Clinic n° 02 du 01/02/2012

 

ÉTHIQUE

Guillaume SAVARD  

Il est de plus en plus nécessaire de penser les rapports entre l’industrie, l’éducation et la recherche.

À mesure que « progresse » la médecine, le poids de l’industrie se fait de plus en plus important. En premier lieu car de nombreux dispositifs et de multiples innovations nécessitent un important arsenal industriel pour se développer et être distribués. Là où toute la gloire du médecin du XIXe siècle tenait dans la sûreté de son diagnostic, le cœur de la médecine se situe désormais dans un amoncellement de moyens d’investigation et de traitement. Et c’est bien ainsi que l’industrie se place de plus en plus comme un acteur majeur de la médecine : dans la floraison technique.

Aujourd’hui, sa taille est telle qu’elle commence à poser des problèmes qu’on regroupe sous l’expression « conflit d’intérêts ». Il en est ainsi lorsque l’intérêt de la santé des individus et de la population se trouve compromis par les intérêts d’une entreprise commerciale. Or rien n’est plus difficile à cerner tant l’imbrication est étroite. Il y a pourtant ici un enjeu non seulement économique mais également vital et politique. En dehors des « visiteurs médicaux », il y a deux grands pans de conflits d’intérêts : la place de l’industrie dans la formation et la place de l’industrie dans la recherche.

Pour ce qui est de la formation, il est particulièrement complexe de penser ensemble que le programme prépare aux besoins de soins présents et futurs de la population tout en restant en phase avec les innovations. Un article récent1 a mené l’enquête auprès des membres d’une université canadienne de médecine buccale. Les auteurs rappellent qu’en 2003, la firme Coca-Cola a donné 1 million de dollars américains à la fondation de l’Académie américaine de dentisterie pédiatrique pour soutenir la recherche, l’éducation et la promotion de la santé chez l’enfant. Ce qui n’est pas allé sans soulever des questions sur l’objectif recherché. L’éducation vise la vérité et la connaissance tandis que l’industrie vise le profit. Il importe que chaque établissement d’enseignement et de formation continue de penser que la relation entre deux objectifs distincts est nécessaire afin de ne pas transformer l’éducation en show case (alors qu’il est en effet difficile, en temps et en argent, d’enseigner six systèmes d’implants et trois de rotation continue). Une approche critique est donc impérative, qui doit aiguiser les sens de chaque futur diplômé.

En ce sens, l’analyse de la littérature scientifique est une ressource importante. Encore faut-il s’y entendre un peu en statistique. Une moyenne statistique sur 15 implants posés sur 2 patients ne veut absolument rien dire – et pourtant ! L’impact de l’industrie se fait également sentir à ce niveau. Il n’est plus à démontrer que les études recevant des financements des entreprises dont elles évaluent les produits ont des résultats supérieurs aux études dites indépendantes. Et cela toutes choses égales par ailleurs. Cela semble être fortement le cas également en odontologie pour ce qui est des implants2. Lorsqu’une étude est financée par une firme, ou même simplement que les implants sont fournis par cette firme, le taux de survie est globalement meilleur. On peut supposer beaucoup de raisons à cela, de la manipulation servile des résultats jusqu’à des protocoles qui seraient plus vertueusement respectés sous l’œil du fabricant. Toutes choses égales par ailleurs, il existe, sans qu’on puisse se reposer sur les raisons précitées, un authentique impact de l’industrie sur les résultats de la recherche. C’est une propriété « intrinsèque » de toute étude de ce type et il faut en tenir compte avant toute décision médicale ou politique.

Puisqu’elle est un partenaire de plus en plus important, il est crucial aujourd’hui de penser les rapports à l’industrie afin de favoriser la recherche et les innovations bénéfiques sans sombrer dans une course au profit qui ne sert pas toujours le patient.

1. Gillis M., McNally M. The influence of industry on dental education. J Dent Educ 2010;74:1095-1105.

2. Popelut A, Valet F, Fromentin O, Thomas A, Bouchard P. Relationship between sponsorship and failure rate of dental implants : a systematic review. PloS ONE, 2010;5:e10274 (doi:10.1371/journal.pone.0010274).