PRATIQUE
Philippe WAKSELMAN* Anne-Laure EJEIL** Florian BOUAZIZ***
*Attaché, Hôpital Bretonneau/AP-HP
**MCU/PH, Hôpital Bretonneau/AP-HP
***AHU, Hôpital Bretonneau/ AP-HP
Le terme de tumeur ou néoplasme, ou néoplasie, désigne une prolifération cellulaire excessive. La classification des tumeurs est fondée sur le tissu d’origine, le type histologique et le degré de malignité.
Classiquement, et pour des raisons pédagogiques, on classe les tumeurs bénignes de la muqueuse buccale en fonction de leur tissu natif (épithéliales, conjonctives, vasculaires, musculaires, nerveuses) et en pseudotumeurs (tuméfaction déformant un...
La prise en charge des patients présentant des tumeurs bénignes de la muqueuse buccale est principalement chirurgicale. En fonction de l’origine et du volume de ces tumeurs, le chirurgien-dentiste omnipraticien est à même d’en réaliser l’exérèse sous anesthésie locale. La pièce opératoire sera dans tous les cas adressée à un laboratoire pour un examen histologique.
Les signes cliniques de malignité sont à rechercher face à toute tumeur de la muqueuse buccale. Généralement indolores, les tumeurs malignes présentent le plus souvent une forme ulcéreuse ou ulcéro-bourgeonnante avec une induration sous-lésionnelle qui dépasse les limites de la lésion (
Le terme de tumeur ou néoplasme, ou néoplasie, désigne une prolifération cellulaire excessive. La classification des tumeurs est fondée sur le tissu d’origine, le type histologique et le degré de malignité.
Classiquement, et pour des raisons pédagogiques, on classe les tumeurs bénignes de la muqueuse buccale en fonction de leur tissu natif (épithéliales, conjonctives, vasculaires, musculaires, nerveuses) et en pseudotumeurs (tuméfaction déformant un organe et ayant pour origine une dystrophie, une inflammation ou une malformation). Les choix thérapeutiques vont dépendre de la nature et du type de la lésion ; cependant, la conduite à tenir est principalement chirurgicale pour la grande majorité d’entre elles. L’acte chirurgical en lui-même est l’aboutissement d’une démarche clinique dont l’une des étapes essentielles est de distinguer les lésions opérables en omnipratique de celles qui ne le sont pas à l’aide de signes simples à rechercher.
Cette chirurgie d’exérèse est un acte parfaitement réalisable en pratique générale pour peu que le diagnostic clinique de bénignité soit manifeste, qu’un risque hémorragique excessif soit écarté et que certaines règles techniques soient respectées. En effet, en dehors des contre-indications d’ordre général non spécifiques liées au patient, la nature même de certaines tumeurs contre-indique un acte chirurgical en pratique généraliste, les lésions suspectes de malignité et les lésions manifestement d’origine vasculaire.
Les tumeurs bénignes d’origine vasculaire sont d’aspect clinique érythémateux, violacé, voire même bleuté. Souvent dénommées angiomes, elles sont à distinguer sur le plan didactique des malformations vasculaires dont certaines apparaissent pulsatiles à la palpation, les malformations artérioveineuses, exposant alors à un risque hémorragique majeur. Ces malformations sont présentes dès l’enfance mais parfois restent quiescentes longtemps. En fonction de l’origine vasculaire, on distingue deux types de tumeurs bénignes muqueuses d’origine vasculaire.
Un hémangiome est une tumeur fréquente de la cavité buccale, souvent congénitale, qui se développe à partir des vaisseaux sanguins. La lésion est plane ou légèrement surélevée, de couleur rouge ou bleue violacée, et mal circonscrite (fig. 2). La décoloration de la lésion à la pression chassant le contenu sanguin est caractéristique.
Il s’agit d’une tumeur des vaisseaux lymphatiques dont la fréquence est plus faible que les hémangiomes. La plupart des tumeurs sont présentes à la naissance ou se déclarent avant 10 ans. La lésion présente souvent un aspect framboisé.
L’exérèse des lésions d’aspect manifestement vasculaire n’est pas du ressort d’une pratique générale en raison du risque hémorragique important encouru. Leur prise en charge doit être effectuée en milieu hospitalier où seront mis en œuvre des protocoles bien spécifiques.
Préalablement à tout acte chirurgical, une analyse minutieuse de l’environnement de la lésion à exciser est primordiale afin de bien appréhender d’éventuels rapports de proximité anatomique avec différents éléments à protéger (tronc nerveux, artère, canal salivaire…) et d’adapter en conséquence le geste chirurgical. Une exérèse, c’est-à-dire le prélèvement de la totalité de la lésion (alors que la biopsie suppose un prélèvement partiel), impose de prendre une marge de sécurité de quelques millimètres en muqueuse saine par rapport aux limites cliniques de cette lésion.
L’instrumentation nécessaire à la réalisation de cette exérèse comprend :
• un miroir et/ou un écarteur ;
• le matériel d’anesthésie : seringue et aiguille pour para apicale, cartouche d’anesthésique comprenant un vasoconstricteur (sauf exceptionnelle contre-indication) [1] ;
• un manche de bistouri (ou un bistouri à usage unique) équipé d’une lame 15 voire 11 ;
• des précelles ou une pince à mors plats ;
• le matériel de suture : pince porte-aiguille, ciseaux, fil de suture ;
• un flacon contenant un fixateur (par exemple formaldéhyde à 10 %, éthanol à 70°, à préciser avec l’anatomopathologiste, prévoir 10 à 20 fois le volume du prélèvement) [2],
– un antiseptique de surface (povidone iodée ou chlorexidine 0,12 %).
La technique opératoire est décrite à l’aide des figures 3 à 11.
La plupart des tumeurs épithéliales de la muqueuse buccale sont d’origine virale, provoquées par des virus à ADN, les papillomavirus humains (HPV : Human papillomavirus). Elles regroupent principalement les papillomes, les verrues vulgaires, les condylomes et l’hyperplasie épithéliale focale ou maladie de Heck [3].
Il s’agit de la tumeur épithéliale bénigne la plus fréquente. Elle est retrouvée à tout âge, cependant elle touche principalement les adultes entre 30 et 50 ans. Elle peut être d’origine inflammatoire mais elle a généralement pour étiologie l’infection par un virus HPV, dont une cinquantaine de types ont été identifiés, et qui provoque une prolifération anormale des kératinocytes de la muqueuse buccale. L’ADN viral peut être mis en évidence par des techniques spécifiques d’immunocytochimie.
Cette lésion se caractérise par une excroissance exophytique saillante sur la muqueuse d’aspect bien différencié, sessile ou pédiculée, formant une excroissance verruqueuse de quelques millimètres à quelques centimètres de diamètre. Cet aspect évoque une image caractéristique dite « en doigts de gant » ou en « chou-fleur » [4]. Sa couleur est blanche ou rose selon que l’épithélium est kératinisé ou non. Des ulcérations et inflammations secondaires surviennent fréquemment à la suite de traumatismes (morsures le plus souvent). On la rencontre essentiellement sur la langue, les lèvres, les joues. La surface de l’épithélium peut être ou non kératinisée (fig. 3).
La maladie de Heck se manifeste par des papules rosées, molles, sessiles, souvent multiples sur les muqueuses labiales, gingivales, jugales et linguales (fig. 12). Les jeunes adultes et les enfants sont atteints. Asymptomatiques, les lésions ont tendance à régresser spontanément. La répartition géographique (enfants du Maghreb, Noirs africains et antillais) de cette maladie fait suspecter une prédisposition génétique. Les HPV 13 et 32 sont isolés dans plus de 90 % de ces hyperplasies focales épithéliales. Seules les lésions persistantes font l’objet d’une exérèse chirurgicale. En effet, une abstention peut être proposée en raison d’une possible régression spontanée [5]. Une fois le diagnostic établi, les lésions récidivantes peuvent faire l’objet d’un traitement par cryothérapie [6].
Les tumeurs conjonctives les plus fréquentes regroupent les fibromes et les lipomes [7].
Il se définit comme une prolifération des cellules fibroblastiques et des fibres collagéniques. Il a été considéré à tort comme la plus fréquente des tumeurs bénignes de la cavité buccale avant qu’on ne distingue le fibrome vrai, qui est rare, des lésions fibreuses réactionnelles (hyperplasie fibreuse et diapneusie), qui sont fréquentes.
Le fibrome est une lésion surélevée nodulaire, le plus souvent sessile, recouverte d’une muqueuse lisse ou discrètement kératosique. Il est retrouvé à tout âge avec toutefois une prédominance entre 30 et 50 ans. Sa consistance est plus ou moins ferme selon le degré de fibrose (fig. 13).
La croissance est généralement lente. On retrouve en général une lésion unique, asymptomatique, d’un diamètre inférieur à 1 cm. Le patient se plaint d’une gêne. Il est retrouvé principalement sur la joue, les lèvres ou la langue et peut comporter des ulcérations traumatiques [8].
Cette tumeur bénigne à croissance lente, totalement asymptomatique, se développe à partir de cellules graisseuses matures, les adipocytes [9]. On en retrouve sur la langue, les joues et les lèvres. La tumeur est plus ou moins jaunâtre selon le degré de maturation des adipocytes. Sa consistance est molle. Elle peut être sessile ou pédiculée (fig. 14).
Elles regroupent principalement les granulomes pyogéniques, les épulis, les diapneusies, les granulomes à corps étranger et les kystes mucoïdes.
Pseudotumeur rouge vif encore appelée botryomycome, il s’agit d’une lésion fréquente à type de bourgeon charnu hyperplasique consécutif à une plaie avec perte de substance. La lésion est souvent pédiculée et ulcérée en surface, de consistance molle, friable, saignant facilement au contact car elle renferme de très nombreux vaisseaux sanguins néoformés. C’est une lésion hyperplasique d’origine inflammatoire ou traumatique dont le fond peut être recouvert d’un enduit fibrineux (fig. 15). En fin d’intervention, l’hémostase doit être soigneusement contrôlée [10].
Les épulis sont définis comme des pseudotumeurs consécutives à un phénomène inflammatoire ; on en décrit différents types :
L’épulis inflammatoire apparaît comme une masse non douloureuse, exophytique, sessile ou pédiculée, érythémateuse, saignant facilement au contact car richement vascularisée, reposant sur un fond osseux. Elle est consécutive à un phénomène inflammatoire chronique, prothèses mal adaptées, présence d’une épine irritative… L’exérèse doit être réalisée jusqu’au contact osseux (fig. 16).
Un épulis gravidique peut apparaître pendant la grossesse, résultant d’importantes modifications hormonales. L’étiopathogénie repose sur la modification de l’immunité par hyperproduction de gestagènes face à la stimulation antigénique de la plaque bactérienne [11].
L’épulis gravidique est une excroissance de taille variable, en général sur la gencive marginale, ou parfois sur la muqueuse attachée des procès alvéolaires. Il est de consistance molle, de couleur rouge sombre et d’aspect hémorragique (fig. 17). L’épulis peut parfois s’ulcérer, il saigne alors facilement. La lésion régresse avec la reprise d’une bonne hygiène buccale, ou après l’accouchement. Sa persistance après l’accouchement nécessite de pratiquer une exérèse chirurgicale. L’incision et le curetage de la lésion sont réalisés au contact osseux.
Sur le plan histologique, on retrouve un nodule de tissu conjonctif œdémateux lâche, contenant de nombreux vaisseaux sanguins dilatés et ayant une paroi endothéliale très fine. Il est souvent accompagné d’un infiltrat inflammatoire, surtout si le mince épithélium est ulcéré. Une coloration spécifique fait apparaître les fibres de réticuline, qui démontrent la richesse vasculaire de la tumeur.
Initialement, la diapneusie est un nodule sessile de quelques millimètres de diamètre, de consistance molle, indolore, souple, qui devient progressivement dur et quelquefois pseudo-pédiculé. Sa surface est recouverte d’une muqueuse normale et le sommet de la lésion est parfois occupé par une plage kératosique ou une ulcération associée au traumatisme masticatoire. Elle est toujours située en regard d’un facteur traumatisant au cours de la mastication ou d’une cause d’aspiration de la muqueuse jugale. Elle est toujours bénigne mais elle récidive tant que l’étiologie n’a pas été éliminée. Son étiologie est variée, il peut s’agir d’une morsure, d’une malposition dentaire, d’une prothèse mal adaptée, d’un diastème ou d’un tic de succion [11]. Le traitement est chirurgical et consiste en une exérèse complète associée à l’élimination de l’étiologie (fig. 18).
Aussi appelés mucocèles, il s’agit d’une tuméfaction kystique par rétention salivaire qui se forme à partir d’une glande salivaire majeure ou accessoire. Le kyste est lisse, indolore, fluctuant et de couleur bleue translucide. Il est retrouvé principalement au niveau du plancher buccal mais peut également se rencontrer au niveau de la muqueuse labiale, principalement inférieure (fig. 19). Sa taille est variable et est marquée par une augmentation progressive et spontanée de volume avec des épisodes de perforation puis de reformation du kyste. Des surinfections sont possibles. Après exérèse chirurgicale, le risque de récidive est important du fait de l’existence de nombreux prolongements kystiques [12,13].
Le traitement par marsupialisation est aussi une option thérapeutique possible. On pratique alors une dissection progressive et prudente de la paroi de lésion. Son exposition est facilitée par la pose de fils de traction au niveau des berges de l’incision. Enfin, après exérèse, les bords de la lésion sont suturés aux bords de la muqueuse.
La prise en charge chirurgicale de la plupart des tumeurs bénignes de la muqueuse buccale est de la compétence du chirurgien-dentiste omnipraticien. Elle nécessite une démarche diagnostique précise afin de mettre en œuvre un protocole chirurgical adapté. L’examen histologique fait partie intégrante de cette démarche diagnostique, il en est l’ultime maillon.