Le souci de protéger les siens, en cas de décès, est naturel. Le conjoint, mieux servi par la loi dorénavant, reste la priorité des professionnels libéraux, souvent mariés sous un régime de séparation. Ce qu’il faut savoir.
Tant qu’il exerce, le chirurgien-dentiste chef de famille assure la sécurité matérielle de sa famille. Son décès peut bouleverser le devenir de la plus belle construction patrimoniale et compromettre la sécurité matérielle du conjoint survivant, d’autant que la durée de la vie s’allonge au même rythme que le coût incompressible du train de vie.
Longtemps, le conjoint a été négligé par le droit civil et n’était pas héritier, contrairement à une idée reçue. Lorsque les époux sont mariés sous un régime de communauté, le conjoint possède la moitié des biens du ménage. Mais ce régime matrimonial n’est pas adapté au chirurgien-dentiste libéral, qui opte majoritairement pour la séparation de biens. Depuis 2002, le survivant des époux hérite et la loi lui accorde, en l’absence de testament, un quart en pleine propriété ou la totalité en usufruit, selon l’option qu’il choisit. Parent pauvre jusqu’à récemment, il bénéficie aujourd’hui d’une place de choix. À telle enseigne qu’en l’absence d’enfant, et avec une simple donation au dernier vivant, le conjoint – il faut être marié – peut hériter de la totalité du patrimoine du défunt, de plus en exonération de droits de succession depuis la fameuse loi TEPA (en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat) d’août 2007.
Mais la vraie préoccupation n’est pas de savoir ce que sont ses droits mais plutôt de se doter des moyens d’assurer son train de vie. Il s’agit aussi de mettre en œuvre des dispositions susceptibles de satisfaire les besoins sans remettre en cause, de son vivant, ses acquis patrimoniaux, d’autant que, depuis la réforme du divorce en 2004, les donations entre époux ne sont plus révocables.
La construction patrimoniale repose sur des investissements et des placements, schémati-quement répartis entre immobiliers et financiers, auxquels s’ajoutent les acquis sociaux dont relèvent les régimes de retraite obligatoires et volontaires. Voici pour l’état des lieux économique. Mais pour que la copie approche la perfection, il faut savoir utiliser les outils juridiques, en mêlant ceux qui sont durables, voire irréversibles, avec ceux aisément révocables, qui trouvent à s’appliquer à une période déterminée de la vie.
Le régime matrimonial déterminé par le contrat de mariage peut s’améliorer par des dispositions complémentaires, allant jusqu’à attribuer des droits au-delà de la quotité disponible, elle-même déjà affectée par la convention de donation dite au dernier vivant. En cours de vie, on peut, en outre, rééquilibrer les avoirs de son conjoint par une donation entre époux. Cette décision est d’application immédiate alors que la première ne s’applique qu’au décès.
Pour améliorer la transmission, un testament organisera le partage du patrimoine et pourra déterminer les conditions de son fonctionnement, voire de sa transmission ultérieure. Les notaires, dont c’est le cœur des compétences, peuvent établir le « consentement à exécution » qui donne au conjoint les plus larges pouvoirs sur les droits qui lui sont accordés par la donation, tout comme le cantonnement l’autorise à n’appréhender que ce dont il a besoin.
La constitution de sociétés (civiles ou commerciales) est un moyen d’optimiser la gestion et la transmission de son patrimoine et pourra être complétée d’un pacte statutaire pour éviter au conjoint de se retrouver minoritaire et otage des décisions des majoritaires.
Toutes les techniques de démembrement de propriété, séparant nue-propriété et usufruit, définitivement ou temporairement, constituent, elles aussi, un outil juridique.
Au-delà des limites du droit civil, l’assurance-vie, par la rédaction de la clause bénéficiaire et par le fait qu’elle est hors succession, permet de renforcer les droits de son conjoint sans pour autant se démunir tant que l’on est vivant, donc que l’on risque le divorce. Elle constitue la clé de voûte de l’édifice de protection de son conjoint. Dans la même logique, le contrat de capitalisation permettra d’assurer des revenus au conjoint tout en garantissant le capital aux enfants nus-propriétaires.
Toute cette palette est dorénavant complétée, si on l’estime nécessaire, du mandat à effet posthume désignant une tierce personne chargée de gérer le patrimoine reçu par le conjoint ou définissant les conditions de sa désignation.
L’inventaire de ces techniques démontre qu’il est plus aisé aujourd’hui d’assurer la sécurité de son conjoint survivant que le bon dénouement de son divorce.
Isabelle VASSIA Juriste Cabinet EGA
S’il est légitime qu’un chirurgien-dentiste chef de famille ne connaisse pas les techniques de droit susceptibles de parfaire la sécurisation des siens, il est en revanche regrettable qu’il ne s’y intéresse qu’à l’occasion d’événements malheureux de son entourage, décès brutal ou divorce. Il est aussi important qu’il comprenne que les dispositions prises à une époque de sa vie doivent être – donc peuvent être – aménagées ultérieurement. À cet égard, les solutions sont très différentes, selon qu’il y a encore des enfants à élever, des descendants d’une première union (de l’un ou de l’autre des époux), un conjoint qui exerce une profession ou un conjoint qui n’a ou n’aura aucun droit individuel à allocation de retraite.
L’évolution conjuguée de la législation et de nos mœurs accroît la nécessité d’une analyse spécifique. Les exemples sont nombreux et spectaculaires.
Un chef de famille, père d’enfants d’un premier lit et remarié, décède. Pour protéger sa jeune épouse, il a rédigé un testament pour augmenter ses droits dans la succession, en particulier pour qu’elle dispose d’un usufruit intégral ou quasi intégral. Conséquence : les enfants devront payer des droits de succession (avec quoi ?), l’épouse (leur belle-mère) en sera exonérée.
Autre exemple, sur des biens immobiliers familiaux, propres au défunt puisqu’il en a hérité et se trouvant en indivision avec ses frères et sœurs. Le couple n’a pas d’enfant. L’épouse ne recevra que 50 % des actifs de son mari à son décès et, simultanément, intégrera une indivision issue du sang. La constitution d’une SCI avec apports de ces biens aurait résolu le problème.
Bien que beaucoup réformée depuis 10 ans, la loi sur les successions est imparfaite, voire injuste. On sait que l’époux survivant dispose d’un droit viager d’usage et d’habitation de la résidence principale occupée par le couple au moment du décès. Le survivant peut opter, dans la succession, entre un quart en pleine propriété ou 100 % en usufruit. Dans le premier cas, ce droit viager, qui s’assimile à un usufruit, se cumule au quart en pleine propriété, ce qui accroît les droits du conjoint. Dans le second cas, il s’incorpore.
Et prudence, pour le couple ayant longtemps vécu ensemble et s’étant marié tard, après avoir acquis ensemble, par une SCI, le logement commun, il n’y aura, du fait de la SCI, aucun droit viager d’usage.
Mais la priorité pour notre lecteur ne sera pas de prendre des dispositions en cas de son décès mais de couvrir les conséquences de son invalidité. En termes patrimoniaux, l’invalidité, tout comme le divorce, est plus difficile à couvrir que le décès.