ODONTOLOGIE CONSERVATRICE
Gilles KOUBI * Gauthier WEISROCK ** Marie-José BOTTÉRO *** Jean-Claude FRANQUIN****
*Professeur des Universités
**Assistant, Praticien hospitalier
***MCU-PH
****MCU-PH
Département d’Odontologie Conservatrice (Professeur H. Tassery),
Faculté d’Odontologie, Centre Gaston Berger, 17-19 rue Mireille Lauze
13010 Marseille
Un nouveau substitut dentinaire à base de silicate de calcium, appelé Biodentine™, permet de pallier les inconvénients liés à la rétraction des résines composites et à la libération de leurs monomères libres cytotoxiques. Les raisons d’utiliser ce matériau pour une protection pulpaire permanente dans les reconstitutions coronaires directes sur dents postérieures vivantes reposent sur sa biocompatibilité, ses propriétés physico-chimiques, et sur ses capacités à créer une bonne étanchéité marginale au contact du tissu dentinaire. Les phases successives d’utilisation de Biodentine™ en tant que substitut dentinaire sont exposées en détail, ainsi que le vieillissement clinique de l’obturation définitive sus-jacente.
Les résines composites sont les matériaux le plus couramment utilisés pour les restaurations coronaires directes ou indirectes des cavités des classes I et II sur dents postérieures pulpées, en raison de leur capacité d’adhésion à l’émail et à la dentine et des résultats esthétiques qu’elles permettent d’obtenir [1]. Malgré leur évolution, ces produits présentent encore quelques insuffisances liées à leur manque de résistance à l’usure dans des situations de forte sollicitation occlusale, à leur rétraction lors de la polymérisation [2], à leur défaut d’étanchéité en l’absence d’émail [3] et à leur rejet de monomères libres inactivés [4, 5]. Dans les reconstitutions de plus grande importance, le succès à long terme est plus aléatoire que pour les petites restaurations [6], les infiltrations marginales induisant l’apparition d’hypersensibilités, d’atteintes pulpaires dégénératives et de caries secondaires [7]. Afin de lutter contre les inconvénients liés à la rétraction des résines durant leur polymérisation, fonction du volume des cavités [8], et contre la libération de monomères libres cytotoxiques [9], il est recommandé, dans les restaurations de classe II importantes ou profondes [10], d’utiliser une technique dite en sandwich (fig. 1) qui pourra être ouvert ou fermé. Elle consiste à placer, dans la partie profonde de la cavité, un matériau de comblement appelé substitut dentinaire [11].
Le substitut dentinaire idéal devrait répondre à un cahier des charges précis dont les points principaux peuvent être ainsi résumés :
• une mise en place rapide, avec comblement pérenne des contre-dépouilles ;
• une protection biologique et mécanique du complexe dentino-pulpaire ;
• une réduction du facteur C, avec possibilité de rehausser la limite cervico-proximale des restaurations ;
• une compatibilité avec les systèmes adhésifs et les composites.
Un certain nombre de substituts dentinaires tels que les ciments verre ionomère modifiés par adjonction de résine (CVIMAR), les résines composites chémopolymérisables, ou des dérivés du ciment de Portland (MTA) sont utilisés pour remplacer la dentine perdue [12-13].
Les CVIMAR ont la capacité d’adhérer chimiquement à la dentine et à l’émail par un échange d’ions et présentent la possibilité de libérer du fluor [14]. Mais leur utilisation est limitée par leur faible résistance à l’usure et à la compression [15] et par une forte suspicion de cytotoxicité vis-à-vis des cellules pulpaires [16] et de destruction par apoptose des odontoblastes concernés [17]. De plus, aucune étude clinique prospective n’a pu établir que l’incidence des caries secondaires pouvait être significativement réduite, au niveau dentinaire, par la présence d’ions fluor dans ces matériaux de restauration [18].
Les résines composites chémopolymérisables se rétractent au moment de la prise et entraînent un hiatus à l’origine de percolation et d’irritation pulpaire, de reprise de caries et de sensibilité postopératoire [19].
Le MTA et les produits dérivés de la formule du ciment Portland sont très efficaces pour induire la formation de tissus minéralisés, mais leur faible résistance à la compression et leur long temps de prise les rendent inadaptés à une utilisation dans les restaurations coronaires en clinique [13].
Devant les insuffisances des matériaux existants, un nouveau substitut dentinaire : le Biodentine™, commercialisé par les laboratoires Septodont et ATO Zizine, a été conçu pour répondre au cahier des charges d’un matériau idéal, en mettant l’accent sur sa biocompatibilité, son étanchéité marginale, et sa résistance mécanique. L’absence de cytotoxicité du Biodentine™ a été démontrée sur lignée cellulaire L 929, par des tests de biocompatibilité in vitro sur fibroblastes pulpaires humains par contact direct ou à travers une tranche de dentine, et par des tests de biocompatibilité à partir d’un modèle de culture de dent humaine en coupes épaisses [20]. L’absence de génotoxicité du Biodentine™ a été démontrée par les tests d’Ames qualitatif et quantitatif avec préincubation, par le test des micronoyaux sur lymphocytes humains et par celui des comètes sur fibroblastes pulpaires humains [20].
Les progrès réalisés ces dernières années dans le domaine des bétons spéciaux et l’utilisation d’adjuvants réducteurs d’eau de nouvelle génération ont permis l’élaboration de ce produit spécifique (fig. 2), dont la poudre est essentiellement composée de silicate tricalcique (ou C3S). Son durcissement, au cours de son hydratation, résulte du renforcement de l’empilement des grains de ciment anhydres par les produits de la réaction de ces particules avec l’eau de mélange. La prise du matériau résulte de différentes réactions chimiques de dissolution et de précipitation. Dès qu’il est en contact avec une solution aqueuse, le silicate tricalcique se dissout en surface pour donner une solution sursaturée par une nouvelle phase peu soluble, le silicate de calcium hydraté (CaO)1,7-SiO2-H2O, ou encore C-S-H pour simplifier, accompagnée d’hydroxyde de calcium, ce qui lui donne un pH basique de 12,6 selon la réaction globale suivante :
Ca3SiO5 + 5,3 H2O
⇒ (CaO)1,7-SiO2-(H2O)4 + 1,3 Ca (OH)2.
Le silicate de calcium hydraté se forme par germination hétérogène sur la surface des grains de silicate tricalcique et se développe par agrégation de nanocristaux pour couvrir toute la surface des grains [21]. C’est cette agrégation qui, en multipliant le nombre de contacts entre les grains initiaux, est à l’origine de l’augmentation de la résistance mécanique de l’empilement granulaire.
L’ensemble de ces excellentes propriétés a permis d’élargir le champ de ses indications et de le recommander comme :
• substitut dentinaire dans les techniques en sandwich ouvert ou fermé ;
• matériau de reconstitution coronaire temporaire (6 mois) ;
• matériau d’obturation des perforations coronaires et radiculaires ;
• matériau d’obturation canalaire par voie rétrograde (a retro) ;
• produit de coiffage pulpaire direct (fig. 3 et 4).
L’activité biologique des matériaux contenant du silicate de calcium (Ca3SiO5) a été confirmée par la prolifération de fibroblastes cultivés dans des solutions obtenues à partir d’extraits de pâte contenant du silicate de calcium [20-24], et la différenciation de fibroblastes pulpaires en cellules odontoblastiques après incubation avec du silicate de calcium dilué dans du milieu de culture [20]. Les raisons d’utiliser le Biodentine™ en tant que substitut dentinaire reposent aussi :
• sur ses propriétés physico-chimiques et sa résistance à la compression ;
• sur ses capacités à créer une bonne étanchéité marginale.
La résistance à la compression du Biodentine™ a été testée selon la méthode ISO 9917:2007 [25]. Des éprouvettes sont préparées, après malaxage, en utilisant des moules cylindriques en téflon de 4 mm de diamètre et 6 mm de hauteur. Stockées dans un incubateur pendant 15 minutes à 37 ± 1 °C et 100 % d’humidité relative, elles sont ensuite démoulées et stockées sous eau distillée à 37 ± 1 °C pendant le temps de prise désiré. Les échantillons sont ainsi conservés dans des conditions proches de leurs futures conditions d’utilisation clinique. La résistance à la compression des éprouvettes est mesurée à 6 échéances, soit à 1, 5, 15 et 24 heures et à 7 et 28 jours, à l’aide d’une machine de test universelle (modèle 2/M MTS Systems 1400, Eden Prairie, Minneapolis, États-Unis), avec une vitesse de déplacement de 0,5 mm/min (fig. 5).
Au bout de 10 minutes, la résistance à la compression du matériau Biodentine™ est suffisante pour supporter soit la mise en place d’une obturation définitive dans une cavité de classe I, soit sa sculpture en tant qu’obturation provisoire, en l’absence d’une surcharge occlusale anormale. Dès la fin de la prise, la valeur de la résistance à la compression augmente très rapidement pour atteindre une valeur moyenne de 130 MPa environ au bout de 1 heure et de 240 MPa au bout de 24 heures. Au bout de 7 jours, la résistance à la compression est suffisante (253,2 MPa ± 16,1) pour permettre tous les traitements préparatoires avant la mise en place d’une obturation définitive directe ou indirecte (préparation à l’aide d’instruments rotatifs, prise d’empreinte, mordançage acide, etc.). À titre comparatif, la résistance à la compression du Fuji IX GP Fast au bout de 24 heures est de 220 MPa environ.
Des dents de sagesse saines, extraites pour raisons orthodontiques, conservées moins de 3 mois dans une solution de chloramine à 1 %, ont été restaurées avec du Biodentine™ après création de cavités mésio-occluso-distales. Sur les dents conservées, après restauration, pendant 28 jours dans de l’eau distillée, des coupes centrales longitudinales de 100 µm d’épaisseur, examinées au stéréomicroscope, en lumière transmise, ont montré une augmentation de la densité optique des zones de dentine situées au contact du Biodentine™ (fig. 6). L’examen de ces zones à l’aide d’un microscope électronique à balayage à effet de champ (Philips XL 30 S-FEG), équipé d’une platine cryogénique ALTO 2500, montre une importante précipitation de cristaux de silicate de calcium dans les canalicules dentinaires situés à proximité du matériau Biodentine™ (fig. 7 et 8). Leur origine est confirmée par la présence de silicium au sein de ces cristaux, révélée par diffraction aux rayons X (fig. 9). Cette caractéristique et la stabilité dimensionnelle du matériau lors de sa prise contribuent à l’excellente capacité d’étanchéité du matériau observée au niveau de la dentine.
Cette qualité d’adhésion du matériau au tissu dentinaire pourrait être due à l’infiltration initiale du matériau dans les canalicules, suivie par la formation de cristaux de silicate de calcium hydraté dont la cohésion augmente avec le temps. Cette augmentation de la cohésion des cristaux formés dans les canalicules situés au contact du matériau pourrait créer un microancrage, responsable de la bonne adhésion du produit, et il n’est pas exclu que des échanges ioniques entre sels de calcium complètent l’étanchéité constatée.
Des études cliniques randomisées sont considérées comme la meilleure manière de valider le devenir d’un matériau dentaire. Cependant, la mise en place de ce type d’étude nécessite une méthodologie complexe incluant :
• un groupe de patients étoffé et randomisé répondant à des critères d’inclusion rigoureux ;
• un protocole d’étude exhaustif ;
• des opérateurs/investigateurs formés à la méthodologie d’études cliniques et disponibles pendant la période des inclusions ainsi que tout au long du suivi clinique (plusieurs années).
Les propriétés biologiques de ce nouveau produit, couplées avec ses intéressantes caractéristiques physico-chimiques, ont conduit les laboratoires Septodont à engager une recherche clinique multicentrique sur 400 cas. S’appuyant sur les prérequis de biocompatibilité, sur les effets sur les fonctions spécifiques de ses cellules cibles et sur les capacités d’étanchéité marginale du nouveau matériau Biodentine™, le protocole clinique a été validé par le Comité d’éthique de l’université de la Méditerranée (autorisation du Comité consultatif de protection des personnes dans la recherche biomédicale, CCPPRB Marseille 1, du 13 octobre 2004). Cette étude a été déclarée à l’autorité nationale compétente (AFSSAPS, référence 2004/12/013), menée selon les principes de la déclaration d’Helsinki et du guide ICH des bonnes pratiques cliniques, et réalisée selon la loi Huriet-Sérusclat, avec un suivi clinique de 3 années.
Depuis juin 2005, chaque patient âgé de 18 à 80 ans traité dans le Département d’odontologie conservatrice (Pr. Gilles Koubi) de la faculté de Marseille et susceptible de recevoir une obturation sur une dent postérieure (classes I et II sur dent postérieure pulpée de la première prémolaire à la troisième molaire) est invité à rejoindre cette étude randomisée (Z 100 contre Biodentine™), après avoir donné son consentement informé. Cette étude a également été suivie dans le Service de Garancière-Hôtel-Dieu (Pr Pierre Colon) de l’UFR d’odontologie Paris 7. Dans chaque centre, des investigateurs, familiarisés avec le nouveau matériau, placent l’ensemble des restaurations. Un cahier d’observation est ouvert pour chaque dent traitée et les critères d’évaluation de l’USPHS (United States Public Health System) sont utilisés pour évaluer la qualité et l’évolution des restaurations. Dans une première étape, les obturations réalisées à l’aide du Biodentine™ ont été comparées aux obturations primaires réalisées à l’aide d’un composite Z 100 (3M ESPE) allié à un système adhésif (All Bond 2, Bisco, États-Unis) afin de tester les capacités du Biodentine™ de remplacer provisoirement l’émail. Puis, le produit Biodentine™, utilisé selon sa destination de substitut dentinaire, a été recouvert d’une obturation secondaire définitive au Z 100. Dans une deuxième étape, les obturations primaires réalisées en Z 100 et sans fond de cavité seront comparées avec les obturations secondaires réalisées en Z 100 sur fond de Biodentine™, selon les critères précédemment définis.
Le cas clinique présenté ci-après a été réalisé dans le service du Pr Gilles Koubi, dans le cadre de cette expérimentation (fig. 10 à 24). Comme dans la plupart des cas traités avec du Biodentine™, il est remarquable de noter que la mise en place de ce produit conduit à une disparition rapide de tous les phénomènes douloureux accompagnant les atteintes pulpaires réversibles.
Prenant avantage des propriétés biologiques et physico-chimiques des ciments à base de silicate de calcium, les laboratoires Septodont ont mis au point et commercialisé un nouveau substitut dentinaire, le Biodentine™, destiné à la restauration de cavités, définies comme importantes ou profondes, sur les dents pulpées postérieures. Ce nouveau produit est présenté sous la forme d’une poudre et d’un liquide et doit être préparé par malaxage dans un vibreur. Il est compatible avec le travail en clinique grâce à un temps de prise de 10 minutes, et il peut être utilisé pour une protection pulpaire permanente dans les techniques de reconstitution coronaire directe et indirecte, sans conditionnement préalable de la surface dentinaire. Les études biologiques et cliniques menées sur ce matériau ont montré qu’il peut être appliqué sans danger directement sur le tissu pulpaire [20, 21, 24]. Ses bonnes facilités de manipulation, associées à ses propriétés biologiques mécaniques et physiques, permettent de penser qu’il trouvera très rapidement sa place en tant que substitut dentinaire dans l’arsenal thérapeutique quotidien.
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
La partie solide de Biodentine™ est essentiellement composée :
• a. de phosphate de calcium ;
• b. d’aluminate de calcium ;
• c. de silicate tricalcique ;
• d. d’oxyde de calcium.
Au contact de canalicules dentinaires vivants, Biodentine™ induit le dépôt de cristaux
• a. de carbonate de calcium ;
• b. de silicate de calcium hydraté ;.
• c. de phosphate de calcium ;
• d. de silicate dicalcique.
Biodentine™ peut être utilisé comme :
• a. substitut dentinaire dans les techniques de sandwich ouvert ou fermé ;
• b. matériau d’obturation des perforations coronaires ou radiculaires ;
• c. produit de coiffage pulpaire direct ;
• d. pour l’ensemble de ces indications.
Après 24 heures, la résistance à la compression de Biodentine™ est d’environ :
• a. 100 MPa ;
• b. 150 MPa ;
• c. 200 MPa ;
• d. 240 MPa.
Lors de sa prise, le pH de Biodentine™ est de :
• a. 4,3 ;
• b. 7,2 ;
• c. 12,6.
La mise en place de Biodentine™ au contact du tissu dentinaire vivant :
• a. doit être précédée d’un mordançage acide ;
• b. nécessite la mise en place d’un primer ;
• c. ne nécessite aucune préparation.