Clinic n° 06 du 01/06/2011

 

URGENCE

Stéphane MILLIEZ*   Maen Georges ALISSA**  


*DESCB, Assistant hospitalo-universitaire, Service
d’odontologie de l’hôpital Charles
Foix, Université Paris Descartes
drmilliez@hotmail.com
**Étudiant DESCB, Service
d’odontologie de l’hôpital Charles
Foix, Université Paris Descartes
issamaen@gmail.com

La cellulite périmaxillaire d’origine dentaire ou « abcès dentaire » est la complication sévère des infections dentaires. Cette infection bactérienne affecte, par diffusion, les tissus cellulo-adipeux remplissant des loges anatomiques qui jouxtent les maxillaires. Ces loges sont délimitées par des plans musculaires, aponévrotiques et osseux et communiquent entre elles.

Elle ne présente généralement pas de caractère de gravité. Le traitement adapté de la collection...


La cellulite périmaxillaire d’origine dentaire ou « abcès dentaire » est la complication sévère des infections dentaires. Cette infection bactérienne affecte, par diffusion, les tissus cellulo-adipeux remplissant des loges anatomiques qui jouxtent les maxillaires. Ces loges sont délimitées par des plans musculaires, aponévrotiques et osseux et communiquent entre elles.

Elle ne présente généralement pas de caractère de gravité. Le traitement adapté de la collection et de la porte d’entrée dentaire aboutit le plus souvent à une évolution favorable de la situation.

Il existe parfois des signes « inhabituels » qui traduisent une forme de gravité avec diffusion cervico-faciale. Les complications alors graves que l’on redoute sont la médiastinite, l’obstruction des voies aériennes supérieures, la thrombose jugulaire ou la pneumonie[1]. C’est une urgence vitale nécessitant une hospitalisation avec une prise en charge médico-chirurgicale pluridisciplinaire. La mortalité est d’environ 30 % [2, 3]. 90 % de ces cellulites cervico-faciales ont une porte d’entrée dentaire [4, 5].

La cellulite péri-maxillaire est la deuxième cause la plus fréquente (33 %) d’urgences odontologiques [6]. Il est donc important de savoir évaluer le degré de gravité de la cellulite périmaxillaire et de déterminer l’acte thérapeutique d’urgence le plus adapté.

PORTE D’ENTRÉE INFECTIEUSE

Plusieurs pathologies dentaires peuvent être à l’origine de l’infection [7, 8].

La nécrose de la pulpe dentaire est la cause la plus fréquente. Principalement secondaire à la carie, l’infection diffuse à travers le réseau endocanalaire vers l’espace desmodontal du périapex. Elle peut évoluer en phase aiguë d’emblée ou passer en phase chronique avec apparition d’un granulome/kyste péri-apical se « réveillant » lors d’un épisode de parodontite apicale aiguë. Cette nécrose pulpaire peut aussi être d’origine traumatique (évolution à bas bruits).

L’infection va alors diffuser à travers l’os, traverser la corticale puis décoller et rompre le périoste s’ouvrant vers la loge anatomique la plus proche.

L’étiologie parodontale est la deuxième cause d’infection aiguë. L’alvéolyse atteint directement le desmodonte et peut provoquer d’une part la nécrose pulpaire a retro et d’autre part la rupture du périoste et la diffusion vers la loge anatomique adjacente.

La péricoronarite d’éruption ou de désinclusion en particulier de la dent de sagesse peut se compliquer rapidement en cellulite [9].

L’origine iatrogène peut constituer une porte d’entrée infectieuse notamment après une restauration à proximité pulpaire, un traitement endocanalaire insuffisant ou incomplet, une chirurgie parodontale ou une extraction avec persistance de tissu de granulation.

BACTÉRIOLOGIE

La cellulite est une infection polymicrobienne provenant de la flore buccale déjà présente et associant des germes aérobies et anaérobies [1, 10]. Selon les auteurs, différentes associations peuvent être mises en cause : des entérobacters aérogènes et des streptocoques aérobies et anaérobies [8, 11], des bacilles à Gram négatif et des Cocci à Gram positif et à Gram négatif, ainsi que l’association ­Spirochètes-Fusobacteriae particulièrement virulente [7]. Pour d’autres, on retrouve principalement Prevotella, Porphyromona gingivalis, Fusobacterium et Cocci anaérobies à Gram positif [12].

LE PATIENT

Certains facteurs de risque sont fréquemment retrouvés dans les cas les plus graves des cellulites périmaxillaires. De façon systématique, il faut connaître l’état de santé générale du patient, l’anamnèse de la pathologie et les éventuelles médications en cours.

L’affaiblissement des défenses de l’hôte (immunodépression) est un facteur souvent rapporté dans les infections les plus graves notamment en présence d’une pathologie systémique (diabète, VIH…) [13, 14]. On rencontre également des facteurs physiologiques (âge, grossesse, carences nutritionnelles) et des facteurs environnementaux (traumatismes physique ou psychique, alcoolo-tabagisme).

La prise de certains médicaments (prescrits ou en automédication) peuvent favoriser la gravité de l’infection. Une antibiothérapie inadaptée sans traitement de la dent causale lors d’un premier épisode infectieux peut favoriser la sélection des germes et leur résistance au traitement.

La prise d’anti-inflammatoire non stéroïdiens (AINS) est très fréquemment retrouvée dans les cas de cellulites cervico-faciales sévères engageant le pronostic vital [10, 13, 15]. Certains préfèrent les éviter [16, 17] car cela affaiblirait les défenses de l’hôte. Pour d’autres, le rôle de l’ibuprofène dans la sévérité de la cellulite n’est pas clairement démontré [18].

Le mauvais état bucco-dentaire et les foyers infectieux dentaires négligés par le patient sont fréquemment rapportés comme facteur de risque.

DENT CAUSALE ET PROPAGATION DE L’INFECTION

La loge anatomique atteinte dépend de la zone d’implantation de la dent causale. La dent causale et la direction de diffusion de l’infection déterminent la gravité potentielle de la cellulite [8].

Les cellulites maxillaires ont un risque faible de complication majeure par diffusion cérébrale et thrombophlébite du sinus caverneux. Les cellulites mandibulaires qui diffusent plus facilement vers les espaces cervicaux, les voies aériennes et le médiastin sont donc considérées comme plus à risque [8].

Au maxillaire, on retrouve selon les dents causales [7] :

• groupe incisif : en vestibulaire, la cellulite labiale supérieure ou la cellulite sous-narinaire selon que l’infection se propage en dessous ou au-dessus du muscle myrtiforme. En palatin, c’est l’abcès palatin (l’incisive latérale est alors très souvent en cause avec tuméfaction limitée adhérant fermement au plan osseux).

• canine : la cellulite naso-génienne (fig. 1) avec tuméfaction externe palpébrale inférieure.

• groupe prémolaire-molaire : en vestibulaire, la cellulite génienne haute, la cellulite infratemporale (rare, en rapport avec les molaires et s’accompagnant d’un trismus important) quand la diffusion est au-dessus des insertions du muscle buccinateur. En dessous, c’est la cellulite vestibulaire supérieure. L’abcès palatin est en rapport avec les racines palatines.

À la mandibule, on retrouve selon les dents causales :

• groupe antérieur : en vestibulaire, la cellulite labiale inférieure ou la cellulite mentonnière, selon que l’infection diffuse au-dessus ou en dessous des muscles carré et de la houppe du menton.

• groupe prémolaire-molaire : en vestibulaire, la cellulite génienne basse (fig. 2) (avec limitation de l’ouverture buccale et soulèvement de la muqueuse vestibulaire) ou la cellulite massétérine (très rare avec tuméfaction sur la face externe de l’angle mandibulaire en arrière du muscle masséter, en rapport avec la dent de sagesse s’accompagnant d’un trismus très serré et de douleurs intenses). En lingual, selon la longueur des racines, l’infection va diffuser au-dessus des insertions du muscle mylo-hoïdien, c’est la cellulite du plancher buccal (plutôt en rapport avec la 1re molaire avec soulèvement du sillon pelvi-lingual, trismus, dysphagie avec hyper salivation et gêne à l’élocution), ou en dessous et c’est la cellulite sous mandibulaire (fig. 3) (possibilité d’extension vers l’espace sus-hyoïdien et les espaces cervicaux).

Si l’infection se propage aux voies veineuses et lymphatiques, il existe un risque de septicémie, heureusement très rare [2].

TABLEAUX CLINIQUES DES CELLULITES PÉRI-MAXILLAIRES LOCALISÉES OU « CIRCONSCRITES »

Le stade séreux

C’est le stade initial purement inflammatoire. Il survient après une algie dentaire ou en même temps. Il présente surtout des signes cliniques locaux, les signes généraux étant pratiquement inexistants (tabl. I). La radiographie panoramique et/ou rétroalvéolaire montrent un épaississement desmodontal et une image radioclaire apicale.

Le stade suppuré

Il apparaît 2 à 3 jours après en l’absence de traitement ou en cas de prise en charge inappropriée. Le patient relate une douleur continue et lancinante parfois irradiante à l’hémiface homolatérale. Il dort peu depuis quelques jours et a du mal à s’alimenter. L’examen endobuccal s’avère difficile (tabl. I). Des signes généraux sont présents en rapport avec l’importance de la diffusion. La radio­graphie rétroalvéolaire est difficile à réaliser. On s’orientera alors vers la radiographie panoramique.

Si la prise en charge est tardive, il faut être vigilant à l’apparition de certains signes cliniques « inhabituels » (tabl. II). Ce sont des signes de gravité de l’infection qui s’étend aux loges adjacentes et peuvent engager le pronostic vital [7].

En l’absence de traitement ou lors d’une prise en charge inadaptée, la cellulite suppurée évolue le plus souvent vers la fistulisation ­buccale ou cutanée (fig. 5). C’est le passage à la cellulite chronique ou subaiguë.

LA CELLULITE DIFFUSE OU FASCIITE NÉCROSANTE

C’est une infection qui s’étend aux aires cervico-faciales soit à la suite d’une cellulite périmaxillaire non ou mal traitée, soit le plus souvent d’emblée sans tendance à la limitation (c’est la toxi-infection). C’est une urgence vitale avec extension rapide et profonde de l’infection et nécroses tissulaires. Les signes généraux prédominent avec parfois un tableau de choc septique. L’hospitalisation en urgence dans un service spécialisé est requise.

CONDUITE À TENIR FACE À UNE CELLULITE PERIMAXILLAIRE EN URGENCE

Cette conduite est détaillée dans le tableau III.

TRAITEMENT

Le traitement en urgence des cellulites circonscrites périmaxillaires prend en compte la dent causale, le stade de la collection et la sévérité de l’infection [7, 19].

LA CELLULITE SÉREUSE

Le traitement étiologique dépend de la conservation ou non de la dent causale (tabl. IV).

Si elle est conservable, elle sera ouverte, sous anesthésie locale. On réalise un début de mise en forme du réseau canalaire (les deux tiers coronaires) sous irrigation contrôlée à l’hypochlorite de sodium (entre 2,5 et 5 %). Puis on passe une lime de petit diamètre (lime K n° 10) légèrement au-delà de l’apex en vue d’obtenir un drainage. La dent est laissée ouverte jusqu’à la prochaine séance. Alors, 48 à 72 heures après, on place de l’hydroxyde de calcium dans les canaux. On renouvelle ce geste à 10 jours jusqu’à disparition complète des signes cliniques. Puis, le traitement endodontique peut être finalisé avec une restauration hermétique de la partie coronaire.

Si la dent n’est pas conservable, elle sera extraite si possible dans la séance pour assurer le drainage avec curetage et nettoyage rigoureux du site d’extraction.

Le traitement de l’infection est assuré par une antibiothérapie probabiliste à large spectre (tabl. V) [20, 21]. La prescription d’antibiotiques ne devra jamais se substituer à l’acte chirurgical indispensable.

On associera des antalgiques de niveau 2 (1 g de paracétamol et 60 mg de codéine 3 fois par jour pendant 72 heures) ainsi que des bains de bouche antiseptiques (povidone iodée ou chlorhexidine 0,12 % 3 fois par jour pendant 7 jours).

LA CELLULITE SUPPURÉE

Le traitement est le même que pour la cellulite séreuse. Mais il faudra traiter la collection par drainage (tabl. VI). En cas de conservation de la dent causale, le drainage se fait par voie endocanalaire (fig. 4) et/ou par incision de la collection, sinon par voie alvéolaire lors de l’extraction. L’incision de drainage endobuccal se fait selon un protocole bien précis [7].

En cas de trismus serré, pour une cellulite à collection externe, le drainage doit se faire par voie cutanée (cas n° 6) dont le protocole est détaillé dans le tableau VII.

LA CELLULITE DIFFUSE OU FASCIITE NÉCROSANTE

La prise en charge médico-chirurgicale se fait en milieu hospitalier avec une équipe pluridisciplinaire. Des séquelles esthétiques (cicatrices de drainage cutané) ou fonctionnelles (en rapport avec les nécroses tissulaires) peuvent persister [11]. Le pronostic vital du patient est en jeu avec une mortalité de 30 % environ.

Bibliographie

  • 1. Boscolo-Rizzo P, Marchiori C, Montolli F, Vaglia A, Da Mosto MC. Deep neck infections : a constant challenge. ORL J Otorhinolaryngol Delet Spec 2006 ; 6 : 259-65.
  • 2. La Rosa J, Bouvier S, Langeron O. Prise en charge des cellulites maxillofaciales. EMC (Elsevier Masson SA, Paris), Anesthésie réanimation, 2008 ; 12 : 309-315.
  • 3. Laninsnik B, Cizmarevic B. Necrotizing fasciitis of the head and neck : 34 cases of a single institution ­experience. Eur Arch Otorhinolaryngol 2010 ; 26(7) : 415-21.
  • 4. Huang TT, Liu TC, Chen PR, Tsen FY, Yeh TH, Chen YS. Deep Neck infection : Analysis of 185 cases. Head Neck 2004 ; 26(10): 854-60.
  • 5. Reynolds SC, Clow AW. Life threatening infections of the peripharyngal and deep facial spaces of the head and neck. Infect Dis Clin North Am 2007 ; 21(2): 557-76.
  • 6. Ahossi V, Devoize L, Tazi M, Perrin D. Urgences odontologiques au centre hospitalier universitaire de Dijon. Analyse de 12 mois d’activité. Clinic 2002 ; 23 : 165-70.
  • 7. Peron J-M, Mangez J-F. Cellulites et fistules d’origine dentaire. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), 2008 ; Médecine Buccale, 28-405-G-10.
  • 8. Flynn TR, Shanti RB, Levi MH, Adamo AK, Kraut RA, Trieger N. Severe Odontogenic Infections, part1 : Prospective Report. J Oral Maxillofac Sur 2006 ; 64 : 1093-103.
  • 9. Peron J-M. Accidents d’évolution des dents de sagesse. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Médecine buccale, 2008 ; 28-270-M-10.
  • 10. Righini CA, Motto E, Ferretti G, ­Boubagra K, Soriano E, Reyt E. Cellulites cervicales extensive et mediastinite descendante nécrosante. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac 2007 ; 124 : 292-300.
  • 11. Dubernard C, Bellanger S, Chambon G, Léon H, Torres J-H, Lozza J. Cellulite d’origine dentaire engageant le pronostic vital : à propos d’un cas. Med Buccale Chir Buccale 2009 ; 15(3): 119-25.
  • 12. Dubreuil L, Neut C. Arguments microbiologiques pour optimiser l’antibiothérapie empirique des cellulites cervico-faciales. Med Buccale Chir Buccale, 2005 ; 11 : 7-15.
  • 13. El Ayoubi A, El Ayoubi F, Mas E, Guertite A, Boulaïch M, Essakalli L et al. Cellulites cervico-faciales diffuses d’origine dentaire : à propos de 60 cas. Med Buccale Chir Buccale 2009 ; 15(3): 127-35.
  • 14. Kwiatkowski D. Susceptibility to infection. BMJ 2000 ; 312 : 1061-5.
  • 15. Peterson LJ. Contemporary management of deep infections of the neck. J Oral Maxillofac Surg 1993 ; 51 : 226-31.
  • 16. Muster D. Médicaments de l’inflammation. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Stomatologie 2005 ; 22-012-C-10.
  • 17. Chalom A, Courrier B. Face à l’inflammation : la prescription d’anti-inflammatoire est-elle nécessaire ? Real Clin 2006 ; 17 : 25-36.
  • 18. Bernard GR, Wheeler AP, Russell JA, Schein R, Summer WR et al. The effects of Ibuprofen on the physiology and survival of patients with sepsis. The Ibuprofen in Sepsis Study Group. N Engl J Med 1997 ; 336 : 912-8.
  • 19. Boucher Y, Cohen E. Urgences dentaires et médicales. Edition CDP, 2007.
  • 20. Gill Y, Scully C. Orofacial odontegenic infections : Review of microbiology and current treatment. Oral Surg Oral Med Oral Pathol 1990 ; 70 : 155-8.
  • 21. Grollier G, Mory F, Quentin C, Girard-Pipau F, Tigaud S, Sedallian A, Dubreuil L. Sensibilité des anaérobies stricts en France : étude multicentrique. Pathol Biol 1994 ; 42 : 498-504.