ÉTHIQUE
Chirurgien-dentiste, titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’un master d’éthique médicale et biologique
L’évolution de la connaissance de la pathologie de l’ATM1 et de la manducation nous a vraiment fait changer de millénaire. Aujourd’hui, elle nous permet de soigner de façon moins agressive.
Du point de vue de la pathologie, étymologiquement « le discours sur la maladie », il semble que les années 1990 ont été le moment d’une grande réévaluation des concepts et d’une remise en cause des pratiques acquises. Depuis les années 2000, avec l’exigence de méthode dans les études et des avancées dans différents domaines (neurologie, pharmacologie, etc.), les pratiques ont été réévaluées à l’aune de leurs effets constatés en clinique (approche inductive) et non de la causalité supposée en théorie (approche déductive). L’occlusodontie, pour le dire ainsi, ou tout ce qui s’occupe de traiter les troubles de l’ATM et de la manducation, vit une sorte de période de crise particulière qui ressemble à une renaissance, référence faite à la période historique qui vit l’Europe occidentale sortir d’un Moyen Âge plus riche qu’on nous l’a fait croire pour s’ouvrir sur l’époque moderne et l’humanisme, la découverte d’un nouveau continent, de l’altérité des civilisations, et un regard neuf sur l’Antiquité.
Si le traitement des troubles liés à l’ATM se retrace jusqu’à la première œuvre médicale majeure qui nous est parvenue, celle d’Hippocrate, voire au-delà, il faut dater aux XVIIIe et XIXe siècles l’établissement de tout un corpus qui reconnaît la pathologie de l’occlusion et de l’ATM en tant que telle2. L’élément central est « la conviction que la fonction et, en conséquence, la santé des articulations temporo-mandibulaires et des muscles associés étaient essentiellement dépendantes de l’occlusion3 ». C’est la croyance centrale (axiomatique) du modèle. Va s’ajouter l’idée pour la thérapeutique que le traitement requiert une conception particulière de la relation entre les mâchoires et de l’occlusion4. C’est l’attribution causale. Cela a conduit à des traitements très agressifs, sans grande efficacité sur les symptômes finalement.
Une progressive remise en cause de ce modèle s’est faite avec des progrès comme ceux de la neurophysiologie de la douleur et de la neuropharmacologie. L’approche a changé et de grandes demandes et activités de publication de critères d’évaluation ont vu le jour dans les années 1980 et 1990 avec une insistance sur le rôle du diagnostic différentiel. Aujourd’hui, le travail doit se faire en équipe multidisciplinaire avec des critères portés sur l’évaluation des effets et de la santé.
L’état des sciences et la disposition mentale des époques étudiées ont montré un basculement d’un modèle A (croyance anatomo-musculo-mécanique + thérapeutique de la correction, de la cause + raisonnement déductif + évaluation théorique sur la correspondance au modèle) à un modèle B (incertitude, sortie de contexte de crise scientifique + thérapeutique pluridisciplinaire, étiologique + raisonnement inductif et évaluation sur des critères de santé).
Nous voilà donc à une renaissance : un retour vers un humanisme, la découverte de la polysémie de la maladie, l’intégration progressive de l’altérité du patient et une forme de retour vers des conceptions antérieures non exclusivement biomécaniques.
Cela est un bel exemple d’évolution et de constitution d’un modèle scientifique et de pratiques thérapeutiques dont les méthodes sont fonction du concept admis de son objet.
1. Articulation temporo mandibulaire
2. McNeill C. History and evolution of TMD concepts. Oral Surg Oral Med Oral Pathol Oral Radiol Endod,1997 ; 87:51-60.
3. Ibid., p. 51 (traduction personnelle).
4. Ibid., p. 53 (traduction personnelle).