IMPLANTOLOGIE
Hélène ARNAL* Kim-Mai PHAM-DUC** Louis MAMAN***
*Ancienne assistante hospitalo-universitaire, Département de chirurgie buccale, Paris Descartes
Attachée hospitalière, coresponsable de la consultation d’implantologie, service de Louis Maman, hôpital Charles-Foix
89, avenue de Villiers 75017 Paris
**Attachée hospitalière au sein de la consultation d’implantologie, service de Louis Maman, hôpital Charles-Foix
40, rue Jacob 75006 Paris
***Professeur des universités à la faculté de chirurgie dentaire de Paris Descartes
Praticien hospitalier
Chef du Service d’odontologie de l’hôpital Charles-Foix
12, rue Fouilloux 94200 Ivry-sur-Seine
La littérature médicale des 10 dernières années met en évidence que le protocole d’extraction avec implantation et temporisation immédiates pour une dent antérieure unitaire présente un cahier des charges précis. Le praticien doit s’inscrire dans une démarche de rigueur pour proposer ce protocole et respecter scrupuleusement ses indications afin d’obtenir en moyenne un taux de succès comparable à celui des protocoles conventionnels.
Le protocole d’extraction avec implantation et temporisation immédiates (EITI) dans le secteur antérieur apporte un confort significatif au patient : il lui évite de porter une prothèse provisoire souvent amovible et diminue le temps de traitement et le nombre d’interventions chirurgicales. Cet article est une revue de littérature scientifique qui réalise une synthèse des données disponibles sur les résultats de ce protocole.
La recherche documentaire a été effectuée grâce à PubMed afin d’identifier les études cliniques publiées entre 1997 et 2009. Les critères d’inclusion des études dans cette revue de littérature étaient : extraction avec implantation immédiate, mise en place d’une dent provisoire immédiatement après implantation, remplacement d’une dent unitaire dans le secteur antérieur, étude incluant un nombre suffisant de cas cliniques. Au total, 19 études ont ainsi été sélectionnées à partir de ces critères d’inclusion.
Dans la majorité des études retenues, les critères de sélection des patients étaient les suivants :
• bonne santé générale ;
• hygiène bucco-dentaire, santé parodontale ;
• patient motivé ;
• absence de parafonctions (bruxisme, onychophagie, etc.).
La sélection concernant le tabagisme varie selon les auteurs : non-fumeurs [1-3], fumeurs avec une consommation inférieure à 10 cigarettes par jour [4-8] ou inférieure à 20 cigarettes par jour [9].
La situation clinique devait respecter les critères suivants :
• volume de la crête osseuse suffisant pour la mise en place d’un implant ;
• présence d’au moins 4 mm d’os résiduel au-delà de l’apex (obtention d’un ancrage de l’implant suffisant) ;
• paroi osseuse vestibulaire au niveau de l’alvéole persistant après extraction de la dent [1, 10, 11]. Il pouvait arriver qu’une fenestration de la paroi vestibulaire soit mise en évidence. Celle-ci ne constituait pas une contre-indication à partir du moment où il restait 4 à 5 mm de paroi vestibulaire en cervical.
La situation clinique devait respecter les critères suivants :
• obtention d’une stabilité primaire suffisante : torque d’insertion ≥ 35-45 Ncm selon les études [5, 6, 12] ou ISQ > 62 (RFA) [4, 10] ;
• occlusion stable [2] et permettant la décharge occlusale de façon pas trop inesthétique de la dent concernée ;
• contour gingival favorable lors de la situation clinique initiale [6, 11, 13, 14].
Sont considérés unanimement comme des contre-indications :
• le fait que l’un des critères précités n’est pas respecté ;
• les dents présentant un contexte inflammatoire ou un foyer infectieux actif (fistule, pus, etc.).
En revanche, les auteurs sont partagés sur la conduite à tenir en présence d’une lésion chronique :
• 4 auteurs excluent du protocole les dents présentant un foyer infectieux quelle que soit sa nature [1, 8, 10, 12, 13] ;
• 6 auteurs n’en font pas mention dans leurs critères de sélection [2, 3, 7, 9, 10, 16] ;
• enfin, 7 auteurs [5, 6, 11, 13, 17, 18, 19] acceptent de pratiquer une EITI sur les dents porteuses d’une lésion périapicale chronique.
On peut constater ici que certains éléments ne peuvent être vérifiés qu’au cours de l’intervention (intégrité de la paroi vestibulaire si elle est fine, stabilité primaire de l’implant). Il faut donc anticiper l’éventualité de se retrouver dans l’impossibilité de réaliser ce protocole et prévoir une solution de remplacement sur laquelle se rabattre si nécessaire.
Au total, 792 implants ont été mis en place immédiatement après extraction, suivie d’une mise en temporisation immédiate. Parmi ces implants, la majorité a été placée au maxillaire (516 implants). Le taux de succès moyen était de 96,2 % pour une durée de suivi moyenne de 20 mois (tableau 1).
La perte osseuse moyenne à 1 an (calculée à partir de 11 études) était inférieure à 0,66 mm : l’os n’a pas subi plus de résorption qu’avec un protocole conventionnel. Cependant, les mesures n’ont pu être réalisées qu’en mésial et distal sur les radiographies rétroalvéolaires, nous n’avons donc pas d’informations concernant le niveau osseux vestibulaire (tableau 2).
La majorité des auteurs ont essayé de travailler sans lambeau si c’était possible ou au moins d’en réduire la taille. Neuf auteurs [2-4, 6-8, 13, 14, 19] comblent l’espace os-implant au moins dans certains cas ; 2 auteurs [4, 5, 19] préconisent l’utilisation de membranes résorbables si l’espace est supérieur à 2 mm et/ou en présence d’une fenestration ou d’une déhiscence (tableau 3).
La variation de la taille de la papille peut aussi être évaluée grâce à l’indice introduit par Jemt :
• l’indice 0 traduit l’absence totale de papille ;
• l’indice 1 une papille de moins de la moitié de la hauteur ;
• l’indice 2 une papille d’au moins la moitié de la hauteur ;
• l’indice 3 une papille occupant la totalité de l’espace interdentaire (tableau 4).
Trois études [9, 13, 17] portant chacune sur 67 à 282 implants ont obtenu des taux de succès compris entre 92,5 et 93,6 %. Quatre études [2, 9, 14, 17], avec un recul supérieur à 3 ans, présentent un taux de succès compris entre 92,5 et 94,1 %. Ces taux sont comparables, bien que dans la fourchette basse, aux taux de succès obtenus avec un protocole conventionnel. L’étude d’Avvanzo [17] est particulièrement intéressante puisque les implants ont été mis en charge en moyenne 3 semaines après leur pose : plus qu’un protocole d’extraction avec implantation et temporisation immédiates, cette étude évalue un protocole d’extraction avec implantation et mise en charge précoce sur implants unitaires antérieurs. Dans cette étude, 282 implants ont un taux de succès moyen de 93,6 %.
Sur les 9 études mettant en œuvre parallèlement des protocoles d’implantation avec temporisation immédiate dans des sites extractionnels (EITI) et cicatrisés (ITI), 6 [3, 7, 15, 16, 18, 19] présentent un taux de succès comparable ou supérieur pour les implants mis en place avec un protocole d’EITI.
En revanche, 3 études [1, 8, 9] comptent un taux de succès statistiquement inférieur pour les implants mis en place avec un protocole d’EITI : dans l’étude de Maló [8] publiée en 2000, tous les échecs (4 implants) ont été relevés dans des sites extractionnels (taux de survie de 85,2 % versus 100 %). L’auteur fait remarquer que parmi les 4 échecs, 2 ont été notés chez un même patient sur 2 sites qui suppuraient avant et pendant les extractions ; à l’instar de tous les auteurs de cette revue, il considère que cela aurait dû constituer une contre-indication à la mise en place immédiate des implants. Si on exclut ces 2 échecs, le taux de succès pour le groupe expérimental est alors de 92,6 %. En outre, l’auteur a réalisé une seconde série en 2003 de 22 cas d’EITI dont le taux de succès est de 100 %.
Degidi [9], qui présente un taux de survie de 92,5 versus 100 %, précise que pour 4 des 5 échecs, les critères d’inclusion n’avaient pas non plus toujours été respectés : stabilité primaire insuffisante (< 20 Ncm), paroi osseuse vestibulaire résiduelle résorbée sur plus du tiers de sa hauteur, hygiène insuffisante, tabagisme excédant 1 paquet par jour. Les auteurs en concluent néanmoins que l’EITI est associée à un risque d’échec plus important que l’ITI.
Dans l’étude de Chaushu et al. [1] (taux de survie de 82,4 % versus 100 %), les implants utilisés sont des implants Steri-Oss impactés cylindriques : la stabilité primaire est malaisée à obtenir avec les implants impactés et difficile à évaluer. Nous pouvons donc suspecter, comme première cause à ce taux de succès réduit, une stabilité primaire insuffisante. De plus, par rapport à la réalisation prothétique, l’auteur indique que « les contacts en relation centrée sont minimisés », mais pas totalement abolis. Il est donc permis de penser qu’en plus d’une stabilité primaire peut-être parfois insuffisante, les forces exercées sur les implants non ostéo-intégrés leur ont imprimé des micromouvements dépassant le seuil toléré par le processus de cicatrisation osseuse.
À noter que l’ensemble des échecs survient entre 0 et 4 mois après la pose des implants, ce qui encourage à attendre de 4 à 6 mois avant de confectionner la prothèse d’usage dans le protocole d’EITI.
Ce protocole permet de limiter la perte de hauteur de la gencive vestibulaire (perte comprise entre 0,4 mm [10] et 0,85 mm [4] à 1 an postopératoire). La papille interdentaire a perdu en moyenne entre 0,3 et 0,5 mm [6, 11] ; un tiers des papilles comblent totalement l’espace interdentaire et les deux tiers restants occupent au moins la moitié de cet espace à 1 an postopératoire [4, 5]. Ces résultats sont très bons mais montrent néanmoins que cette technique ne permet pas de garder l’intégralité du profil des tissus mous. On peut aussi se demander si avec un protocole conventionnel, dans ces situations qui présentent de l’os au niveau des dents adjacentes, on pourrait obtenir des résultats similaires. À notre connaissance, aucune étude n’a comparé les variations du niveau gingival avec un protocole d’EITI par rapport un protocole conventionnel.
Kan [11] et De Rouck [6] ont mesuré les niveaux gingivaux à 0, 1, 3, 6 et 12 mois. Les résultats de ces 2 études montrent que la perte tissulaire se concentre majoritairement au moment de l’intervention.
Cornelini [4] compare un groupe expérimental qui reçoit une greffe conjonctive prélevée au palais et suturée sous le lambeau vestibulaire et un groupe témoin qui n’est pas greffé. L’auteur conclut que la stabilité des tissus mous est nettement améliorée par la réalisation concomitante d’une greffe gingivale. Cette dernière permettrait ainsi de maintenir parfaitement le niveau de la gencive vestibulaire. En revanche, la papille, même avec réalisation d’une greffe gingivale, n’est conservée intégralement que dans 2 cas sur 3 [4].
Ces résultats concernent des études à court et moyen termes. Ce qu’on pourrait craindre dans un tel protocole sont les conséquences de la résorption osseuse vestibulaire postextractionnelle, qui a lieu même en présence d’un implant [21, 22]. Cette résorption, si elle est trop marquée, pourrait laisser apparaître en transparence un grisé lié à la présence de l’implant directement sous la gencive. Elle pourrait aussi théoriquement entraîner une perte d’attache des tissus péri-implantaires, notamment vestibulaires, qui pourrait alors se manifester par une récession gingivale inesthétique. De Rouck, dans une revue de littérature publiée en 2008 [20], émet une réserve concernant l’application d’un tel protocole sur des patients présentant une gencive fine. Malgré tout, ces études, dont 4 présentent un recul d’au moins 3 ans, ne semblent pas du tout mettre en évidence une telle tendance. On peut considérer que si, à 3 ans, le résultat esthétique est stable, il le restera très probablement dans le temps. Des études avec un recul plus important permettraient toutefois de le confirmer.
Une autre difficulté de l’implantation immédiate après extraction est l’inadéquation entre le site d’extraction et la forme de l’implant. Cette inadéquation crée un espace vide plus ou moins important entre l’implant et la paroi osseuse. Actuellement, il n’y a pas de consensus en ce qui concerne la nécessité de combler cet espace et, dans le cas où ce comblement serait réalisé, sur la technique la plus appropriée à utiliser. Les avis divergent sur l’utilisation des techniques de régénération osseuse guidée (ROG) : dans cette revue de littérature, seuls 2 auteurs les utilisent [4, 5, 19].
Cette technique est exposée au travers de 2 cas (fig. 1 à 28).
Cette approche combinant la mise en place immédiate d’implants dans des sites extractionnels avec une restauration provisoire non fonctionnelle apporte un confort significatif au patient. Elle permet aussi une bonne préservation de l’architecture gingivale. Ce protocole a un taux de succès comparable à celui du protocole conventionnel si les patients sont sélectionnés et les indications respectées : on constate, dans certaines études, une baisse significative du taux de succès dès que les critères de sélection ou de réalisation ne sont pas scrupuleusement respectés. Afin de conserver des taux de succès comparables à ceux des techniques conventionnelles, le praticien doit s’inscrire dans une démarche rigoureuse sans céder à la pression du patient. En effet, ce n’est parfois que le jour de l’intervention qu’il peut vérifier que l’ensemble des conditions requises sont bien réunies. L’anticipation et l’information préalables du patient évitent alors d’être acculé à réaliser une EITI dans une situation clinique qui se révélerait ne pas remplir le cahier des charges de ce protocole.