ENDO… AUTREMENT
Julie ROZE* David GUEX** Stéphane SIMON***
*Master recherche, étudiante diplôme universitaire européen d’endodontologie (Paris Diderot)
**Chirurgien-dentiste exercice limité à l’endodontie – Bron (69)
***MCU-PH en sciences biologiques et endodontie
Responsable du diplôme universitaire européen d’endodontie (Paris Diderot)
Centre de recherche des Cordeliers UMRS 872 – Equipe 5 15-20 rue de l’école de médecine – 75006 Paris
Il y a quelques semaines, nous décrivions dans cette rubrique l’utilisation de trois systèmes de préparation endodontique [1] ne comprenant qu’un seul instrument. Parmi les trois présentés, le Self Adjusting File (SAF®) permet d’appréhender le nettoyage du canal de façon complètement différente, en sortant des principes fondés sur la conicité. Il nous a semblé pertinent de revenir sur cet instrument particulièrement innovant.
La lime Self Adjusting File® (SAF) n’a rien à voir avec les instruments conventionnels de préparation canalaire. Il ne s’agit pas d’une lime à proprement parler, elle ne présente aucune conicité et encore moins de lames de coupe. Audelà de sa souplesse, la lime se déforme dans le sens de son épaisseur pour venir s’adapter parfaitement à l’anatomie canalaire, notamment non circulaire. Ainsi, cet instrument n’applique plus sa forme à la préparation canalaire, comme c’est le cas avec toutes les autres limes, mais c’est lui qui s’adapte à l’anatomie.
La seconde grande innovation du concept est l’association d’une irrigation continue et interne à l’instrument. Associée à une pompe (Vatea, Roydent) qui délivre la solution d’irrigation en continu avec un débit préréglé, la préparation canalaire est dorénavant associée à une irrigation continue par le passage de la solution à l’intérieur de l’instrument creux. Comme toute innovation, de nouveaux automatismes sont à acquérir. Dans le cas du SAF, les changements d’habitu des sont d’autant plus importants que le concept de nettoyage est radicalement différent. Dans les concepts dictés par Shilder [2], le nettoyage du canal est fondé sur une mise en forme conique régulière de celui-ci obtenue par une préparation instrumentale. L’instrumentation manuelle a progressivement été remplacée par une instrumentation mécanisée et rotative en nickel-titane. Les concepts les plus récents permettent d’obtenir une mise en forme adéquate avec un seul instrument. Quel que soit le système utilisé, la forme du canal obte nue est imposée par la géométrie de l’instrument. Ce dernier ayant une section circulaire, sa rigidité est telle qu’elle impose au canal sa forme, même si l’anatomie initiale de celui-ci est différente. Lorsque le canal est aplati dans le sens transversal, la forme de préparation est donc inadaptée, conduisant ainsi à une élimination non justifiée de dentine et à la persistance de zones de canal non préparées. Le canal ainsi mis en forme se comporte comme un véritable couloir d’irrigation qui va pouvoir être exploité pour opti miser la désinfection dans ses zones inaccessibles aux instruments. Néanmoins, la littérature montre clairement qu’il est finalement très difficile d’obtenir une désinfection parfaite du volume canalaire, notamment à cause de la propulsion de débris dans les recoins de l’anatomie. Cette même littérature montre également que si la stérilisation du canal est impossible, elle n’empêche pas d’atteindre les objectifs biologiques, notam ment grâce au rôle de l’obturation qui, en emprisonnant les bactéries restantes, limite leur virulence.
Le deuxième rôle de cette conicité est justement associé à l’obturation canalaire. La condensation verticale à chaud de gutta-percha est considérée comme la référence de choix pour obturer un système endodontique en trois dimensions. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Shilder a publié dans un premier temps le manuscrit concernant l’obturation (1967) (voir Schilder 2006 [3]) et, uniquement 7 ans plus tard, celui sur la mise en forme. De nombreux auteurs lui ont d’ailleurs souvent reproché le fait que, dans le concept global, la mise en forme était plus un moyen technique pour rendre possible l’obturation qu’un réel moyen biologique de désinfection.
La mise au point de l’instrument SAF® repose principalement sur le fait que l’instrumentation à section circulaire est finalement peu adaptée au traitement des canaux dont la section est très fréquemment ovale, aplatie voire en forme de C. Dans le cas de canaux fins et circulaires (tels que ceux des racines mésio-vestibulaires et disto-vestibulaires des molaires maxillaires, ou des racines mésiales des molaires mandibulaires), l’instrumentation rotative est tout à fait adaptée car la taille du canal est telle que c’est l’instrument qui va imposer sa forme. Certains reprocheront l’effet de mutilation et d’élimination inutile de dentine mais, en termes de désinfection et nettoyage, l’objectif est atteint.
Le problème est complètement différent dans le cas de canaux plus larges et non circulaires. La mise en forme n’est finalement que partielle et la partie non instrumentée du canal ne peut être nettoyée que par l’irrigation. Néanmoins, la propulsion de débris et de copeaux dentinaires repoussés dans les recessus anatomiques lors de la phase de préparation interdit bien souvent la pénétration de la solution dans ces recoins et, par conséquent, limite la désinfection.
La lecture attentive de coupes densitométriques d’arcades dentaires, maxillaires et mandibulaires, suffit pour se persuader que ces sections canalaires non circulaires représentent finalement la très large majorité des cas, notamment les dents du secteur incisivo-canin, les prémolaires mandibulaires, les raci nes distales des molaires mandibulaires et palatines des molaires maxillaires.
C’est dans ce cadre que le Dr Zvi Metzger a mis au point son instrument, le Self Adjusting File®, fondé sur un concept de nettoyage radicalement différent [4-6]. L’effet abrasif de l’instrument, qui remplace l’effet de coupe des limes conventionnelles, est utilisé pour nettoyer les parois radiculaires. Les débris sont mis en suspension puis éliminés grâce à l’irrigation interne continue distribuée au centre de l’instrument. Cet instrument circulaire en nickel-titane est à la fois souple mais également compressible. D’une section circulaire, il s’aplatit sous l’effet compressif des parois radiculaires pour s’adapter à l’anatomie. L’instrument ne transfère plus sa géométrie au canal préparé mais il s’adapte à son tour à la forme de contour du canal (fig. 1).
Ce concept très novateur mérite vraiment que l’on s’y intéresse.
Comme toute nouveauté, il convient de comprendre le fonctionnement d’un instrument afin d’optimiser son utilisation. Pour être efficace, l’instrument doit rentrer simultanément en contact avec toutes les parois du canal. Nos habitudes professionnelles nous incitent instinctivement à vouloir l’utiliser en appui pariétal afin de concerner toutes les parois, ce qui, dans le cas présent, n’est pas nécessaire. Grâce à sa section et à sa conception, il est fait pour s’écraser dans le canal. C’est grâce à cet écrasement qu’il va pouvoir rentrer simultanément en contact avec toutes les parois canalaires et les nettoyer par effet d’abrasion. Le SAF® est utilisé avec un contre-angle spécifique dont la tête transforme le mouvement rota tif en un mouvement vertical de faible amplitude, associé à un léger mouvement de rotation qui permet d’appliquer à la lime un mouvement de quart de tour à chaque fois qu’elle est ressortie du canal.
L’instrument est utilisé avec un mouvement de pompage de faible amplitude. Il est régulièrement sorti du canal afin de le libérer de ses contraintes et de permettre à la lime d’effectuer un quart de tour avant de la réintroduire.
Le SAF® élimine une couche de dentine par abrasion grâce à la surface rugueuse de l’instrument. Comme lorsque l’on ponce avec une feuille en papier de verre, il n’est pas nécessaire d’appliquer une forte pression sur les parois pour obtenir cet effet de nettoyage mais simplement un effet vertical de va-et-vient. La surface du SAF® est recouverte d’une surface abrasive formée de particules de 3 m sur toute sa hauteur.
Sous l’effet vibratoire de l’instrument, une épaisseur régulière de dentine est éliminée. Une fois le canal préparé, les parois dentinaires sont totalement lisses. Pour optimiser cet effet, et permettre à l’instrument d’entrer en contact avec toutes les parois canalaires, celui-ci doit en permanence être sous pression et ne pas flotter dans le canal. Ainsi, en fonction de la taille de ce dernier, on choisira l’instrument adapté parmi les deux proposés par le système (1,5 et 2 mm de diamètre, en deux longueurs : 21 et 25 mm).
Sous l’effet compressif des parois, l’instrument se déforme de façon à s’adapter à l’anatomie endodontique dans les trois dimensions de l’espace. Lorsque l’instrument est aplati sous l’effet de la contrainte dans un canal aplati, son épaisseur est de 0,22 mm dans un sens et de 2,4 mm dans l’autre pour l’instrument de 1,50 mm de diamètre, et de 0,31 mm dans un sens et 3,15 mm dans l’autre pour l’instrument de 2 mm de diamètre.
Cliniquement, l’instrument de 1,5 mm de diamètre sera utilisé dans les canaux fins, préalablement ouverts avec une lime manuelle de 20/100e. Celui de 2 mm est destiné aux canaux plus larges et néces sitera une ouverture préalable du canal avec un instrument de 30/100e.
Le SAF® préserve ainsi la forme originelle du canal et le nettoie sans le déformer et uniquement par élimination d’une faible épaisseur régulière de dentine sur toutes les parois. Grâce à cette propriété, la préparation se fait de façon homothétique et transforme un canal circulaire en un canal circulaire et un canal aplati en un canal aplati (fig. 2 à 5).
Outre le design particulier de l’instrument, la seconde originalité du système est l’irrigation continue. Tout au long de la préparation, l’instrument est associé à une pompe péristaltique qui délivre une solution d’irrigation en permanence. Cette solution pénètre dans le canal via la lumière de l’instrument (fig. 6).
L’association de l’irrigation continue présente un double avantage. Elle permet :
• la mise en suspension et l’élimination continue des débris canalaires, limitant ainsi considérablement les risques de compactage dans les zones non instrumentées [7] ;
• l’optimisation de la désinfection du canal. Une étude récente a mis en évidence une nette amélioration de la qualité de la désinfection avec l’utilisation du SAF® par rapport à celle obtenue avec les instruments rotatifs en association avec un protocole d’irrigation optimisé [8].
Le protocole d’utilisation diffère considérablement de celui utilisé avec les instruments rotatifs. L’objectif recherché n’est pas l’élargissement du canal mais uniquement son nettoyage. Dans le cas présent, la conicité du couloir d’irrigation n’est pas recherchée. La préparation se fait a minima (fig. 7 à 12) :
• le prérequis pour l’utilisation d’une lime SAF® est d’obtenir un préélargissement suffisant du canal afin de pouvoir y insérer une lime de diamètre approprié, à savoir une lime de 20/100e pour l’utilisation d’un instrument de 1,5 mm de diamètre ou de 30/100e pour l’instrument de 2 mm de diamètre. Cette préouverture peut être faite avec des instruments manuels uniquement, ou avec des instruments de préélargissement spécifiques tels que les PathFiles® (Dentsply Maillefer) qui permettent d’élargir suffisamment un canal, même des plus fins, pour recevoir et utiliser le SAF® ;
• l’instrument est inséré dans le canal sur toute sa longueur, à l’arrêt ;
• l’irrigation est mise en marche avec un flux continu de 4 ml/min (réglable sur la pompe) ;
• l’instrument est mis en action et animé d’un petit mouvement de pompage vertical, en prenant soin de bien préserver la longueur de travail ;
• il est régulièrement sorti du canal afin de vérifier qu’il y reste libre. En le sortant, on remarquera que le contre-angle lui impose une rotation d’un quart de tour, puis on le réinsère dans le canal en préparation ;
• la procédure est maintenue pendant 2 minutes ;
• le canal est alors vidé de son contenu, puis rincé à nouveau avec une solution d’EDTA de sodium laissée en place pendant 2 minutes ;
• l’EDTA est éliminé du canal avant que celui-ci ne soit à nouveau nettoyé pendant 2 minutes avec de l’hypochlorite de sodium ;
• enfin, le canal peut être séché puis obturé.
La conception est particulièrement originale et le système est très probablement représentatif de l’évolution de l’instrumentation à venir dans le domaine de l’endodontie.
Son utilisation nécessite néanmoins une révision de l’approche thérapeutique, car la préparation a minima affranchit de la recherche d’une conicité régulière de la préparation canalaire. Cette conicité était nécessaire à la désinfection et notamment au renouvellement de la solution, elle est également indispensable pour les procédures d’obturation en gutta chaude.
En minimisant la préparation, les techniques d’obturation faisant appel à la compaction de gutta chaude sont difficilement applicables, comme la majorité des autres techniques d’ailleurs. Or l’obturation participe activement au succès du traitement, dans la mesure où elle permet de pérenniser le nettoyage du canal à long terme. L’utilisation de Thermafil® (Dentsply Maillefer) de petite taille (20/100e par exemple) semble être une solution de remplacement valable pour obturer un canal préparé dans ces conditions.
Si le concept de nettoyage/mise en forme est vraiment séduisant, il ne faut pas oublier que l’étape de l’obturation doit également être revue et adaptée à cette nouvelle situation clinique. La mise au point de nouveaux matériaux, notamment à base de biocéramique, semble aller dans le sens d’une nouvelle ère de l’obturation.
En attendant, il convient d’utiliser le SAF® dans des situations cliniques adaptées (canaux en C, large ou aplatis) pour lesquels il constitue une véritable solution et apporte une vraie réponse au problème de désinfection des systèmes endodontiques présentant une anatomie atypique.
Il est fort probable que la qualité de la désinfection obtenue avec le SAF® soit bien meilleure que celle obtenue par préparation avec des instruments rotatifs. Cela est particulièrement vrai dans le cas des canaux à section non circulaire, c’est-à-dire aplatis ou ovales : le SAF® prend alors tout son intérêt car les sections circulaires sont finalement peu courantes.
Les difficultés posées pour l’obturation restent à résoudre. Comme tout instrument, le SAF® n’est finalement pas universel et peut être indiqué dans certains cas, alors que la rotation continue conserve ses indications. Sur une molaire mandibulaire par exemple, le SAF® sera indiqué pour le nettoyage du canal distal qui est généralement aplati, alors que la rotation sera plus adaptée aux canaux mésiaux, à leurs sections circulaires et à leurs diamètres.
1 Le Système Self Adjusting File® :
• a. est un nouveau système de préparation canalaire utilisant des instruments en acier souple
• b. associe nettoyage et irrigation
• c. permet de s’affranchir de l’irrigation au cours de la préparation endodontique
• d. nécessite un contre-angle spécifique et une pompe d’irrigation complémentaire.
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