CARIOLOGIE
Chirurgien-dentiste conseil
RSI Île-de-France Centre 139, rue de Saussure 75017 Paris
Les pâtissiers travaillant le sucre sont en contact permanent avec les poussières de sucre, dans des lieux de travail parfois mal ventilés. Ces vapeurs alliées à certains gestes professionnels entraînent un risque important de carie caractéristique, dite carie du pâtissier. On constate en outre que c’est une profession qui consomme globalement plus d’actes dentaires que les autres professions indépendantes, montrant ainsi la prévalence des problèmes dentaires. Il existe toutefois une partie de cette profession qui n’a que peu recours aux soins. Afin de sensibiliser les chefs d’entreprise boulangers-pâtissiers de Paris et de la Seine-Saint-Denis qui n’avaient pas eu de remboursement d’actes dentaires depuis 3 ans, le Régime social des indépendants (RSI) d’Île-de-France les a invités, en 2009, à un examen de dépistage avec entretien personnalisé : en effet, certaines mesures de prévention au niveau du poste de travail et des règles d’hygiène bucco-dentaire peuvent permettre de diminuer ce risque.
La France compte environ 34 000 artisans boulangers-pâtissiers et 100 000 salariés dans cette branche.
Selon des études menées par le régime des professions indépendantes (RSI), les boulangers-pâtissiers de 35 ans ont plus de dents absentes, cariées ou obturées que les artisans commerçants du même âge [1]. Le taux d’incidence de la carie est de 2 à 3 fois plus élevé chez les apprentis pâtissiers que dans les autres professions indépendantes [2].
Le sucre, présent dans tous les laboratoires de pâtisserie, joue un rôle primordial dans la fabrication des préparations. Les pâtissiers sont exposés en permanence aux différents hydrates de carbone : saccharose (sucre cristallisé, sucre semoule, sucre glace), glucose, fructose, notamment sous forme de particules sucrées en suspension dans l’air.
Ces différents types de sucres représentent des facteurs cariogènes qui sont alliés à des gestes professionnels à risque : la cuisson du sucre, le tamisage du sucre glace dans un environnement rempli de sucre volatil en suspension ainsi que le fait de goûter en permanence les préparations sucrées [3].
À ces facteurs de risque professionnels spécifiques s’ajoutent bien évidemment les facteurs de risque individuels habituels comme la prédisposition familiale, l’absence de brossage régulier pendant la journée de travail, l’absence de suivi dentaire et une alimentation déstructurée du type grignotage [4] liée au rythme de travail [5].
On sait que les risques modifiables permettant de limiter le développement de la carie dentaire sont l’hygiène bucco-dentaire et le brossage régulier et répété des dents pendant la journée de travail ainsi qu’une visite chez le chirurgien-dentiste 1 ou 2 fois par an.
À cela s’ajoute le contrôle de la ventilation sur le lieu de travail afin de réduire la suspension du sucre dans l’air, le port du masque lors des gestes professionnels à risque et un accès à un point d’eau facile pour le brossage répété des dents.
L’installation d’une aspiration et le port du masque sont déjà fortement recommandés dans les fournils et laboratoires de pâtisserie. En effet, les poussières de farine peuvent engendrer des manifestations allergiques graves et invalidantes dans cette profession et de nombreuses campagnes de sensibilisation ont été menées [6].
Peu de données épidémiologiques existent sur cette affection dans la littérature scientifique et dans le domaine de la santé du travail. Cette pathologie est pourtant enseignée aux étudiants en chirurgie dentaire et les professionnels de la santé y sont en principe sensibilisés.
Cliniquement, c’est une carie de couleur noire ou jaune, serpigineuse, qui laisse la dent généralement indolore au début, ce qui n’incite pas à consulter [7] (fig. 1). Elle est d’évolution rapide et touche préférentiellement les dents antérieures. Cette affection est reconnue comme maladie professionnelle dans certains pays d’Europe du Nord.
L’objectif est double : l’objectif général est de diminuer l’incidence de la carie dentaire et d’augmenter la proportion de caries traitées chez les boulangers-pâtissiers qui n’ont pas consulté un professionnel de santé depuis 3 ans par l’examen de dépistage et de les amener à reprendre une habitude de soins et de prévention.
L’objectif spécifique est de faire connaître le risque aux chefs d’entreprise professionnels du sucre et de leur faire adopter des comportements de prévention tant au niveau du poste de travail qu’à celui des règles d’hygiène bucco-dentaire.
À partir de ces constats (profession à risque et surconsommation d’actes dentaires), il nous a semblé pertinent de proposer un examen de dépistage aux pâtissiers qui n’avaient pas eu recours à des actes dentaires depuis 3 ans. Cet examen, effectué par le chirurgien-dentiste conseil, permet d’informer le chef d’entreprise des problèmes dentaires et des problèmes liés au poste de travail et de répondre à ses questions. Il faut savoir que la médecine du travail s’adresse aux salariés uniquement et que les artisans non salariés ne bénéficient donc pas d’une surveillance buccale, dans un contexte d’absence de médecine professionnelle.
Préalablement à l’envoi des invitations, nous avons fait paraître des encarts dans deux revues professionnelles (La boulangerie française, octobre 2008, et Les nouvelles de la boulangerie-pâtisserie, septembre 2008), en accord avec la chambre des métiers, afin d’informer de la mise en place de cet examen.
Une lettre d’invitation a été envoyée à chaque assuré concerné, avec une enveloppe préaffranchie pour la réponse. Afin de lui permettre de s’organiser, un numéro de téléphone lui a été demandé avec les jours souhaités de rendez-vous. Pour les assurés ayant répondu favorablement en renvoyant le coupon-réponse, un rendez-vous a été fixé à leur convenance, en fonction de leurs jours de travail.
Lors de l’examen clinique, le chirurgien-dentiste conseil a rempli le schéma dentaire, a informé des problèmes constatés et a répondu aux questions (possibilité de prise en charge éventuelle des soins, remise d’une plaquette avec les différents thèmes abordés…).
Cet examen a été complété par un questionnaire élaboré à partir d’indicateurs bucco-dentaires [8] portant notamment sur les motifs de non-recours aux soins dentaires.
Des informations et des conseils personnalisés ont été délivrés à chaque assuré et une plaquette d’information portant sur les règles d’hygiène bucco-dentaire et sur des mesures de prévention simples au niveau du poste de travail lui a été remise.
Pour les départements de Paris (75) et de la Seine-Saint-Denis (93), pendant la période considérée de 3 ans, 1 609 boulangers pâtissiers ont eu des actes dentaires remboursés et 154 (soit environ 1 sur 10) n’ont fait l’objet d’aucun remboursement. Sur ces 154 « non-consommateurs », nous trouvons 123 hommes pour 31 femmes, âgés de 24 à 70 ans (fig. 2).
Nous avons souhaité savoir si les femmes se soignent plus que les hommes mais le calcul de l’Odds Ratio (OR), ne permet pas de discriminer ces deux groupes (OR = 1,2) (fig. 3).
Sur les 154 non-consommateurs, seuls 31 ont pris contact avec le RSI après l’envoi de la lettre (fig. 4). Neuf assurés ont téléphoné car ils ne souhaitaient pas donner suite ; l’un des motifs avancé était le suivant : « Je me fais soigner régulièrement, je n’ai pas le temps… ».
Sur les 22 réponses favorables pour un rendez-vous, en tenant compte de façon individuelle de chaque emploi du temps, 10 personnes ont fini par ne pas donner suite avec comme principal motif invoqué : « Je ne suis pas disponible pour l’instant. »
Suite à leur accord après contact téléphonique, 12 invitations ont finalement été envoyées (soit 7 %) et 4 personnes ne se sont finalement pas présentées.
Nous avons suivi les dossiers des 8 personnes (5 % des non-consommateurs) qui se sont présentées à l’examen mais, malgré cette offre de prévention ciblée, directe, personnalisée, ces 5 % de non-consommateurs n’ont finalement pas changé leurs habitudes (pas de trace de remboursement de soin dentaire 6 mois plus tard).
Selon la littérature scientifique [9], dans les campagnes de prévention, les individus peuvent être classés en 4 groupes :
→ dans la première, les individus ne sont pas disposés à changer leurs habitudes (ce sont ceux qui ne se sont pas déplacés) ;
→ dans la deuxième, les individus ne sont pas prêts pour le changement mais y songent (ce sont les participants qui se sont déplacés mais qui, malgré leur compliance lors de l’examen, ne sont pas allés au bout de la démarche) ;
→ dans la troisième, les sujets sont motivés et prêts à aller consulter ;
→ dans la quatrième, les sujets sont déjà actifs et consultent régulièrement.
Les actions de prévention sont peu ou pas actives sur les groupes 1 et 2 et le faible taux de participation des 154 « non-consommateurs depuis 3 ans » est certes décevant mais sans réelle surprise.
Nous avions choisi de proposer un examen réalisé par le chirurgien-dentiste conseil afin de délivrer, en plus, une offre de services à l’assuré : conseils au niveau du poste de travail, conseils d’hygiène bucco-dentaire, réponses aux questions concernant le taux de prise en charge des soins et des prothèses… Cet échange peut inciter à mettre en place une éducation thérapeutique à destination des assurés eux-mêmes, de leur conjoint, de leurs enfants et de leur personnel, ainsi que leur permettre de prendre conscience de la notion de protection de leur capital dentaire. Nous avions réfléchi à la possibilité de proposer un bilan bucco-dentaire réalisé en cabinet et pris en charge par l’Assurance maladie. Aurions-nous eu un taux de participation supérieur ? Au vu de différentes actions de proposition de bilans gratuits, on note pour une population non exclusivement « non consommatrice » et, de ce fait, plus facile à motiver car tous les groupes sont représentés, un taux de participation finalement assez faible (en général de l’ordre de 10 %).
On constate ainsi combien il est difficile d’attirer l’attention et de motiver et combien aussi il est nécessaire d’informer et de sensibiliser. Devant le constat du faible taux de participation (malgré le fort risque individuel de carie de nature professionnelle, le recours au dépistage gratuit est un échec en termes de rapport coût/bénéfice) ; en revanche la forme individuelle de la rencontre est positive.
Nous n’avons retenu pour cet article que les indicateurs relatifs à la santé bucco-dentaire :
• état bucco-dentaire et parodontal. Les indicateurs (indice CAO et nombre de dents absentes non remplacées) montrent un mauvais état dentaire (la médiane du CAO est à 7,5 et le 4e quartile est à 21). Tous les participants ont besoin de soins urgents (à savoir traitements de caries et extractions). Trois sujets ont respectivement 6, 8 et 15 dents absentes non remplacées par une prothèse. Tous présentent une inflammation gingivale, une récession gingivale et ont besoin de soins parodontaux ;
• perception de la santé orale. Un participant sur 4 estime ne pas être en bonne santé générale alors que 3 sur 4 estiment ne pas être en bonne santé dentaire ; 2 sur 3 déclarent avoir des difficultés pour mordre et mastiquer ;
• fréquence du brossage des dents. Quarante pour cent des individus se lavent les dents 1 fois par jour et 40 % déclarent le faire 2 fois par jour. Ces données déclaratives sont très inférieures à celles constatées pour la population salariée [10, 11] ;
• prises quotidiennes d’aliments et de boissons. L’alimentation est déstructurée à cause des horaires et ce phénomène est accentué par le fait de goûter fréquemment les préparations (entre 5 et 10 prises quotidiennes d’aliments et de boissons). Les participants déclarent tous avoir une appétence au sucre ;
• renoncement aux soins. La principale raison évoquée pour n’avoir pas consulté un professionnel de santé depuis 3 ans est le manque de temps. Trois individus sur 4 déclarent avoir renoncé à des actes de prothèses en raison d’une prise en charge absente ou insuffisante et d’un coût trop élevé, le problème du manque de temps étant systématiquement évoqué. On constate que 1 individu sur 2 a une mutuelle et que 3 sur 4 se déclarent informés de la nécessité d’un suivi régulier de leur état bucco-dentaire. Le rythme de travail peut expliquer la difficulté à aller consulter un professionnel de santé et le fait que la carie caractéristique du pâtissier soit généralement indolore au début n’incite pas à consulter rapidement. Néanmoins, les sujets ont un manque d’implication (2 d’entre eux se déclarent non motivés) et évoquent le manque de temps pour aller consulter (4 sujets sur 8). La nécessité de visites régulières chez le chirurgien-dentiste ne semble pas prioritaire bien que 3 sujets sur 4 se déclarent en mauvaise santé dentaire. Les arguments qu’ils évoquent pour ne pas consulter (manque de temps, prix…) sont là pour rationaliser leur attitude. Se savent-ils malades et refusent-ils de se faire soigner, ou bien considèrent-ils qu’ils ne sont pas malades [12] ?
À l’analyse de l’évaluation anonyme de l’action (après l’entretien personnalisé) :
• 2 personnes pensent pouvoir modifier leurs habitudes de travail concernant l’aspiration ;
• 3 envisagent de porter un masque ;
• 4 déclarent pouvoir modifier leurs habitudes concernant le fait de goûter les préparations ;
• 6 pensent pouvoir modifier leurs habitudes concernant le brossage des dents à l’atelier ;
• toutes déclarent qu’elles vont prendre rendez-vous chez un praticien.
Or, bien que 8 participants aient déclaré que leur état de santé dentaire n’était pas satisfaisant, 6 mois après la clôture de l’action, aucun d’eux n’a bénéficié de remboursement pour les soins préconisés lors de l’examen.
Cette étude souligne la nécessité d’améliorer la santé dentaire de cette population qui exerce un métier de bouche.
Une piste de réflexion consiste à développer la prévention en amont, au niveau des plus jeunes. Comme cette profession nécessite une qualification dispensée par des centres de formation, la prévention primaire, au moment de la formation et de l’apprentissage, est à intensifier avec des cours relatifs à l’hygiène bucco-dentaire obligatoires.
Cette étude souligne l’importance du partenariat, les relais d’information passant non seulement par les syndicats professionnels de la boulangerie-pâtisserie et les revues professionnelles [13, 14] mais également par les caisses d’Assurance maladie des travailleurs indépendants. Différents temps d’intervention d’une information ciblée sont à mettre en place : lors de l’inscription en tant que non salarié en début d’activité, puis par un rappel d’information et de responsabilisation de façon périodique, pendant les années d’activité.
Cette information passe aussi par le professionnel de santé qui a été sensibilisé lors de ces études à cette problématique, mais encore faut-il que le patient précise sa profession.
Si cette promotion de la santé orale peut permettre d’agir sur les risques modifiables tels que l’hygiène bucco-dentaire, la limitation de la consommation de sucre alliée à une alimentation structurée ainsi que sur l’absence de tradition favorable à la santé bucco-dentaire, alors le risque d’altération bucco-dentaire pourra être stabilisé.
TESTEZ VOS CONNAISSANCES SUITE À LA LECTURE DE CET ARTICLE EN RÉPONDANT AUX QUESTIONS SUIVANTES :
1 Quels sont les facteurs de risque bucco-dentaire spécifiques à la profession de boulanger-pâtissier :
• a. les problèmes parodontaux ;
• b. les cancers oropharyngés ;
• c. les caries dentaires.
2 Quelles sont les spécificités de la carie dentaire du boulanger-pâtissier :
• a. localisée et douloureuse ;
• b. localisée et généralement non douloureuse ;
• c. généralisée et douloureuse ;
• d. généralisée et généralement non douloureuse.
3 Quelques gestes professionnels à risque bucco-dentaire du boulanger-pâtissier sont :
• a. la cuisson du sucre ;
• b. le fait de goûter ;
• c. tamiser du sucre glace.
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