Convaincue de la nécessité d’aider la population à prendre soin de sa santé bucco-dentaire, une ONG 100 % népalaise agit dans les campagnes. Nous l’avons rencontrée sur place.
Une ville de 20 000 habitants s’étire entre la rivière Seti descendue tout droit de l’Himalaya et la route nationale reliant Katmandou à Pokhara : c’est Damauli, dans le district de Tanahu, au centre du Népal. Accrochée à la rive, au-dessus des méandres bleu-vert de la rivière, l’école publique Shree Sukla Secondary School accueille pour quelques jours l’ONG Volunteering Organization for Rural Development1 (VORD). « Nous sommes venus sensibiliser les écoliers à l’hygiène, et notamment à l’hygiène dentaire », explique Sandip Khanal, l’un des jeunes créateurs de cette ONG qui fonctionne avec 9 permanents et quelques dizaines de vacataires népalais.
Dix heures du matin dans la salle de classe réservée aux écoliers âgés de 5 à 7 ans.
Ici, ni tables ni chaises. Juste une moquette et quelques coussins posés sur le sol. C’est la fin de l’hiver et, en l’absence de chauffage et de vitres aux fenêtres, il ne fait pas plus chaud dans la pièce qu’à l’extérieur. Les 7 enfants réunis reniflent tous allègrement mais montrent une extrême attention à ce qui se passe dans leur classe. Sandip Khanal, assisté d’une volontaire française et de l’institutrice, demande aux enfants de venir un par un se présenter. S’ensuivent quelques questions relatives à l’hygiène : y a-t-il une brosse à dents à la maison ? Combien sont-ils à s’en servir ? Se lavent-ils tous les jours ?… Impressionnés, tous ouvrent la bouche et tendent leurs ongles noircis sans même qu’on le leur demande.
N’est-il pas délicat d’exiger d’enfants qui n’ont pas l’eau courante chez eux qu’ils se lavent les dents ? « Ce n’est pas dans la culture népalaise de prendre soin de ses dents ni de se soucier de l’hygiène d’une façon générale. La plupart des parents n’apprennent pas à leurs enfants à se brosser les dents parce qu’eux-mêmes ne le font pas. C’est pour cela que nous avons décidé d’intervenir dans ce domaine », déclare Sandip Khanal. « Les enfants sont l’avenir du Népal et leur apprendre cela maintenant aura un effet durable. »
Même si des campagnes nationales de sensibilisation et de prévention ont été officiellement annoncées, les Népalais n’en ont encore jamais vu la couleur. « À cause du manque de fonds mais aussi de la corruption », constate le responsable de l’ONG. Très concrètement, à Damauli comme partout ailleurs au Népal, il ne faut pas négliger l’obstacle économique. Car pour une famille, acheter une brosse à dents et un tube de dentifrice (100 roupies pour l’ensemble, soit environ 1 euro), quand le revenu moyen est à peine supérieur à 200 roupies par jour (80 euros par mois), n’est pas une priorité. « Pour motiver les jeunes écoliers au brossage quotidien, nous les récompensons en leur offrant des échantillons de parfum, des barrettes pour les cheveux ou des petites voitures ! » ajoute Sandip Khanal.
Le dernier recensement de la Fédération dentaire internationale fait état de 383 chirurgiens-dentistes en exercice au Népal en 2007. Il est probable qu’ils soient plus nombreux aujourd’hui, sans atteindre le millier, établis à 70 % à Katmandou. Sont-ils tous diplômés ? Cela n’est pas certain. Ce qui est avéré en revanche, c’est que nombre d’entre eux se sont formés en Europe ou en Amérique du Nord et sont ensuite revenus au pays pour y jouir d’un train de vie plus confortable. Pour autant, les cliniques s’apparentant au modèle occidental ne sont pas plus de 3 ou 4 dans tout le pays.
« Seuls 2 à 3 % des Népalais vont chez le dentiste durant leur vie », annonce Sandip Khanal. Un constat qui se trouve encore aggravé par le fait que les praticiens formés dans les universités népalaises sont terriblement freinés par le manque d’équipements et de moyens.
À Damauli, Bharat Pokhrel, ancien étudiant de l’université de Katmandou, a installé son cabinet il y a maintenant 8 ans. Sans associé ni assistant, il exerce seul et travaille tous les jours. Il nous reçoit d’abord dans son minuscule bureau d’accueil, dont la porte toujours ouverte donne directement sur la route nationale, noyée dans la poussière soulevée par l’intense trafic routier. Au-dessus de lui, une mosaïque de sous-verres encadrant ses diplômes et quelques étagères maigrement fournies en produits consommables donnent le ton. Bharat Pokhrel est aussi fier de sa place de chirurgien-dentiste dans la ville que conscient des carences dont souffre sa pratique quotidienne. « Je travaille sans gants et manque toujours d’antiseptiques, de calmants et de produits anesthésiants », nous confie-t-il. Quand arrive la question de l’équipement dont il dispose pour exercer, il nous entraîne dans la ruelle qui longe le bâtiment pour nous faire entrer dans une pièce aveugle à peine plus grande que son bureau. Un fauteuil occupe quasiment tout l’espace, complété par un appareil de radiologie et deux petits meubles où le praticien range ses instruments. Impossible de savoir si la radio est en état de marche, d’autant que les coupures d’électricité sont monnaie courante au Népal, mais lorsqu’on demande à Bharat Pokhrel ce qui lui manque le plus, il répond sans hésiter qu’il a besoin d’une caméra intraorale ! Quant aux patients, ils ne se bousculent pas en cet après-midi de février. Car ici, on ne vient chez le chirurgien-dentiste qu’en dernier recours, quand la douleur est trop forte et qu’on peut réunir la somme suffisante (200 roupies pour une extraction). « Je traite surtout des caries, je réalise des extractions et des incisions d’abcès, plus quelques détartrages », précise Bharat Pokhrel. De quoi remplir son agenda avec une moyenne de 5 à 7 rendez-vous par jour.
Les Népalais se trouvent confrontés à plusieurs difficultés. D’abord, le niveau de vie de l’écrasante majorité de la population ne lui permet pas d’accéder aux soins. Ensuite, la géographie exceptionnellement accidentée du pays et le faible développement des infrastructures en dehors de Katmandou font que de nombreuses régions restent enclavées et sous-équipées. Enfin, dernier écueil et pas le moindre, « le pays manque cruellement de professionnels de santé qualifiés, surtout dans les zones rurales et de montagne », constate Sandip Khanal. Autant de raisons qui poussent cette ONG et ses volontaires venus des quatre coins du monde à œuvrer auprès de la population vivant dans les campagnes, en menant des actions de sensibilisation à l’hygiène dentaire dans les écoles mais aussi en employant leurs compétences médicales dans les dispensaires et centres de soins. En mai, l’ONG prévoyait notamment de bâtir une petite clinique dans le village de Bakhre et d’y installer un médecin permanent, avec une gratuité totale des soins.
VORD essaye par tous les moyens – notamment la promotion via Internet – d’attirer au Népal des volontaires étrangers compétents, qu’ils soient chirurgiens-dentistes diplômés ou étudiants. Et même si la santé bucco-dentaire de la population népalaise vivant dans les zones rurales ne s’améliorera sans doute que très lentement, il convient de saluer sans réserve les efforts déployés par cette ONG en faveur de ses compatriotes.