On a entendu parler, ces dernières années, de la possibilité de faire pousser des dents à des rongeurs et même à des poules. Aujourd’hui, qu’en est-il de ces recherches qui paraissaient pleines de promesses pour l’homme ?
Que sait-on faire aujourd’hui in vitro ?
On sait isoler des cellules progénitrices, les identifier et les cultiver de façon à constituer une masse qui pourra produire des minéralisations. Cela est vrai pour la dentine et l’os, beaucoup moins pour le cément et pour l’émail. Il est d’ailleurs probable que les thérapeutiques de cellules souches ne visent pas tant la régénération de l’émail que, davantage, celle de la dentine et de l’os.
Et in vivo ?
In vivo, on patauge beaucoup plus. Des chercheurs ont communiqué des résultats expérimentaux fantastiques. Mais à y regarder de plus près, leur façon de procéder est surprenante. Ils implantent des masses de cellules dans le dos de souris immunodéprimées ! Autant cette condition peut être acceptable dans le cas d’une transplantation cardiaque, autant elle ne l’est pas pour refaire une dent.
Parallèlement, notre équipe a obtenu des résultats très positifs en implantant des cellules dans les pulpes d’incisives ou de molaires. Ces cellules peuvent provoquer la formation d’un tissu minéralisé de type osseux. La question est de savoir s’il est utile de fabriquer de l’os ou s’il faut vraiment avoir une structure de type dentinaire. Personne ne peut y répondre aujourd’hui.
Est-on encore loin du passage à la clinique sur l’homme ?
Oui, car plus on avance, plus de nouvelles questions se posent !
On s’est aperçu que l’origine des cellules souches pulpaires était encore mal connue (1).
Des chercheurs ont par ailleurs mis en évidence des cellules souches dans les incisives des rongeurs – dents à croissance continue – mais pas dans les molaires – dents à croissance limitée comme celles des humains. Dans ces conditions, l’extrapolation du stade expérimental animal est biaisée et pose des problèmes biologiques. On ne sait pas si nous sommes confrontés à la bonne solution.
Nous en restons à des modèles animaux qui donnent cependant des résultats étonnants. Des cellules de souris implantées chez le rat produisent des résultats positifs en dépit des différences d’espèces. La même chose se produirait-elle si des cellules animales étaient implantées chez l’humain ? Nul ne le sait encore et il n’est pas possible de se lancer directement dans de telles expériences, d’autant plus qu’une cellule souche est autoproliférative. On ne peut pas jouer les apprentis sorciers. Rappelons-nous que des implantations dans la voûte crânienne peuvent provoquer l’apparition de tumeurs… C’est la raison pour laquelle nous sommes aujourd’hui devant plus de questions que de réponses.
Dans quelles directions s’orientent aujourd’hui les recherches sur les cellules souches ?
Il faut d’abord savoir que l’on ne peut pas travailler avec des cellules souches embryonnaires. Nos élus ont eu à répondre récemment à cette question majeure. En France, les autorisations sont données au compte-gouttes et nous prenons beaucoup de retard, notamment par rapport aux laboratoires anglo-saxons. La démarche qui consiste à retirer des germes de dents de lait ou de dents définitives à des adolescents pour extraire les cellules, les mettre en culture puis les faire attendre 10, 20 ou 30 ans dans un réfrigérateur jusqu’à ce que l’on en ait besoin fait s’interroger tant que la finalité de ce procédé n’est pas démontrée.
Y a-t-il d’autres solutions que de travailler sur les cellules souches embryonnaires ?
La réponse est à double détente. Des chercheurs pensent que l’on peut extraire des cellules souches du tissu adulte. Ces cellules ne sont pas à un stade embryonnaire mais elles possèdent quasiment les mêmes propriétés. D’autres sont favorables à la création de cellules pluripotentes induites (induced pluripotent cells, iPC). Cette option est plus intéressante et prometteuse sur le plan thérapeutique, à condition de ne pas jouer aux apprentis sorciers et de limiter les effets de ces cellules dans le temps.
Quel est le principe des cellules pluripotentes ?
Il y a là quelque chose de magique. Pour régénérer de la pulpe ou de l’os chez un patient, on prélève n’importe quelle cellule, on la transforme en une cellule indifférenciée que l’on peut ensuite reprogrammer pour la rendre utilisable en thérapeutique. En effet, cette cellule pluripotente placée dans un environnement donné va fournir les réponses qui nous intéressent. Par exemple, si on implante ce type de cellules dans une dent, il sera possible de faire naître une pulpe ou une dentine ou un tissu osseux. C’est ce qu’on appelle la régénération. Nous sommes à une croisée des chemins.
Pourquoi ?
De nombreuses questions essentielles restent sans réponse pour le moment. Ces cellules doivent-elles se multiplier à partir d’une seule cellule afin d’obtenir une masse qui va pouvoir, au bout d’un certain temps, devenir un outil et se minéraliser ? C’est possible, mais on ne sait pas grand-chose sur cette étape, que ce soit pour les dents ou pour le reste de l’organisme. Une autre hypothèse serait que la cellule souche envoie des messages aux cellules environnantes qui sont alors activées et se différencient pour devenir des nodules.
La recherche a beaucoup évolué. Il y a 10 ans, la solution paraissait simple. Aujourd’hui, on piétine mais on acquiert en même temps des connaissances précieuses. Et l’on avance avec d’infinies précautions car l’objectif est bien de déboucher sur des thérapeutiques humaines. Ce ne sont donc pas les solutions qui reculent mais la précision nécessaire aux avancées de la science qui est modifiée.
(1) Dans un récent numéro d’Advances in Dental Research (actes d’un colloque sur la pulpe qui s’est tenu en juillet 2010), il est montré que ces cellules apparaissent probablement dans la zone apicale de la dent et qu’elles migrent ensuite le long de la pulpe pour se fixer là où elles sont nécessaires.
En matière de recherche, l’odontologie est seule à s’intéresser aux tissus dentaires. D’ailleurs, les travaux menés et les résultats obtenus ne sont pas ou très peu connus des biologistes. Sans doute parce qu’a priori, les avancées ne concerneraient pas le pronostic vital. En rester là serait dommage. Car ce sont des cellules pulpaires qui ont permis de régénérer du cœur ! Et puis, les cellules progénitrices pulpaires comportent des adipocytes dont les propriétés biologiques permettent d’envisager de réparer des surfaces cartilagineuses dans les cas d’arthrose ou d’ostéoporose. Enfin, les cellules pulpaires sont d’excellentes candidates à la régénération des nerfs dans certaines maladies neurodégénératives. Pour Michel Goldberg, ces raisons devraient inciter à@ ne pas laisser de côté la recherche sur les tissus dentaires et y intéresser d’autres disciplines.