Clinic n° 06 du 01/06/2011

 

GÉRER

PASSIONS

Catherine BIGOT  

La thèse de Marie Franchiset a servi de trame à un livre qui vient de paraître aux éditions L’Harmattan : Le chirurgien-dentiste dans le cinéma et la littérature du XXe siècle. Son auteur y confronte les représentations du métier à la pratique dentaire d’aujourd’hui pour, au final, redorer le blason des chirurgiens­dentistes et rassurer les patients.

Qu’est-ce qui vous a amenée à choisir d’écrire sur ce sujet ?

Je ne voulais pas faire une thèse classique. C’est venu tout seul parce que j’ai baigné très jeune dans les œuvres cinématographi­ques et littéraires, une passion qui m’a été transmise par mes parents. Ensuite, j’ai visionné un film dans lequel l’un des personnages était chirurgien-dentiste et l’idée s’est concrétisée. Après, j’ai eu la chance de trouver un directeur de thèse qui a été intéressé par le sujet.

Comment est né le livre ?

C’est le Dr Xavier Riaud, directeur de la collection « Médecine à travers les siècles » aux éditions L’Harmattan, qui a lu ma thèse et qui m’a ensuite contactée pour que nous travaillions ensemble sur ce projet.

Quelle représentation du chirurgien-dentiste donnent donc la littérature et le cinéma ?

Une représentation le plus souvent caricaturale, grotesque… et surtout obsolète. Le chirurgien-dentiste est généralement un notable élitiste et fortuné, très attaché à son image, qui s’intéresse plus à l’argent qu’à son métier. Le chirurgien-dentiste menteur est aussi un cliché souvent véhiculé et qui a la vie dure. C’est presque toujours un homme, certes travailleur et compétent, mais aussi un séducteur qui entretient des relations ambiguës avec son assistante. Ce n’est pas seulement son métier qui est caricaturé, c’est la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il appartient.

Cette représentation a-t-elle évolué au cours des décennies ?

Non, je ne trouve pas. Quand on voit les films actuels, on s’aperçoit que le métier de chirurgien-dentiste est choisi par les auteurs parce que le personnage est facile et rapide à camper. On est donc toujours dans la caricature. Le cinéaste, tout comme l’écrivain, s’appuie sur l’image du chirurgien-dentiste ancrée dans l’inconscient collectif pour s’éviter de longs descriptifs.

L’objectif de ce livre n’est-il pas d’abattre les préjugés ?

Si, bien sûr. Certes les clichés ne sont pas nés de la littérature et du cinéma, mais ils sont largement entretenus par ces médias. Ils font du tort à la profession en véhiculant des peurs, notamment celle de la douleur, sans cesse régénérées.

D’après vous, en 2011, les préjugés ont-ils bougé ?

Non. Là où on le ressent le plus, c’est quand on soigne les enfants. On voit bien ce qui a été imprimé dans leur tête par leurs parents. Cela dit, je reconnais que certains chirurgiens-dentistes correspondent encore d’assez près à la caricature qui en est faite dans les films et les livres. Question de génération, mais hélas pas seulement. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le travail n’est aujourd’hui plus le même. Les patients, mieux informés qu’avant, sont plus désireux de savoir ce qui se passe dans leur bouche. Le chirurgien-dentiste se sent moins « au-dessus » de son patient et l’intègre davantage dans la prise de décision. Et puis le mode de vie des chirurgiens-dentistes a changé lui aussi : ils travaillent moins et ont donc moins de revenus. L’écart de niveau de vie avec le reste de la population active est moins sensible. Par ailleurs, le métier se féminise beaucoup. Quant à la douleur, elle fait maintenant partout l’objet d’une prise en charge globale.

Ce qui apparaît à la lecture de votre livre, c’est qu’au-delà du travail de recherche et d’analyse, vous avez envie de faire passer un message.

Oui, quand j’ai rédigé ma thèse, j’avais déjà une démarche clairement militante. Je trouvais que les relations entre les patients et les praticiens devaient évoluer et que le stéréotype inscrit dans l’inconscient collectif ne correspondait plus du tout à la réalité. Aujourd’hui, notre travail de chirurgien-dentiste doit avant tout consister à amener le patient à prendre conscience, et à prendre soin de son état bucco-dentaire. De son côté, le patient doit changer son attitude en allant plus loin que la simple demande de soulagement de sa douleur. Il y a heureusement maintenant une relation plus simple entre le chirurgien­dentiste et son patient, fondée sur la confiance. Simplifier les rapports, cela veut dire expliquer et proposer en laissant le patient faire des choix.

Si vous deviez conseiller un livre, lequel serait-ce ?

Parle-moi un peu de Cuba, de Jesús Diaz, m’a marquée car le personnage principal, qui vit et travaille à Cuba, est un chirurgien-dentiste d’État qui se trouve dans une situa­tion très éloignée du monde libéral. Cela permet de découvrir un autre mode d’exercice que le nôtre. Dans Le vieux qui lisait des romans d’amour, de Luis Sepúlveda, l’un des personnages est un dentiste itinérant qui exerce dans des endroits reculés d’Amazonie. On a là une vision violente du métier, fondée sur une pratique ancienne qui s’apparentait à la boucherie.

Et un film ?

Kennedy et moi, de Sam Karmann, montre une étudiante en dentaire qui voue un véritable culte à l’un de ses professeurs. On voit bien qu’au-delà du métier de chirurgien-dentiste, elle rêve surtout de s’embourgeoiser et d’accéder à un statut. On est totalement dans le cliché mais c’est très drôle.

Quelques mots sur l’auteur

Marie Franchiset a soutenu sa thèse à la faculté de Nantes en décembre 2002. Elle a effectué des stages au Kosovo et à l’hôpital Saint-Jacques de Nantes avant de faire quelques remplacements à la campagne. Elle est installée boulevard Dalby, dans le centre-ville de Nantes, depuis 2006.