IMPLANTOLOGIE
Olivier DELTOMBE* Raphaël DELTOMBE** Joël FERRI***
*Docteur en chirurgie dentaire
6, rue Pasteur
59870 Marchiennes
**Docteur en génie mécanique de l’université de Valenciennes.
Ingénieur de Recherche CNRS
UMR 85/30
Université de Valenciennes
LAMIH FRE CNRS 3304
Le Mont-Houy, Bât. Jonas
59313 Valenciennes Cedex 9
***Chef du Service de chirurgie maxillo-faciale et stomatologie
Hôpital Roger-Salengro
CHRU de Lille
Rue Émile-Laine
59037 Lille
La vocation de cet article n’est pas de donner la solution mais de régler des problèmes de pratique quotidienne par des méthodes simples et claires. Une chronologie clinique permet la réalisation d’actes prévisibles.
L’implantologie est de nos jours une thérapeutique incontournable en omnipratique. Cependant, la technicité des actes chirurgicaux et prothétiques impose un apprentissage indispensable tant sur le plan fondamental que sur le plan clinique. Pourtant, malgré ces enseignements fondamentaux et le respect des protocoles des fabricants, on est souvent confronté à des interrogations et à des doutes sur la pérennité des implants et des prothèses posés.
Cette étude n’est pas exhaustive mais elle s’adresse aux omnipraticiens qui refusent certains actes thérapeutiques par crainte de l’échec ou après avoir observé certaines anomalies techniques ou physiologiques qui les ont rebutés. L’entente parfaite entre l’implantologiste et le prothésiste ne permet pas de régler toutes les questions. « L’échec n’est jamais agréable, mais en tirer profit pour améliorer sa technique, s’améliorer soi-même, améliorer son écoute ne peut être que gratifiant [1]. »
La chronologie d’un cas clinique incite à suivre un protocole rigoureux :
• approche radiographique et chirurgicale :
– fabrication du guide implantaire,
– scanner étalonné ;
• stratégie prothétique et mécanique :
– phases prothétiques,
– nettoyage et séchage du fût implantaire,
– connexion en prothèse sur implants.
L’esthétique et la fonction imposent la réalisation de guides radiographiques pour optimiser l’émergence des implants ; ils sont obtenus en dupliquant la prothèse amovible conventionnelle validée par le patient et le praticien (fig. 1 à 14). Ces guides d’imagerie vont permettre de visualiser avec précision l’emplacement des implants sur les reconstructions obliques du scanner. Les techniques utilisées de nos jours sont les dents radio-opaques, les billes métalliques, les fûts de forage et les pâtes radio-opaques (oxyphosphate de zinc, etc.). La tendance actuelle est au sulfate de baryum à raison de 20 % ajouté à la résine du duplicata [2] au sein duquel les sites implantaires sont matérialisés par des forages ; mais l’utilisation d’un « guide par addition » permet une évaluation qualitative et quantitative du volume prothétique et de l’épaisseur des tissus mous de meilleure qualité.
La technique de duplication de Lang (Duplicator® de Lang) [3] est aisée à mettre en œuvre et va permettre d’immobiliser la prothèse du patient pendant uniquement 30 minutes ; l’utilisation de « la boîte de prothèse », simple [3, 4], associée à l’emploi de plâtre à empreinte en coffrage permet une meilleure répartition des forces et une gestion quantitative du silicone. Ici, du silicone par condensation du type Optosil® putty (Heraeus Kulzer) est employé.
L’utilisation de résine radio-opaque (guide par soustraction) a pour inconvénient de ne pas permettre la visualisation des forages dans l’espace. La réalisation d’un guide radiographique (et chirurgical, secondairement) en résine translucide (guide par addition) communique des informations nettement plus exploitables. Cette technique permet de quantifier, avec le plus d’exactitude possible, la valeur des mesures du scanner et même des radiographies rétroalvéolaires (fig. 15 et à 16).
Les sites choisis sont matérialisés par perforation de la résine à l’aide d’un foret de chirurgie ou d’un foret de diamètre équivalent. Les axes implantaires étant validés, un mélange à parts égales de polycarboxylate et de sulfate de baryum obture les fûts de forage (à l’aide d’un bourre-pâte du type Tanaka®). Un peu de vaseline ne modifie en aucun cas la radio-opacité du mélange mais facilite le démoulage (fig. 17 à 20).
Après la radiographie, ces obturations sont facilement expulsées hors du forage à l’aide d’un fouloir et mesurables au pied à coulisse (fig. 18 à 24). La radio-opacité, la rigidité et l’expulsion aisée font de ce mélange un matériau de choix qui, hormis ses qualités, laisse des fûts de forage exempts de résidus qui peuvent entraîner des échecs implantaires par pollution des sites chirurgicaux, perte de précision ou par suralésage du fût pour élimination totale des résidus de matériau d’obturation ou de tout autre matériau qui y adhérerait. Concernant les canons de forages métalliques, la rigidité du système ne permet que peu de jeu axial en cas de modification de la stratégie chirurgicale qui, de plus, entraîne la présence d’artefacts avec le scanner. Une absence d’artefact radiographique va permettre d’évaluer l’épaisseur des tissus mous et d’étalonner précisément ces carottes sur le scanner.
L’effraction de la corticale avec le foret pilote se fait avec l’aide du guide radiographique modifié en guide chirurgical qui indique l’émergence implantaire (il peut être utilisé en transmuqueux pour les grandes réalisations chirurgicales) [5]. Les implants sont placés selon les procédures de formation implantaire, médicale et anatomique enseignées.
Le stade prothétique est envisagé après la pose des piliers de cicatrisation. Pour ce faire, le guide sert de porte-empreinte individuel. On réalise dans le cas clinique présenté une prothèse du type barre de rétention (fig. 25 à 40).
Qui n’a pas été inquiété par une odeur caractéristique lors de la dépose de la vis de cicatrisation ou du moignon prothétique ?
Les implants et les prothèses étant réalisés, leurs interconnexions se révèlent capitales dans le succès biologique et mécanique à court et long termes. La connexion implant-prothèse se doit d’être étanche, biocompatible, antirotationnelle, précise, ergonomique et esthétique. Ces qualités sont régulièrement remises en question. Concernant l’étanchéité, des études de cachetage ont prouvé son absence [1, 6]. En effet, il existe un hiatus entre les surfaces en contact dû à l’usinage quel que soit le système de connexion (cône morse, hexagone…) [7]. Lors de cette opération, un sillon continu est créé sur la surface. On obtient, lors de la connexion implant-prothèse, des « microtunnels » entre l’intérieur (le fût) et l’extérieur (la bouche). Ainsi, si une colonie bactérienne se développe au sein du fût, la migration des bactéries de l’intérieur vers l’extérieur est possible via ces canaux. L’activité bactérienne va induire une surpression interne et faciliter l’expulsion des fluides (bactéries, protéines, etc.). De plus, les micromouvements liés aux chargements mécaniques de la prothèse amplifient ce phénomène par l’ouverture des interfaces. Il peut en résulter une réaction inflammatoire de type péri-implantite qui peut entraîner la perte prématurée de l’implant. Certaines connexions sont plus ou moins performantes vis-à-vis de l’étanchéité. L’avantage du cône morse, par principe, est une liberté de repositionnement qui assure l’efficacité du joint. Néanmoins, une clé de repositionnement du moignon prothétique ou une connexion géométrique est la solution technique régulièrement employée pour bloquer la rotation de la prothèse. Donc, la qualité du joint assurant l’étanchéité devient imprévisible par la suppression du jeu nécessaire au positionnement optimal.
D’un point de vue général, la mise en contact des surfaces à l’aide de la vis de transfixation, serrée à un couple de 16 Ncm, n’interfère que très peu sur les micromouvements des limites implantaires ainsi que sur l’ouverture des interfaces. En revanche, le chargement mécanique cyclique de l’implant va induire un relâchement de la pression de contact et, parfois, un dévissage. Lorsque ce phénomène apparaît, les interfaces ne sont plus en contact, les mouvements (rotations, translations) sont possibles et l’étanchéité est perdue. À ce stade ultime, l’implant et les prothèses sont endommagés (déformation plastique, usure des surfaces, fissurations) de façon irréversible. La vis de transfixation est un élément central dans les fonctions vitales de l’implant (étanchéité, durée de vie). Cette absence d’étanchéité n’est-elle pas une des causes de la perte osseuse crestale ? Peut-on limiter cliniquement ce manque d’étanchéité ?
La maîtrise de l’interface entre les filets de la vis et du fût est un des éléments essentiels à la durée de vie de la connectique implantaire et de l’implant. En effet, lorsque les frottements diminuent, selon la formule de Klein et Kellerman [8], en appliquant un couple de serrage égal, la tension dans la vis sera plus importante. Cette augmentation de contraintes au sein de la vis peut entraîner :
• la rupture de la tête de vis par dépassement de la limite plastique du matériau ;
• un préserrage inconstant si les conditions d’interface entre les filets en contact ne sont pas maîtrisées [9] ;
• un dévissage facilité.
La réduction du frottement peut être induite par :
• l’utilisation, dans l’intrados des implants, de pommades bactéricides ou de solutions à base de chlorhexidine qui assurent un nettoyage antibactérien mais laissent dans les filets un corps gras aux propriétés lubrifiantes ;
• l’application, par le fabricant, d’un revêtement sur la vis de connexion [9] ;
• la présence de protéines aux propriétés lubrifiantes.
Cliniquement, l’intérêt est d’obtenir un contact entre les filets de la vis et du fût exempt d’un troisième corps potentiellement lubrifiant. Ainsi, la proximité des deux éléments (fût et vis) crée des liaisons chimiques importantes de type métallique [10, 11], limitant le dévissage et permettant une « étanchéité vraie ». Pour se placer dans de telles conditions, il faut obtenir un fût implantaire propre et « sec ». Cela sera tributaire des propriétés physico-chimiques du produit utilisé pour le rinçage. Par exemple, l’utilisation de bicarbonate de soude en soluté saturé avec une action antiacide [12] et bactériostatique [13], une innocuité totale pour les tissus osseux [14] ainsi que pour l’attache pseudo-épithélio-conjonctive semble être indiquée pour nettoyer, aseptiser et neutraliser l’intrados des fûts implantaires [15, 16].
La « propreté » du fût dans la zone d’implantation doit être prise au sérieux. Dans le cas idéal, le fût devrait être exempt de tout corps potentiellement lubrifiant, ce qui est pratiquement impossible. Pour limiter cet effet, deux pipettes endodontiques modifiées et à usage unique sont utilisées. La première, en plastique, est sectionnée et ajustée sur la seringue à air du fauteuil pour expulser le maximum de fluide présent dans le fût. Cette action est associée à celle d’une seconde pipette, non coupée, qui inonde le fût d’une solution de bicarbonate (fig. 41 et 42). Ces deux actions conjuguées permettent d’obtenir un fût propre contenant un minimum de fluide lubrifiant (visqueux et protéiné) et en majorité une solution faiblement visqueuse, antiacide et bactériostatique.
Une étude clinique randomisée fondée sur une évaluation olfactive des filets de vis de cicatrisation posées, dans le deuxième temps chirurgical, chez des personnes ayant au moins 2 implants contigus a été menée sur 100 implants avec irrigation des fûts soit à l’aide de chlorhexidine et application de pommade à base d’acide fucidique soit d’un soluté saturé de bicarbonate de soude suivi d’un séchage des fûts à l’aide de pipettes endodontiques. On observe des résultats identiques au niveau olfactif, significatif de la croissance bactérienne, quelle que soit la méthode d’« irrigation » utilisée. Mais il semble intéressant d’utiliser le soluté de bicarbonate de soude car il se prépare facilement par saturation dans de l’eau stérile et il n’apporte pas de corps gras qui favoriserait la rupture ou le desserrage de la vis. En effet, il aura pour effet d’évacuer les résidus potentiellement lubrifiants, comme les protéines (salive, sang…), lors du rinçage.
L’intrados des implants étant décontaminé et « sec », la fermeture peut être effectuée mais un conseil technique et clinique doit être donné et appliqué : limiter autant que possible le nombre de vissages et dévissages qui entraînent, au bout de 10 fois, une perte de frottement dans les filets et sous la tête de 31,2 % [17].
Cela se traduit par un coefficient de frottement dans les filets et sous la tête inférieur à 0,12 µf qui va augmenter l’effort de tension dans la vis, relation entre couple de serrage et effort de tension dans une vis. Pour résoudre ce problème, il convient d’utiliser une nouvelle vis lors du serrage final ou d’augmenter le coefficient de frottement de la tête et des spires par sablage à l’aéropolisseur qui, avec une granulométrie faible, ne va que peu entamer le titane [18].
Le bruxisme constitue la raison majeure du desserrage, mais le tassement et la relaxation des contraintes mécaniques dans l’implant font partie des autres causes. Il est donc nécessaire de le resserrer quelques minutes après le premier serrage car les faces en contact, caractérisées par leur rugosité, vont progressivement « s’interpénétrer » après quelques serrages. Un matage de l’assemblage de quelques microns permet à la vis de se détendre [19].
La réalisation d’une prothèse sur implant semble techniquement plus aisée que celle d’une prothèse conventionnelle mais de nombreux aléas techniques et physiologiques empêchent le praticien d’exercer l’implantologie en toute sérénité. Les erreurs potentielles qui pourraient être imputées à l’inexpérience sont, dans la plupart des cas, dues à des problèmes de matériau. En respectant les protocoles des fabricants et les recommandations des nombreux articles cliniques de référence publiés, l’implantologiste peut espérer une approche physiologique et mécanique réelle. Le succès en implantologie dépend du savoir, de la pratique et de la méthode.
Testez vos connaissances suite à la lecture de cet article en répondant aux questions suivantes :
1. La technique de LANG permet de dupliquer les prothèses amovibles.
a. Vrai.
b. Faux.
2. Le guide par addition est conseillé pour quantifier les valeurs scannographiques.
a. Vrai.
b. Faux.
3. Le cône morse indexé est préconisé pour améliorer l’étanchéité des connections implantaires.
a. Vrai.
b. Faux.
4. Dix vissages-dévissages entraînent un risque de dévissage augmenté d’environ 30 %.
a. Vrai.
b. Faux.
5. L’utilisation de pipettes endodontiques modifiées permet d’éliminer le 3e corps.
a. Vrai.
b. Faux.
6. La clef en plâtre est réalisée sur les transferts d’empreinte directement en bouche.
a. Vrai.
b. Faux.
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