ANTICIPATION
Marc BARANES* Myriam YOUSFI** Yaovi TCHETCHOU***
*Assistant hospitalo-universitaire,
Faculté de chirurgie dentaire Paris
Descartes, Hôpital Charles-Foix
(AP-HP)
**Assistant hospitalo-universitaire,
Faculté de chirurgie dentaire Paris
Descartes, Hôpital Charles-Foix
(AP-HP)
***Ancien interne des Hôpitaux
La décision d’extraire une dent, dont le pronostic fonctionnel et esthétique à long terme est réservé, sera fonction de nombreux facteurs liés aux patients (état de santé générale, motivation…) et de facteurs propres à la situation clinique (atteinte parodontale, échec du traitement endodontique, stratégie de réhabilitation prothétique…) [1]. Actuellement, les maladies parodontales semblent constituer la première cause...
La décision d’extraire une dent, dont le pronostic fonctionnel et esthétique à long terme est réservé, sera fonction de nombreux facteurs liés aux patients (état de santé générale, motivation…) et de facteurs propres à la situation clinique (atteinte parodontale, échec du traitement endodontique, stratégie de réhabilitation prothétique…) [1]. Actuellement, les maladies parodontales semblent constituer la première cause d’avulsions, qu’elles soient réalisées pendant la phase active du traitement parodontal ou lors de la phase de soutien thérapeutique [2].
La perte de l’organe dentaire est associée à une résorption irréversible du support osseux alvéolaire pouvant compromettre le projet prothétique et le résultat esthétique, particulièrement dans le secteur antérieur. Pour limiter au maximum cette perte osseuse postextractionnelle, la technique chirurgicale employée, différente selon la situation clinique, doit être aussi atraumatique que possible. Elle sera parfois associée à des techniques de régénération osseuse et d’aménagement tissulaire.
L’objectif principal de cet article est d’essayer de définir les paramètres essentiels pour une extraction réussie et atraumatique afin de maintenir, voire d’augmenter, le capital osseux.
L’os alvéolaire est un tissu spécialisé, caractérisé par un turnover continu et rapide. Il est entretenu par la présence de dents saines et fonctionnelles. Aussitôt après une extraction dentaire, l’alvéole est envahie par le sang. Des éléments locaux, cellulaires et moléculaires, concourent à l’élaboration du clou plaquettaire, rapidement soutenu par un réseau de fibrine. Ce caillot sanguin, indispensable à la formation de nouveaux tissus, sera progressivement remplacé par un tissu de granulation. Une néovascularisation se met en place et les fibroblastes, de plus en plus nombreux, assurent, dès la fin de la première semaine qui suit l’avulsion, la formation d’un tissu conjonctif provisoire au-dessus duquel l’épithélium gingival prolifère. Par la suite, la minéralisation de ce tissu conjonctif se fera progressivement de sorte que l’alvéole se retrouve comblée par un os immature [3, 4]. La maturation de ce dernier et son remplacement par un os lamellaire (associé à une moelle osseuse) se déroule sur plusieurs mois, sa durée semble difficile à prévoir [5].
À cette cicatrisation alvéolaire est associée une perte osseuse inévitable. Elle se produit dans le sens vestibulo-lingual et en direction apicale. Elle est plus prononcée en vestibulaire qu’en lingual [6]. Cette résorption alvéolaire ne se limite pas aux premiers mois de cicatrisation mais se poursuit tout au long de l’année qui suit l’extraction [7]. Elle est amplifiée lorsque l’extraction est consécutive à un traumatisme, une extraction délabrante avec perte de la paroi vestibulaire, une atteinte parodontale étendue ou à d’autres facteurs tels que le tabagisme, etc. Dans ces situations, l’évolution du volume et du profil osseux limite les possibilités d’un traitement implantaire et compromet le résultat esthétique dans le secteur antérieur.
Une fois l’indication de l’extraction posée, il est essentiel qu’un certain nombre de paramètres liés au patient, à la situation clinique et au projet prothétique soient analysés afin d’assurer au mieux le déroulement de la séance et de minimiser les complications postopératoires.
Les facteurs liés au patient à prendre en compte sont :
• la motivation, la compliance et la demande (fonctionnelle et esthétique) ;
• l’hygiène buccale ;
• les antécédents généraux et chirurgicaux ;
• les traitements médicamenteux ;
• l’intoxication alcoolo-tabagique.
Lors de l’examen clinique, les différents paramètres ci-dessous sont analysés.
• L’état dentaire : lésion carieuse et étendue (sous-gingivale, atteinte radiculaire), fracture et niveau de la fracture (supra ou sous-gingivale, infra-osseuse…), nature de la restauration coronaire (couronne, pilier de bridge…).
• L’état parodontal : inflammation, poches parodontales (sondage), mobilité.
• L’état des muqueuses : fistule, tuméfaction, etc.
L’examen radiographique (rétroalvéolaire, radiographie panoramique), indispensable avant toute extraction dentaire, nous permet de préciser les éléments listés ci-dessous.
• L’anatomie radiculaire : nombre et divergence des racines, présence de courbures, forme des apex (globuleux, baguettes de tambour), résorption radiculaire…
• Un rapport couronne clinique/racine défavorable.
• Le niveau de l’atteinte carieuse.
• Le niveau de la fracture.
• L’atteinte parodontale (élargissement desmodontal, étendue de l’alvéolyse, ankylose éventuelle, lésion apicale…).
• La proximité des apex avec les obstacles anatomiques (racine de dent adjacente, sinus maxillaire, foramen mentonnier, nerf alvéolaire inférieur, etc.).
Dans certaines situations, le recours à des techniques d’imagerie en trois dimensions (scanner ou cone beam) permettra de compléter cette analyse radiographique et de préciser entre autres une proximité éventuelle des apex avec des obstacles anatomiques.
Dans la majorité des cas, l’extraction n’est pas une finalité en soi. La nature du projet prothétique doit être envisagée, particulièrement lorsqu’il s’agit d’un traitement implanto-porté. L’objectif principal sera alors de minimiser la résorption alvéolaire, voire d’augmenter le volume osseux (régénération osseuse guidée).
La prise en compte de l’ensemble de ces paramètres avant toute extraction dentaire a pour objectifs :
• d’évaluer le risque hémorragique : trouble de l’hémostase lié à des pathologies générales ou à la prise de médications. La prescription d’un bilan d’hémostase peut être indiquée (INR pour les patients sous AVK) ;
• d’évaluer le risque infectieux local : présence d’une pathologie infectieuse aiguë ou chronique, dentaire ou parodontale (parodontite apicale aiguë, abcès parodontal…) et risque infectieux systémique, pouvant contre-indiquer le recours à des techniques de régénération osseuse guidée (comblement osseux, membrane) : risque d’endocardite infectieuse, certaines pathologies (diabète déséquilibré, patient HIV non stabilisé), antécédents de radiothérapie cervico-faciale, prise de certains médicaments (immunosuppresseurs, bisphosphonates).
• de déterminer la difficulté opératoire, la technique chirurgicale la plus adaptée et d’organiser au mieux la séance d’extraction : assistance opératoire indispensable, évaluation de la durée de l’intervention, anticipation des éventuelles complications, nature et organisation du plateau technique.
L’anticipation de la procédure chirurgicale est fondamentale pour organiser au mieux la séance d’extraction. Selon la difficulté opératoire, l’accès chirurgical nécessitera ou pas la levée d’un lambeau. Deux alternatives sont donc possibles :
• une extraction simple sans lambeau, en l’absence de toute difficulté anatomique ;
• une extraction avec lambeau associée à une séparation de racines et/ou une alvéolectomie.
Le plateau technique nécessaire sera fonction de la séquence opératoire :
Pour une extraction simple d’une dent sur l’arcade : sans lambeau
• miroir, précelle, sonde, sonde parodontale graduée, canule d’aspiration,
• anesthésie : seringue, aiguille, carpules,
• écarteur,
• syndesmotome faucille, coudé sur le plat, et droit (± élévateurs),
• davier(s) approprié(s),
• curettes alvéolaires (Lucas, Hemingway, Miller…),
• compresses stériles,
• kit suture : fil de suture, pince porte-aiguille, précelle et ciseaux,
• ± agents hémostatiques (éponge de collagène, méthylcellulose oxydée, colle cyanoacrylate…).
Pour une extraction complexe d’une dent sur l’arcade : levée d’un lambeau muco-périosté associée à une séparation radiculaire et/ou une alvéolectomie
D’autres instruments viennent compléter le plateau technique précédent :
• manche de bistouri et lames (15, 15c, 12…),
• décolleur,
• instrumentations rotatives et fraises (fraise Zekrya chirurgicale montée sur turbine ou contre-angle bague rouge),
• pince gouge,
• râpe à os,
• kit suture : fil de suture, pince porte-aiguille, ciseaux et précelles chirurgicales,
• ± agents hémostatiques (éponge de collagène, méthylcellulose oxydée, colle cyanoacrylate…).
Dans le cadre d’une chirurgie non invasive
Dans ce cas de figure, il est préconisé d’éviter les syndesmotomes ainsi que les élévateurs. Le recours à une instrumentation spécifique, moins traumatique, telle que les périotomes ou la piézochirurgie, peut être utile pour minimiser la perte osseuse postextractionnelle.
Les périotomes : la partie active de ces instruments se présente sous la forme d’une lame fine et souple. Positionnée entre la racine et les murs alvéolaires, la luxation des dents est facilitée et le capital osseux est préservé.
La piézochirurgie : c’est un système ultrasonore équipé d’inserts spécifiques. Il permet de procéder à des extractions atraumatiques de dents sur l’arcade, avec ou sans lambeau. Certains auteurs parlent même de piézopériotomie [8]. Elle a pour objectif d’élargir l’espace desmodontal tout en préservant les corticales, interne et externe. L’irrigation produisant une cavitation a un effet hémostatique et elle limite l’échauffement osseux qui pourrait entraîner une nécrose tissulaire.
Après une avulsion dentaire, l’utilisation d’un biomatériau de comblement peut éventuellement être envisagée. Cette procédure ne présente aucun intérêt si l’alvéole est intacte. Toutefois, elle peut être indiquée en présence d’un défaut osseux intéressant une ou plusieurs parois alvéolaires (particulièrement la paroi vestibulaire). Ce matériau de substitution osseuse, qu’il soit d’origine humaine (allogreffe), animale (xénogreffe), ou synthétique (alloplastique) sert dans un premier temps de support à la migration vasculaire et cellulaire (ostéoconduction). Il est dans un deuxième temps progressivement résorbé et remplacé par un os néoformé.
Après sa mise en place dans l’alvéole, le substitut osseux est généralement protégé par une membrane résorbable. Cette dernière constitue une barrière à l’invagination des cellules issues du tissu gingival. Un aménagement gingival particulier (lambeau déplacé, greffe épithélio-conjonctive…) est souvent nécessaire pour assurer la fermeture du site d’extraction et éviter d’interférer avec le processus de régénération osseuse.
Néanmoins, ces techniques d’aménagement de l’alvéole postextractionnel ne préviennent pas complètement les pertes osseuses, mais semblent limiter le processus de remodelage dans le sens vertical et horizontal [9, 10].
Une patiente âgée de 55 ans est adressée par son chirurgien-dentiste pour l’extraction de 47. Le projet retenu pour la réhabilitation de l’édentement est implantaire.
L’objectif de l’intervention est d’extraire cette dent tout en préservant un maximum de volume osseux pour pouvoir envisager dans un deuxième temps la mise en place d’un implant.
Les facteurs retenus pour la prise de décision sont :
Facteur patient : bonne compliance, hygiène buccale correcte, absence d’antécédents médico-chirurgicaux, pas d’intoxication alcoolo-tabagique.
• État dentaire : absence de couronne clinique, fracture du pan vestibulaire avec une limite sous-gingivale, reconstitution composite coronaire de volume important.
• État parodontal : gencive saine, absence de poche parodontale, pas de mobilité.
• État des muqueuses : pas de tuméfaction.
Examen radiographique (fig. 3, 4) :
• Les racines mésiale et distale sont convergentes et semblent fusionnées.
• Présence d’un screw-post dans la racine distale.
• Légère image radioclaire périapicale.
• Apex à distance du nerf alvéolaire inférieur.
Projet prothétique retenu : réalisation d’une prothèse supraimplantaire.
La technique chirurgicale adoptée est l’extraction atraumatique de 47 avec utilisation de la piézochirurgie et levée d’un lambeau muco-périosté.
L’objectif de l’intervention est de pratiquer une extraction la moins mutilante possible pour l’os alvéolaire.
Après une anesthésie locorégionale au foramen mandibulaire et un rappel vestibulaire, une syndesmotomie est réalisée en vestibulaire et en lingual de 47 à l’aide d’un syndesmotome faucille (fig. 5). Le fragment vestibulaire s’est détaché, emportant la restauration coronaire et l’ancrage radiculaire. Une incision intra-sulculaire vestibulaire et linguale (fig. 6) se poursuivant sur la crête en distal et un décollement à l’aide d’un décolleur de Molt permettent la mise en charge d’un lambeau de pleine épaisseur (fig. 7). L’insert piézoélectrique LC1 (Satelec) (fig. 8) est inséré le long de la paroi mésiale, vestibulaire et linguale à l’intérieur de l’espace desmodontal (fig. 9). La partie travaillante est insérée au contact et tangentiellement à la racine en exerçant une pression minimale pour laisser travailler les vibrations piézoélectriques. Pour accéder à la paroi distale, l’insert LC2L (Satelec) (fig. 10), avec une partie travaillante orientée à 45°, est utilisé (fig. 11). La séparation des racines mésiale et distale est réalisée avec une fraise Zekrya chirurgicale montée sur turbine (fig. 12). Les inserts piézoélectriques sont de nouveau insérés dans l’espace desmodontal, les racines sont mobilisées et avulsées (fig. 13, 14). Après une révision alvéolaire soigneuse à l’aide de curettes de Lucas (fig. 15), une éponge hémostatique collagénique est mise en place dans l’alvéole (fig. 16). Des sutures sont réalisées, permettant une coaptation des berges et favorisant ainsi une cicatrisation de première intention (fig. 17).
Une patiente âgée de 45 ans est adressée par son chirurgien-dentiste pour l’extraction de 27 fracturée. Le projet retenu pour la réhabilitation de l’édentement est une prothèse implanto-portée.
L’objectif de l’intervention est d’extraire cette dent tout en préservant un maximum de volume osseux pour pouvoir envisager dans un deuxième temps la mise en place d’un implant.
Les facteurs retenus pour la prise de décision sont :
Facteur patient : bonne compliance, hygiène buccale correcte, absence d’antécédents médico-chirurgicaux, pas d’intoxication alcoolo-tabagique.
Examen clinique :
• État dentaire : fracture radiculaire mésiale, pilier d’un bridge 27 (26, 25) 24.
• État parodontal : inflammation gingivale, poches parodontales mésiale, vestibulaire et palatine (9 mm de profondeur au sondage parodontal), pas de mobilité.
• État des muqueuses : pas de tuméfaction.
Examen radiographique (cliché rétroalvéolaire, fig. 18) :
• Présence de deux racines (vestibulaire et palatine).
• Reconstitution corono-radiculaire avec deux ancrages radiculaires.
• Image périapicale volumineuse.
Cet examen radiographique de première intention doit être complété pour préciser les rapports exacts entre la lésion apicale et la cavité sinusienne, ainsi que pour apprécier l’état des corticales osseuses. Un CBCT est réalisé, il montre (fig. 19, 20) :
• une image périapicale bien délimitée qui refoule le plancher sinusien avec un léger épaississement de la membrane sinusienne,
• un amincissement des corticales vestibulaire et linguale.
Projet prothétique retenu : réalisation d’un bridge supra-implantaire sur deux implants au niveau des sites 25, 27.
La technique chirurgicale adoptée est l’extraction de 27 avec comblement osseux recouvert par une membrane résorbable.
Une anesthésie tubérositaire haute, associée à une anesthésie périapicale en mésial et distal de 27 et rappel palatin, est effectuée. Le bridge est sectionné en distal de 24. Après le décollement d’un large lambeau vestibulaire de pleine épaisseur, 27 est avulsée au davier en veillant à ne pas fragiliser les corticales osseuses. L’alvéole est cureté et l’ensemble du tissu de granulation est retiré (fig. 21). La fragilité de la corticale vestibulaire est visualisée. Le défaut osseux est comblé avec du Bio-Oss® (fig. 22) et l’ensemble est recouvert par une membrane résorbable Bio-Gide® (fig. 23). Des sutures sont réalisées pour maintenir une bonne coaptation des berges (fig. 24). Les sutures sont retirées à 10 jours.
Un délai de 4 mois est attendu avant d’envisager la mise en place des implants. La radiographie rétroalvéolaire montre une bonne homogénéité osseuse dans l’alvéole postextractionelle (fig. 25). Un nouvel examen cone beam est réalisé (fig. 26, 27), il montre la bonne intégration et cicatrisation du matériau de comblement, ainsi qu’une diminution de l’inflammation de la muqueuse sinusienne. La mise en place des implants est réalisée en associant un sinus lift nécessaire pour la mise en place de l’implant en site 25.
L’extraction, simple ou complexe, d’une dent sur l’arcade requiert une analyse préopératoire rigoureuse de la situation clinique afin de mener à bien les différentes étapes chirurgicales. Il est alors possible de minimiser la résorption alvéolaire, inhérente à la perte de l’organe dentaire, par une gestuelle et un matériel adaptés. Le maintien du capital osseux assurera une réhabilitation fonctionnelle et esthétique.