Clinic n° 09 du 01/10/2011

 

L’ENTRETIEN

Michel SIXOU  

Doyen de l’UFR d’odontologie de Toulouse, président du Collège national des enseignants odontologistes en santé publique

Effondrement de la prévalence de la carie, diminution du nombre des praticiens… Michel Sixou alerte la profession sur l’urgence des choix à faire pour répondre aux besoins de la population. Le doyen de la faculté de Toulouse prévoit, dans le cadre d’une expérimentation, de former dès l’an prochain des aides-soignantes pour réaliser certains actes en bouche, sous la responsabilité du chirurgien-dentiste.

Quelles sont aujourd’hui les évolutions déterminantes pour la profession ?

On constate une diminution natu­relle du nombre des chirurgiens-dentistes. La question est de savoir si cela est souhaitable ou non. Car, dans le même temps, les études montrent depuis plusieurs années un effondrement de la carie en Europe. De 15 à 20 % des enfants concentrent 80 % des problèmes carieux. Cette part à risque de la population est peu réceptive aux messages de prévention et fréquente peu les cabinets dentaires. Les actions de prévention sont donc beaucoup plus difficiles et coûteuses qu’avant. En revanche, la majorité des enfants de 12 ans n’ont plus de caries. Cet effondrement de la carie entraîne la chute de tout le modèle économique de la profession bâti après-guerre et fondé justement sur la réparation des dégâts liés à la carie.

Quels sont les signes du déclin de ce modèle fondé sur la carie ?

La surchauffe dans les cabinets qui effectuent des traitements complexes. Leurs chiffres d’affaires sont en augmentation tandis que les cabinets généralistes de petite dimension réalisent moins de couronnes et certains commencent à avoir des difficultés. Ce phénomène est en partie masqué par la féminisation de la profession. Nous avons, en effet, du mal à voir si cette chute résulte d’un moindre investissement d’une certaine population professionnelle, en particulier féminine, ou d’un effondrement de l’activité. Parallèlement, l’évolution de notre système de retraite est inquiétante. Nous avons une sécurité dans les 10 à 15 ans à venir, mais ensuite, le modèle manque de clarté.

Quelles sont les autres grandes évolutions du métier ?

Aujourd’hui, il apparaît que les maladies parodontales sont de plus en plus liées à certaines mala­dies générales, en particulier aux maladies cardio-vasculaires, au diabète, à la polyarthrite rhumatoïde et à l’obésité, et qu’elles sont un facteur de risque pour les femmes enceintes. Aussi, la prise en charge des problèmes parodontaux, aujourd’hui anecdotique, mériterait d’être considérée comme une question de santé publique. On sait par exemple qu’une parodontite non prise en charge rend très difficile la stabilisation d’un diabète de type 2. Au contraire, si elle est convenablement prise en charge, le taux d’hémoglobine glyquée peut être réduit de 0,5 selon les méta-analyses, ce qui est un résultat remarquable. Le chirurgien-dentiste a donc vraiment un rôle à jouer dans la santé dont le béné­fice dépasse largement la sphère buccale.

L’autre évolution est technologi­que. Le cabinet est de plus en plus numérique avec des outils complexes à utiliser et multiples. La capacité professionnelle s’élève médicalement et technologiquement. La formation hospitalo-universitaire ne peut plus être la même. Les nostalgiques n’ont pas toujours compris ces bouleversements profonds.

Qu’en déduisez-vous pour l’économie de la profession ?

La moitié des 40 000 chirurgiens-dentistes actuels devrait amplement suffire pour répondre aux besoins de la population d’ici 15 à 20 ans. Mais cela exige un travail de base, d’éducation thérapeutique, de prévention, de sensibilisation, de détartrage, de traitement des sillons, de fluoration… pour lequel il n’est pas nécessaire de faire 6 années d’études supérieures. Ces tâches importantes en masse de travail pourraient être déléguées à des personnes ayant un bac + 2 ou 3. Elles fourniraient un travail à un coût moindre mais tout aussi efficace sous la responsabilité du chirurgien-dentiste. Il pourrait être le chef d’orchestre global. Nous aurions un modèle économique plus intéressant en abaissant les coûts et en utilisant mieux le praticien pour l’élaboration des plans de traitement et la réalisation des actes de technicité plus élevée. Voilà le schéma général de la réflexion sur la délégation de tâche. Ce modèle est déjà appliqué dans de nombreux pays et a démontré sa pertinence.

Pourquoi voulez-vous faire appel à des aides-soignantes ?

Nous avons besoin d’un personnel paramédical pour réaliser des actes simples en bouche mais la profession a des difficultés à avancer sur ce dossier. C’est pourquoi, avec l’agence régionale de santé (ARS) de Midi-Pyrénées, nous imaginons le transfert de certaines compétences vers des aides-soignantes formées spécifiquement. Ce transfert s’effectuerait dans le cadre de la loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) qui autorise les expéri­mentations de délégation de tâches avec l’accord de la Haute Autorité de santé.

Comment seraient-elles formées ?

L’expérimentation va concerner une quinzaine d’aides-soignantes. Nous prévoyons une formation à temps partiel en 2 ans à partir de janvier prochain : la première année sous forme de stage au CHU et la seconde en cabinet. À terme, cette formation particulière en odontologie pourrait être intégrée à la formation initiale de certaines catégories de professions paramédicales.

N’est-il pas plus simple de mener l’expérience avec des assistantes dentaires qui devraient bientôt devenir des professionnelles de santé ?

Il y a un choix à faire. Les assistantes dentaires n’ont pas l’obligation d’avoir le bac et sont prisonnières d’un statut très peu précis. En revanche, le métier de chirurgien-dentiste change. Il y a un besoin de santé publique. La désertification est un faux problème. Il faut, bien sûr, essayer de corriger les déséquilibres mais la répartition ne sera jamais équitable. Mon objectif est de pouvoir déléguer progressivement certains gestes à des auxiliaires de santé. Cela inquiète une partie de la profession qui a peur de déséquilibrer son modèle économique. Mais son économie est déjà en fin de vie. On ne peut plus perdre encore 5 ans. Il faut un catalyseur. Soit cette initiative crée un courant de formation différent, soit elle pousse la profession à évoluer plus rapidement.

Avec l’internat qualifiant, des omnipraticiens craignent le développement des spécialités dans la profession. Que leur répondez-vous ?

L’accouchement de l’internat qualifiant a été long et complexe. Il a notamment été bloqué par la peur que les spécialités réduisent l’activité de l’omnipratique. Pour la troisième filière, la profession n’a pas voulu que l’on fasse apparaître des appellations telles que la parodontologie ou l’endodontie de peur de mettre en danger l’équilibre économique de la profession. Un compromis a donc été trouvé. Globalement, cette troisième filière est celle de la pratique hospitalière, des personnes en situation de handicap, de la gérodontologie… Ce sera aussi la filière de l’enseignement. Elle méri­tera sans doute à l’avenir d’être précisée. La création des trois filières est une énorme avancée. Nous sommes sur le bon chemin.

Quant à la spécialisation, je ne pense pas que la profession médicale en ait souffert. C’est un bien pour la santé publique. Nous sommes dans une période de bouleversement de l’omnipratique. Je m’inquiète de voir que la profession n’en a pas encore pris la mesure. Tout le monde pense que c’est pour beaucoup plus tard ! Or, pour être au rendez-vous, il faut faire des choix aujourd’hui. L’hôpital a lancé sa réforme en 2003, l’université en 2007, je ne perçois pas encore de façon nette les grandes évolutions indispensables à la profession de chirurgien-dentiste libéral.

Des professionnels sont favorables à la privatisation de l’enseignement initial. Est-ce pour vous une bonne solution ?

La plupart des pays européens ont fait le choix de facs privées. Je suis un ardent défenseur du système public, un système dans lequel la gouvernance n’est pas liée à des considérations marchandes mais davantage à des stratégies d’intérêt public en matière de santé et à des notions d’efficience. En même temps, la faculté doit évoluer et développer des partenariats avec le privé car l’État n’a pas les moyens d’assurer une formation optimale. Pour qu’il n’y ait pas de conflits d’intérêt, ces partenariats doivent être noués de façon transparente avec l’institution, pas avec les enseignants. C’est un nouveau mode de management des universités !

SANTÉ PUBLIQUE

La voix des enseignants

Faire entendre la voix des enseignants odontologistes de santé publique, tel est l’objectif de Michel Sixou qui préside le Collège depuis 2 ans. Pour lui, les forces en santé publique de la profession viennent des associations du type UFSBD. Les chirurgiens-dentistes de l’Assurance maladie, qui effectuent pourtant un « énorme travail », restent peu audibles. Quant aux enseignants de santé publique, ils n’ont pas communiqué jusqu’à présent ; pourtant, ils ont des atouts. Leur avis est le fruit de travaux de recherche. De plus, pense Michel Sixou, « de par nos statuts, nous sommes soumis à peu de conflits d’intérêts, alors que les associations qui font payer des labels à grand prix n’ont peut-être pas la même approche ». Pour faire entendre sa voix, le Collège revoit son site Internet1. Il a aussi prévu d’établir chaque année un référentiel de recommandations qui synthétise la position objective et officielle des enseignants en santé publique en odontologie, « indépendamment de toute pression ». Au programme cette année : l’hypersensibilité dentinaire.

1. http://cneasp.fr