Clinic n° 06 du 01/06/2011

 

RÉPONSE D’EXPERT

Alain BÉRY  

Maître de conférences des Universités,
Docteur en chirurgie dentaire,
Docteur en sciences odontologiques,
Docteur d’État en odontologie,
Docteur en éthique médicale,
Docteur en droit.

L’enfant n’est pas un être autonome. Il dépend, notamment en matière de soins, de l’éducation de la santé et de la pratique des gestes d’hygiène bucco-dentaire et alimentaire de ses parents ou des personnes qui en ont la charge. C’est avec désolation que nous voyons parfois des enfants, généralement issus des couches sociales très défavorisées, dans une situation bucco-dentaire désastreuse, à tel point qu’on pourrait même refuser les soins par manque évident de suivi. Comment devons-nous réagir ? Que dit la loi ? Que dit l’éthique ? Qu’en pense Alain Béry, reconnu pour son expertise en la matière ?

Refus de vaccination, de soins à domicile et refus de l’hygiène sont-ils qualifiables de négligence parentale ?

Les décisions prises sur le fondement pénal de la soustraction des parents à leurs obligations parentales restent rares, les juges préfèrent le plus souvent engager des mesures d’assistance éducative1.

Le Code pénal incrimine la soustraction d’un parent à ses obligations légales, qui suppose que soient gravement compromises la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation d’un enfant mineur (article 227-17 du Code pénal). Le comportement incriminé consiste en un abandon matériel et moral des enfants de nature à les mettre en danger. C’est sur ce fondement que les magistrats sanctionnent les parents qui, en manquant au devoir inhérent à l’exercice de l’autorité parentale, laissent leurs enfants s’immiscer dans la petite délinquance.

Ainsi, a été sanctionné sur le fondement de l’article de 227-17 du Code pénal un père de famille qui a laissé son fils âgé de 14 ans pendant plusieurs mois seul dans un appartement, le privant ainsi de tout soin et de toute éducation (Cour d’appel Aix-en-Provence, 11 juin 2003).

En matière de santé, des parents ont été sanctionnés pour s’être abstenus de vacciner leur enfant contre le tétanos (Cour d’appel de Grenoble, 7 juillet 1999). Un père de famille a également été condamné pour n’avoir pas pris le soin d’octroyer à sa fille, avant son départ pour Madagascar, un pays particulièrement touché par le paludisme, un traitement préventif antipaludéen, exposant ainsi sa fille à des risques de complications pouvant s’avérer mortelles et compromettant gravement sa santé (Cour d’appel de Grenoble, 8 novembre 2002). Un pourvoi a été effectué par le père mais été rejeté (Cass. crim., 7 mai 2003).

Les magistrats se réservent également la possibilité de transférer par ordonnance les attributs de l’autorité parentale relative aux vaccinations obligatoires pour assurer la scolarisation d’un mineur et lui permettre de participer à toutes les activités extrascolaires, malgré l’opposition des parents (Cour d’appel de Poitiers, chambre spéciale des mineurs, 27 octobre 2005).

Dans le cas de non-respect des obligations vaccinales, les parents peuvent être pénalement sanctionnés (loi 2007-293 du 5 mars 2007 sur la protection de l’enfance).

À l’époque où l’absentéisme scolaire répété déclenche l’arrêt des aides sociales, peut-on penser à la même sanction en matière d’absence de mesures d’hygiène buccale et alimentaire chez l’enfant, notamment en bas âge ?

Il convient ici de citer le Code pénal.

• Article 227-15 : « Le fait, par un ascendant ou toute autre personne exerçant à son égard l’autorité parentale ou ayant autorité sur un mineur de 15 ans, de priver celui-ci d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé est puni de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. » Constitue notamment une privation de soins le fait de maintenir un enfant de moins de 6 ans sur la voie publique dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants. »

• Article 227-16 : « L’infraction définie à l’article précédent est punie de 30 ans de réclusion criminelle lorsqu’elle a entraîné la mort de la victime. »

• Article 227-17 : « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est punie de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. » L’infraction prévue par le présent article est assimilée à un abandon de famille pour l’application du 3° de l’article 373 du Code civil. »

Autant on peut faire référence aux articles précédemment cités quant à une absence de mesures alimentaires chez l’enfant, autant il paraît difficile, même si cela est regrettable, de prendre comme support le Code pénal quant à une absence de mesures d’hygiène buccale. En effet, à part des cas d’exception, nous ne nous trouvons pas dans le cadre d’une mise en péril de la vie de l’enfant.

Qu’est-ce que la notion d’autonomie et comment se traduit-elle en pédiatrie ?

« L’autonomie, c’est le fait pour un enfant de se débrouiller tout seul2 ».

« L’autonomie, c’est la capacité de faire des choses par soi-même3 ».

La capacité de contracter s’acquiert avec la majorité, soit à 18 ans. On parlera d’autonomie lorsque l’enfant peut faire seul un acte relatif à des soins sans l’accord de ses parents. Nous prendrons comme exemple la prescription de moyens contraceptifs et l’avortement qui ne nécessitent pas un accord parental, mais aussi faut-il que l’adolescente ait plus de 15 ans.

La notion de contrat de soins qui engagerait les parents assure-t-elle un gain d’intérêt, notamment pour l’enfant ?

Rappelons que le contrat de soins est une nécessité tant dans le cadre du diagnostic et des possibilités thérapeutiques que de la mise en place de la thérapeutique. La réalisation d’un contrat de soins est un élément de preuve quant à l’information et à tout le moins au consentement des parents. Même si juridiquement cela n’est pas nécessaire, il est hautement souhaitable que ce contrat de soins soit signé.

Soins ou refus de soins, ont-ils le même cheminement décisionnel, qu’on se fasse soigner en libéral où les soins se pratiquent avec dépassement d’honoraires ou bien à l’hôpital public ?

Force est de constater que, malheureusement, il n’y a pas d’égalité face aux soins. En effet, de nombreuses enquêtes ont montré que beaucoup de personnes ne se font pas soigner pour des raisons financières. Même si les soins en milieu hospitalier sont beaucoup moins onéreux que dans le secteur privé, il n’en demeure pas moins vrai que beaucoup n’y ont pas recours. C’est pourquoi il nous semble que le cheminement décisionnel doit au préalable faire l’objet d’une éducation des parents quant à la nécessité des soins bucco-dentaires. On voit ici toute l’importance de l’information et de la prévention.

Que faire alors que la non-intervention est synonyme d’aggravation et de souffrance et l’intervention synonyme d’échec supposé ?

Il s’agit en l’espèce de la difficulté décisionnelle entre aggravation et souffrance, d’une part, et risque d’échec, d’autre part. En première intention, il convient, comme toujours, de mettre en exergue ce qui est le mieux dans l’intérêt du patient. N’oublions pas que l’article 1112-2 du Code de la santé publique prescrit que le patient participe à la prise de décision le concernant. C’est pourquoi, ici encore, l’information est fondamentale.

Comment pouvons-nous privilégier l’intérêt des enfants qui subissent la misère sous toutes ses formes ou sous certaines formes ?

La protection de l’enfant est fondamentale. Cependant, il n’est pas aisé de se substituer aux parents. Nous constatons malheureusement que parfois, seule la sanction peut influer sur le comportement parental, et en ce sens seul le législateur est décisionnaire. Mais n’oublions jamais le pouvoir de l’information : c’est à nous de savoir communiquer.

1. Delprat, L. L’autorité parentale et la loi, Studyrama, Levallois-Perret, 2006

2. Jolivet, JP. Évaluer les capacités de son enfants, 50 tests simples de 18 mois à 7 ans. Éditions E.S.F. Paris. 1996

3. Boivert, J. Trois ans en avant, deux pas en arrière… vers la maturité. Le magazine enfants du Quebec, vol. II, n° 4, février-mars 1999, p. 16-20.