ÉTHIQUE
Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique
S’il est une chose incertaine, c’est bien l’avenir. Pourtant, on ne peut vivre sans se projeter, sans anticiper. Quatre enjeux pour la profession : vieillissement, densité, assurance privée et nouveaux besoins de soins.
Dans cette chronique, je vais poser quatre questions qui correspondent à autant de situations que la profession va avoir à affronter dans les années qui viennent et qui posent des interrogations d’ordre éthique.
Avant cela, rappelons qu’il est vain de réduire l’éthique à la déontologie. La déontologie a rapport avec le droit et renvoie à des valeurs qu’elle n’interroge pas. L’éthique, puisqu’il faut faire une distinction, porte justement sur un questionnement de ces valeurs, leur mise à jour et en perspective. L’éthique est un va-et-vient entre la pratique et la morale. C’est une position interrogée face à la vie et aux événements.
Le vieillissement de la population est une vérité statistique. Si l’on voit, par exemple, de plus en plus d’édentés, la part de l’édentement complet va en se réduisant. L’immense majorité des plus de 65 ans, sachons-le, ne vivent pas en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) mais à domicile. La fragilité devient une quasi-certitude vers 85 ans. Cela pose de nombreux problèmes. Déjà, d’accès aux soins : rejoindre un cabinet, y entrer, y être accueilli dans une temporalité ralentie. On attend beaucoup des réseaux. Trop. Le drame est plus profond. L’autre grand volet est celui du soin et de la prévention. La prévention devrait être mise en œuvre bien en amont de la retraite. Le soin à la personne vieillissante fragile requiert un questionnement inhabituel pour nous, puisque typiquement gériatrique, face aux modalités du plan de traitement : nous ne sommes pas prêts.
D’autant que la densité de praticiens par habitant va en se réduisant. La question ici est celle du système de santé. Fondé sur les valeurs actuelles, c’est un carnage annoncé (liste d’attente, surcharge des agendas) que l’amélioration de la santé orale ne viendra pas contrebalancer. S’il est impératif de se doter d’hygiénistes dentaires, cela reste encore une réponse du XXe siècle, quoique nécessaire. Le système, l’orientation de la pratique vers la prévention par la redistribution de la nomenclature, voire la suppression de ce système de protection sociale pour un autre, sont des questionnements que nous devrions mener au sein même de notre profession.
La disparition de l’Assurance maladie des soins dentaires est annoncée, mais elle est déjà effective. C’est le secteur privé qui s’empare du financement. Avec sa logique, lucrative. Et entre l’enclume des consommateurs et le marteau des assurances, vous savez déjà qui se trouve. Ce n’est pas un risque, c’est une direction, nous nous orientons vers un système à l’américaine avec, d’un côté, du tout privé et, de l’autre, un filet de sécurité pour les plus démunis.
De nouveaux besoins de soins vont émerger. Si la demande esthétique enfle doucement au fur et à mesure que la pression sociale croît (nous amenant même à pratiquer des injections à visée esthétique – ce qui est un bon sujet éthique), il faut s’attendre à traiter beaucoup de cas liés à l’iatrogénie des traitements, que ce soit le brossage excessif du jeune adulte ou l’hygiène impossible des bridges implanto-portés lorsque les habiletés décroissent. Les enjeux sont énormes.
L’avenir, tel que nous l’avons imaginé ici, n’est ni bon ni mauvais. Il est même largement imprévisible. Il y a deux choses qui ne changeront pas : que la médecine soit une volonté de l’humanité de porter secours et soins pour lutter contre la fatalité et que cette activité soit le siège de questions éthiques fondamentales sur les soins, la maladie, la santé, la personne, la recherche et la connaissance.