Publicité, officines de blanchiment, contributions à l’Ordre, attaque des médias… Christian Couzinou, qui achève l’an prochain sa seconde mandature à la présidence du Conseil de l’Ordre, répond aux nombreuses questions adressées par les lecteurs de Clinic ; quelques-uns ont préféré rester anonymes. Les attentes dépassent parfois les compétences de l’institution !
Jean-Daniel Brochet (78) et Jean-Pierre Toumelin (75) demandent pourquoi l’Ordre ne réagit pas fortement aux attaques des médias à l’égard de la profession.
Nous réagissons systématiquement à toutes les attaques. Mais les médias ne publient pas nos lettres ! Cela a été le cas pour les articles publiés par 60 millions de consommateurs, Que choisir ou encore L’Express.
Les réactions de l’Ordre apparaissent trop tardives ou molles face à la multiplication des salons de blanchiment, à la concurrence hongroise ou internationale.
Nous déposons des plaintes au pénal contre les salons de blanchiment, mais nous nous heurtons au problème de lenteur de la justice française !
Dès l’apparition des bars à sourire, l’Ordre a réagi ! Des huissiers ont été désignés pour vérifier la composition des produits employés. Il s’est avéré que la concentration de peroxyde d’hydrogène était bien supérieure à celle autorisée pour un non-professionnel de santé. L’Ordre a saisi les ARS(1) et la DGCCRF(2). Pour l’heure, seule l’ARS de la Nièvre a interdit à l’officine de ce département de pratiquer le blanchiment. C’est un combat de tous les jours.
Contre les agences de tourisme dentaire en Hongrie, nous ne pouvons légalement rien faire, sauf si un correspondant chirurgien-dentiste en France reçoit le patient pour une première visite. Dans ce cas, le praticien est poursuivi devant la chambre disciplinaire. À Paris, deux ou trois cas sont actuellement en cours. La sanction n’est pas définitive car la procédure disciplinaire est longue et comporte trois niveaux : chambre disciplinaire de première instance (au niveau régional), puis chambre disciplinaire nationale (appel) et enfin conseil. Nous agissons, mais les délais sont malheureusement trop longs !
Cela dit, il faut relativiser l’importance de la concurrence de l’étranger. Et puis, nous commençons à observer le retour de patients mécontents d’actes réalisés à l’étranger, et la difficulté, voire l’impossibilité, pour eux d’avoir un recours sur place… Cela devrait refroidir les futurs candidats !
Philippe Villard (56) demande pourquoi l’Ordre reste silencieux ou inefficace quand il faut mettre en œuvre les dernières connaissances de la science sans bénéficier d’honoraires permettant d’en avoir les moyens. Un autre confrère demande si l’Ordre ne pourrait pas lancer une action collective comme un déconventionnement massif.
L’Ordre est de plus en plus inquiet en termes de santé publique. On constate un grand écart entre le tarif opposable des soins effectués par les chirurgiens-dentistes et la réalité économique de ces actes.
En ce qui concerne une action collective de déconventionnement, nous ne voyons pas comment la situation pourrait perdurer, surtout si l’on prend en considération les frais d’un cabinet dentaire, qui dépassent les 70 %, et le remboursement au tarif d’autorité des patients.
Le problème est du ressort des caisses et des syndicats. Il n’entre pas dans les missions de l’Ordre, définies par le Code de la santé publique, de participer aux négociations conventionnelles, à la classification commune des actes médicaux (CCAM) ou à la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP). Il y a souvent confusion sur les rôles de l’Ordre et des syndicats. Cela étant, comme pour toute entreprise, il appartient au chirurgien-dentiste de réaliser une étude d’impact avant de s’installer pour choisir une zone dans laquelle il pourra disposer d’un revenu suffisant. En France, ces territoires existent !
Fabien Birle (56) demande ce que fait l’Ordre quand les libéraux supportent des charges plus importantes que les centres dentaires.
Il n’y a quasiment plus de différence entre les charges des centres dentaires mutualistes et celles des cabinets libéraux depuis que la taxe professionnelle a été remplacée par la contribution économique territoriale (CET). Le chirurgien-dentiste salarié qui a le statut de cadre coûte très cher en charges sociales (retraite des cadres) et fiscales (taxes sur le salaire).
Quand l’accord signé par l’Ordre avec le Québec entrera-t-il en vigueur ?
Nous espérons en septembre. Nous avons déjà une vingtaine de demandes. Cet accord va permettre l’échange de praticiens diplômés au Québec ou en France. Ils devront chacun effectuer un stage de 6 mois dans le pays d’accueil avant de pouvoir exercer.
Le système québécois possède un avantage : les chirurgiens-dentistes sont inscrits provisoirement pendant 6 mois. Et l’inscription définitive peut leur être refusée s’ils ne sont pas compétents. En France, comme le chirurgien-dentiste québécois sera inscrit dès le début de son stage, la seule solution en cas d’incompétence sera de lancer à son encontre une procédure disciplinaire. La loi HPST de 2009 a prévu la possibilité de poursuivre un praticien pour incompétence. Mais les décrets ne sont pas encore parus et le praticien ne risque que la suspension d’exercice pendant un temps limité.
Maryline Gouné-Cassard (57) doit vendre son cabinet et se sent bien seule dans cette démarche. Les Ordres départementaux pourraient-ils faire le lien entre les praticiens ?
Un module gratuit d’annonces est à la disposition des confrères sur le site du Conseil national de l’Ordre.
En réalité, le problème est démographique. Nous sommes entrés dans des années difficiles qui vont courir jusqu’en 2020. Chaque année, plus de 600 chirurgiens-dentistes ne trouvent pas de repreneur pour leur cabinet. Nous essayons de traiter ce problème primordial. Nous avons fait passer le numerus clausus de 800 à 1 154 en quelques années. Mais depuis 2 ans, à l’initiative des doyens, il est à nouveau bloqué. Nous avons aussi déposé des amendements, malheureusement pas pris en compte, en faveur d’un système de tutorat. Il s’agit d’encourager le jeune diplômé à exercer pendant 6 mois à 1 an là où il y a des problèmes démographiques. Nous demandons aussi à faire bénéficier les chirurgiens-dentistes des contrats d’engagement de service publique – CESP(3) – lancés pour les médecins puisqu’ils n’ont demandé et profité que de 200 bourses sur les 400 budgétées en 2011 !
Bruno Dailey (75) demande si l’affichage des prix dans la salle d’attente est déontologiquement acceptable.
Dans la salle d’attente, l’affichage des prix de cinq actes en soins conservateurs et de cinq actes en soins prothétiques est une obligation légale.
Et qu’en est-il de l’affichage des prix sur Internet ?
Nous ne pouvons pas interdire à un chirurgien-dentiste d’afficher sur Internet le tarif de l’implant qu’il propose de poser. Juridiquement, cet « affichage » est considéré comme une information donnée au patient et, de fait, elle n’est pas déontologiquement répréhensible. Il faut prendre acte de ce type d’information que l’on va malheureusement voir fleurir de plus en plus !
Au-delà de cette question d’affichage des honoraires, les sites Internet constituent un canal d’information difficile à contrôler. Nous avons une charte « de bonne conduite » à laquelle se référer. C’est généralement un confrère qui dénonce à l’Ordre l’illégalité d’un site. S’il y a une entorse au Code de déontologie, le praticien à l’origine du site est poursuivi devant la chambre disciplinaire. Quant à la publicité diffusée depuis l’étranger, nous ne pouvons pas légalement l’empêcher.
Une « dentiste de base » de province demande si vous pouvez abolir l’obligation de formation continue. Elle lui reproche de ne pas être gratuite, de proximité, adaptée aux emplois du temps et applicable.
La formation continue est obligatoire d’un point de vue législatif et déontologique. Nous sortons de la faculté avec une certaine compétence. Les évolutions sont très rapides dans notre profession et cela nous oblige à nous tenir à jour. Ce serait aberrant pour un chirurgien-dentiste de continuer à traiter les patients comme il l’a appris à la faculté pendant les 40 ans de la durée de son exercice. Il s’agit d’un problème de santé publique et de compétence.
Philippe Gault (75) demande quand le Conseil de l’Ordre agira en faveur de traitements en parodontie en favorisant la formation, en créant une spécialité et en autorisant les hygiénistes…
La parodontie fait partie de la formation initiale et doit impérativement être enseignée dans ce cursus. Avant le traitement, il y a la prévention qui, dans cette pathologie, prend une part très importante. Quant au fait de créer une spécialité « parodontologie », il nous faut déjà digérer, après 10 années de lutte, les deux nouvelles spécialités – chirurgie orale et médecine bucco-dentaire – que nous avons ardemment souhaitées.
Êtes-vous favorable à l’installation d’hygiénistes en France ?
Depuis le vote de la loi Fourcade le 13 juillet, les assistantes dentaires sont inscrites au Code de la santé publique et deviennent des professionnelles de santé. Cette étape très importante ouvre aussi des perspectives car les métiers paramédicaux sont régis par un décret d’actes. Si on observe dans quelques années un gros déficit en chirurgiens-dentistes, il nous suffira, avec l’accord de la profession, de demander à l’État de publier un décret pour que les assistantes dentaires soient autorisées, sous l’autorité des chirurgiens-dentistes, à pratiquer certains actes.
Le Conseil national militait en faveur de la reconnaissance d’un diplôme d’État comme pour toutes les autres professions paramédicales. Mais c’est l’option soutenue par le syndicat majoritaire qui a été retenue. À notre avis, c’est une erreur. En effet, le diplôme d’État aurait bénéficié d’une plus grande sécurité : les écoles, qui sont toutes privées, auraient été contrôlées par l’État, la qualité de l’enseignement n’en aurait été que meilleure. Le niveau de l’enseignement est actuellement très largement critiqué par nos confrères.
Quelle est la position de l’Ordre concernant les réseaux de mutuelles ?
L’Ordre est attentif au fait que les réseaux doivent être entièrement ouverts à tous les chirurgiens-dentistes.
Il reste la question du conventionnement individuel. Si le protocole respecte les règles déontologiques et s’il a été transmis au Conseil départemental, rien ne permet d’empêcher un chirurgien-dentiste de signer individuellement avec une complémentaire de santé. Les syndicats s’y opposent car ils veulent une convention applicable à tous. Le Conseil national soutient pleinement cette position car, à l’évidence, un praticien qui négocie seul ne fait pas le poids vis-à-vis d’un assureur ! Cela dit, sur ce plan, la démographie de notre profession plaide en notre faveur.
Philippe Martin et Éric Besch (90) remarquent que la contribution à l’Ordre est plus importante pour les chirurgiens-dentistes qui exercent en société (SEL, SCP, SCM). Pourquoi ne pas redistribuer cette « manne financière » sous la forme d’une baisse générale du niveau des cotisations ?
Il faut préciser que ce n’est pas nous qui avons demandé cette cotisation pour les SEL et SCP. Cette initiative est celle de l’Ordre des pharmaciens. Par ailleurs, elle ne représente que 3 500 cotisations. Et sur le montant total, une part revient au département, une autre à la région et une troisième à l’Ordre national.
Au passage, je vous signale qu’il y a double inscription à l’Ordre : le confrère et la société d’exercice. L’examen et les modifications des statuts prennent beaucoup de temps à l’Ordre.
Le Conseil de l’Ordre fait-il autre chose que de régler des problèmes de contentieux et de menacer les confrères ?, demande un praticien.
Contrairement à ce que pensent certains confrères, notre rôle disciplinaire est très peu important. Pour donner une idée, sur 36 salariés au Conseil national, 2 seulement sont en charge du disciplinaire. En revanche, notre activité de conseil sur les contrats ainsi que sur tous les problèmes de la profession est extrêmement importante. Et nous jouons un rôle majeur vis-à-vis des ministères puisque tous les décrets et les arrêtés nous sont soumis. Sur le plan législatif, nous sommes aussi très actifs. Nous l’avons montré au moment de la discussion sur les aspects de la proposition de loi Fourcade. Dans tous les cas, nous travaillons dans l’intérêt de la profession et surtout de la santé publique.
Nous avons donc un rôle administratif (enregistrement des diplômes, tenue des tableaux, etc.) ainsi qu’un rôle réglementaire (modification du Code de déontologie, etc.).
Le Conseil départemental, quant à lui, a un rôle très important de conciliation dans les litiges entre patient et praticien ou entre praticiens.
Quel bilan faites-vous de vos deux mandats ? Vous représenterez-vous ?
Pour ma première mandature, je m’étais engagé sur l’internat et sur la reconnaissance du statut de professionnelles de santé pour les assistantes dentaires : j’ai attendu la seconde mandature pour que se concrétise leur changement de statut. Je ne sais pas encore si je me présenterai à nouveau l’an prochain. Je ne suis pas épargné par des écrits diffamatoires qui, néanmoins, me touchent. La justice française étant très lente, il est possible qu’il soit nécessaire d’attendre jusqu’en 2015 pour un jugement définitif !
Fort heureusement, au sein du Conseil national de l’Ordre, je suis entouré par des conseillers qui me soutiennent. Nous travaillons dans un climat très serein.
(1) ARS : Agence régionale de santé
(2) DGCCRF : Direction générale de la concurrence
(3) CESP : Il s’agit là d’une bourse mensuelle de 1 200 euros attribuée à un étudiant à partir de la 2e année et contre laquelle il s’engage à s’installer dans une zone sous-dotée pendant un temps équivalent à celui pendant lequel il a perçu la bourse.
Quelle que soit la nationalité du praticien, l’origine du diplôme prévaut pour le droit d’exercice. Tout diplôme hors Union européenne doit passer devant la commission dite des “étrangers”.