Clinic n° 02 du 01/02/2012

 

L’ENTRETIEN

Anne-Chantal de DIVONNE  

Élu président de l’UNPPD en avril 2011, Pierre-Yves Besse rompt radicalement avec la politique de l’ancienne équipe. L’heure est au partenariat avec les chirurgiens-dentistes et à la reconquête du marché français par la qualité affichée par un label.

Comment se porte la profession alors que s’ouvre la 6e édition de Dental Forum(1) ?

Bien quand les entreprises travaillent dans l’excellence ; les autres souffrent d’une concurrence étrangère acharnée. Si le marché des importations est florissant, ces officines qui misent depuis plusieurs années sur les prothèses importées souffrent elles aussi aujourd’hui de la concurrence de nouveaux acteurs. Des investisseurs totalement étrangers au secteur dentaire (restaurateurs, marchands de vêtements…) et ayant comme seul objectif la rentabilité maximale profitent de l’absence de réglementation pour s’introduire sur ce créneau d’importation sans se préoccuper de qualité.

Mais une réglementation existe…

Oui, sur le papier. Dans la réalité, un fabricant est toujours prêt à fournir les documents nécessaires à l’importateur mais qui ne correspondent en rien au produit acheminé. À Shanghai, pour obtenir le marquage CE, il suffit de demander un certificat. Problème : la seule façon de prouver la supercherie est de détruire la prothèse pour l’analyser.

Aujourd’hui, les lieux d’importation évoluent et compliquent encore d’éventuels contrôles. Les Chinois revendent 7 dollars des prothèses sous-traitées en Thaïlande ou en Birmanie où les coûts de production sont encore plus faibles. Et puis, des pays d’Europe de l’Est proposent des alliages contrefaits de grandes marques à 5 euros le kilo. Leur apparence est parfaite si ce n’est que les alliages sont ferreux, issus de matériaux de récupération et de très mauvaise qualité.

Face à cela, les contrôles de l’AFSSAPS(2) restent limités aux frontières de notre pays et aux seuls laboratoires français !

Toutes les prothèses d’importation sont-elles à bannir ?

Elles peuvent être de bonne qualité. Mais l’importateur doit en payer le coût, ce qui est rarement son objectif. Fabriquer une bonne prothèse en Chine coûte de 60 à 70 euros sur place. En ajoutant les taxes et le transport, son prix en France est équivalent à celui d’une prothèse d’origine française. Importer une prothèse de qualité à moins de 100 euros est impossible.

Comment les fabricants français parviennent-ils à résister ?

Par la qualité, le sérieux, la proximité, les services, la traçabilité et le respect des obligations réglementaires ainsi que le suivi de formations continues adaptées aux besoins du marché. Voilà ce qui fait la différence !

La loi HPST(3) modifiée par la loi Fourcade va-t-elle dans le bon sens pour vous ?

Notre seul regret est que les documents d’une prothèse ne soient pas remis systématiquement au patient.

Sinon, cette loi aura permis de voir qu’une grande partie des préconisations réglementaires faites par l’UNPPD depuis 1993 ont été reprises dans le « kit transparence » présenté par la CNSD(4) lors de l’ADF 2011. Un document qui nous satisfait pleinement, à l’exception d’un ou deux détails sur lesquels nous aurons l’occasion d’échanger avec les responsables de la CNSD.

Quant à la notion de prix de vente évoquée dans cette loi, elle est surprenante pour une profession médicale. Mais la question de savoir si les honoraires des chirurgiens-dentistes sont trop élevés ne nous concerne pas.

L’UNPPD était pourtant très combative sur la question des prix lors du vote de la loi HPST…

En effet, c’était le combat de mes prédécesseurs qui pensaient que le prix était l’unique indicateur sur l’origine du dispositif médical sur mesure (DMSM), un combat qui systématiquement déviait sur les prétendus « coefficients multiplicateurs » des chirurgiens-dentistes. Mes prédécesseurs rejoignaient ainsi les revendications des associations de consommateurs et des assureurs, tel Santéclair, qui ont agi en faveur d’une information tarifaire. Leur objectif différent était de légiférer sur les prix pour limiter les coûts.

Je m’inscris en totale rupture avec l’équipe précédente contre laquelle j’ai été élu en avril dernier. Pour moi, le prix n’est pas le problème du prothésiste mais celui du patient. Il me faudra faire oublier ce lourd héritage pour renouer le dialogue avec les chirurgiens-dentistes en 2012.

S’agissant de traçabilité, comment comptez-vous la renforcer ?

L’UNPPD va soutenir la démarche qualité Labeldent mise au point par une consœur de la région Centre. Elle permet au laboratoire de remplir l’intégralité de ses obligations réglementaires et elle est une garantie de sérieux pour les chirurgiens-dentistes dans l’intérêt de leurs patients. En effet, tous les documents de traçabilité et réglementaires des patients seront consultables sur une base de données informatique sécurisée. Ainsi, la mise sur le marché d’un DMSM par le prothésiste dentaire qui l’a fabriqué sera accompagnée d’un code-barres qui permettra à tout moment au praticien de connaître la date de fabrication de la prothèse, ses composants et les procédés utilisés. Ces informations importantes permettront notamment de ne pas risquer d’utiliser des matériaux incompatibles lors de nouveaux traitements.

Le label Labeldent n’est accessible qu’aux prothésistes dentaires fabriquant en France. Ces laboratoires Labeldent offrent l’assurance du respect strict des obligations de la directive européenne et de l’AFSSAPS qui les a reprises et traduites en droit français.

Ce projet, comme d’autres que nous souhaitons lancer, a été mené en collaboration avec les chirurgiens-dentistes. Nous y avons tous avantage car nos professions sont liées. Des praticiens ont joué la concurrence étrangère pour casser les prix. Aujourd’hui, ils ont en retour une baisse de qualité. Tout le monde vivra mieux si nous revenons au vrai coût et à la qualité.

Quels sont ces autres projets ?

Nous souhaitons pouvoir communiquer autour de ce label Labeldent, ses outils et son visuel apposé dans les laboratoires de prothèses dentaires et dans les cabinets dentaires.

Nous proposerons prochainement la création d’un salon dentaire grand public pour mieux faire connaître toute la filière dentaire et ses techniques car, lors des Universités de la prothèse dentaire 2011 au Mans en avril, nous avons été surpris par les demandes de participation de la part de visiteurs non professionnels. L’objectif de ce salon grand public est à la fois d’informer et de susciter des vocations. Nous avons intérêt à mettre en avant ce qui nous rejoint avec les chirurgiens-dentistes, la qualité, le service au patient et l’assurance d’une traçabilité réelle et contrôlable. Le praticien qui importe n’a aucune assurance au-delà de son importateur.

Un dernier mot sur les évolutions techniques et, en particulier, la CFAO et l’empreinte optique. Quel en est l’impact sur la profession ?

Nous nous préparons à la révolution que sera celle de l’empreinte optique. Si la réglementation est respectée, cette empreinte doit être réalisée par un prothésiste. Sinon, c’est la porte ouverte à l’industrialisation de la prothèse dentaire et, demain, de la chirurgie dentaire.

Aujourd’hui, parallèlement à la concurrence de la prothèse d’importation, notre marché intéresse des industriels de l’automobile ou de l’aéronautique. Avec la généralisation de la CFAO, je crains qu’ils se lancent dans la fabrication de dents standard à bas coût. J’en connais déjà qui n’hésitent pas à proposer leurs services directement à des chirurgiens-dentistes.

Je vais m’employer à faire respecter la réglementation : un prothésiste chef d’entreprise doit normalement avoir un titre de prothésiste dentaire. Il est de la responsabilité du chirurgien-dentiste de s’assurer que le laboratoire de prothèses dentaires répond à ces exigences réglementaires. ?

(1) Dental Forum, les journées internationales des prothésistes dentaires et des fabricants, du 9 au 11 février 2012 au Parc floral de Paris, à Vincennes.

(2) Agence française de sécurité sanitaire de produits de santé.

(3) Hôpital, patients, santé et territoires.

(4) Confédération nationale des syndicats dentaires.

Le retour des « dentiers »

« Avec la crise, les patients ont recours à des solutions transitoires. Nous réalisons des prothèses basiques qui ne se faisaient plus depuis 7 ou 8 ans et revenons aux « dentiers » qui avaient disparu au profit des bridges et de travaux sur implants. Les deux tiers de mes salariés travaillent sur des prothèses amovibles et un tiers sur des conjointes alors que la proportion était inverse il y a encore 2 ans. »

La prothèse en France

Si toutes les prothèses importées étaient fabriquées en France, 8 500 emplois directs seraient à créer. C’est à peu près le nombre de ceux perdus dans la profession depuis 1995, date du début des importations de prothèses en France, selon Pierre-Yves Besse. La France compte aujourd’hui 3 950 laboratoires qui emploient 15 000 personnes.

DISPOSITIF MÉDICAL

Vers une « autorisation de mise sur le marché » ?

Le scandale des prothèses mammaires de la société PIP (Poly implant prothèse) pose la question de l’encadrement des dispositifs médicaux. Le ministre de la Santé, Xavier Bertrand s’est prononcé au début du mois de janvier en faveur d’un changement de la réglementation européenne « parce qu’à la différence des médicaments pour lesquels il y a une autorisation de mise sur le marché, il n’y en a pas pour les dispositifs médicaux ».