober suffisamment de dents pour un enregistrement fiable. Il doit être assez rigide et large pour ne pas se déformer. De nouveaux dispositifs à usage unique autorisent les empreintes des secteurs antérieurs ou de l’hémiarcade entière (fig. 8).
Le matériau de haute viscosité est rapidement introduit dans le porte-empreinte, sur ses deux faces sans excès (fig. 9).
Le silicone fluide est déposé à la seringue sur les préparations et les dents voisines (fig. 10).
Le porte-empreinte est placé en bouche. Il doit être introduit en face des arcades pour éviter que ses bords ne touchent les procès alvéolaires et le plus loin possible en arrière, afin que la barre postérieure n’interfère pas avec les dernières dents (fig. 11).
Le patient serre les mâchoires rapidement sur le matériau à empreinte. Contrôler qu’il ne dérape pas en observant les dents controlatérales. Si l’intercuspidie n’est pas obtenue d’emblée, lui faire déplacer la mandibule, sans ouvrir la bouche, jusqu’à atteindre l’engrènement souhaité (fig. 12 et 13).
Une fois la prise achevée – minuteur fortement conseillé – l’empreinte peut être désinsérée. Pour éviter une déformation intempestive du matériau, il faut retenir le porte-empreinte d’une main en le poussant vers l’hémiarcade où se trouvent les préparations puis inviter le patient à ouvrir la bouche pour démouler d’abord le côté opposé. Enfin, on retire l’autre partie dans l’axe des préparations en exerçant une traction sur le bord externe du porte-empreinte ou le matériau d’enregistrement lui-même (fig. 14 et 15).
On l’aura compris, l’empreinte en mordu offre tant d’avantages qu’il serait vraiment absurde de s’en priver. Sa fiabilité n’est plus à mettre en doute, pourvu que l’on respecte un protocole rigoureux dans les limites de ses indications. C’est une technique simple, rapide, confortable aussi bien pour le praticien que pour le patient. Elle est plus économique que n’importe quelle autre en raison du volume réduit de produits consommés. Et si l’on utilise des élastomères pour malaxeur automatique et des porte-empreinte à usage unique, l’hygiène est assurée d’une manière optimale.
→ Nous remercions les sociétés GACD et Promodentaire pour la mise à disposition du matériel et des produits nécessaires à l’élaboration de cet article, ainsi que le Dr Guy Marzouk pour son amicale participation.